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par Patrick Valentin, Pierre Maréchal

Le 9 décembre dernier, un projet de loi a été examiné à l’Assemblée nationale pour permettre la création d’un fonds « zéro chômage longue durée ». Il a été adopté à l’unanimité. C’est l’aboutissement d’un travail de longue haleine mené par l’association ATD Quart-monde pour apporter une solution au chômage de longue durée. Cette future loi devrait permettre de mener une expérimentation sur le terrain pour prouver la pertinence de ce dispositif. Patrick Valentin, animateur du Réseau Emploi-Fomation d’ATD Quart-Monde en explique les enjeux.

 

atd quant monde

En quelques mots, quel est votre concept ?

Il s’agit d’éradiquer le chômage de longue durée en proposant un emploi au SMIC, en CDI, à tous les chômeurs de longue durée présents et volontaires sur des territoires d’expérimentation. Le principe est de partir des compétences des personnes privées d’emploi et, parallèlement, d’identifier les travaux/services utiles à réaliser sur chacun de ces territoires. Cette dynamique de création d’emplois sera animée sur chaque territoire par un comité local qui veillera à garantir le droit à un emploi pour tous, tout en vérifiant qu’il s’agisse bien d’emplois nouveaux ne venant pas fragiliser l’économie locale existante, mais bien au contraire, la renforçant.

Par quelle démarche ATD Quart-Monde est arrivé à concevoir ce projet qui vise à procurer des emplois permanents à des chômeurs de très longue durée ?

Le chômage de longue durée concernait principalement les personnes éloignées du marché du travail. C’était il y a 20 ou 30 ans. C’est pour cela qu’on avait imaginé des entreprises d’insertion qui devaient leur permettre de revenir vers l’emploi en leur procurant des activités temporaires. Ce secteur de l’IAE ( insertion par l’activité économique) s’est développé et il est constitué tout à la fois des entreprises d’insertion, des entreprises de travail temporaire d’insertion, des associations intermédiaires ainsi que des ateliers et chantiers d’insertion.
Globalement, l’ensemble des salariés actifs en fin de mois dans les structures de
l’insertion par l’activité économique s’élevait à près de 128 000 personnes en 2012.
Au bout d’un certain temps, ces personnes devaient rejoindre le monde du travail. Voilà en simplifiant, le schéma de l’insertion par l’économique.

 

Cela ne marche plus pour deux raisons :
• la première est que cette période d’insertion conduit de moins en moins vers le marché normal du travail en grande partie puisqu’il n’y a pas d’emploi. Garder les gens dans la précarité n’est pas une bonne chose.
• la deuxième est qu’une partie de ces chômeurs de longue durée ne sont plus aussi éloignés de l’emploi qu’auparavant : ils sont exclus du monde du travail parce qu’il n’y a pas de travail. Ces personnes peuvent être relativement qualifiées. L’insertion par l’économique n’a plus la même pertinence.
Notre projet est donc de créer des emplois stables, des CDI dans des entreprises à but d’emploi.

 

Vous mettez le doigt sur le fait qu’il y a une pénurie d’emplois. Comment les entreprises à but d’emploi vont-elles y remédier ?

Tout l’enjeu est de faire émerger, dans un territoire, des travaux, des activités qui sont souhaités, souhaitables, considérés comme utiles par une collectivité et qui ne sont pas réalisés pour des tas de raisons, en particulier parce qu’ils ne sont pas financés.
Il y a d’un côté des besoins non satisfaits et de l’autre de l’argent consacré à palier à l’inactivité qui est une sorte de mort sociale. Comment résoudre cette contradiction ?

 

On constate, en effet, que ces personnes en chômage de longue durée coûtent à la société. La société, de fait, aide ces chômeurs de longue durée à survivre à l’aide de différents dispositifs qui ont tous leur logique propre. Pour en citer les principaux, il y a l’assurance-chômage (ARE) puis l’ASS, le RSA. Mais d’autres fonds sont sollicités pour soutenir ces personnes en difficulté : le FSL, des aides des CCAS. Il faut également prendre en considération des coûts indirects comme les dépenses occasionnées par des fragilités devant la maladie, les insolvabilités… ATD a procédé à une estimation du coût de la privation d’emploi par personne et par an et l’évalue à 15 000€ en moyenne.

 

Pourquoi ne pas mobiliser une partie de ces fonds liés aux inactivités subies pour contribuer à financer de l’activité utile au bien-être de tous ?

Tout l’intérêt de la démarche est de mettre autour d’une table les acteurs socio-économiques d’un territoire pour identifier les travaux utiles à réaliser qui seront mis en œuvre par ces entreprises de l’économie sociale et solidaire à but d’emploi. Elles emploieront des chômeurs de longue durée qui voudront s’impliquer dans cette démarche.

 

Le but est évidemment de créer de l’activité nouvelle qui ne devra pas se substituer à des choses existantes.

 

Et cette idée, vous l’avez fait mûrir en la faisant examiner et débattre par le Conseil Economique Social et Environnemental qui a produit un avis très favorable adopté au scrutin public par 175 voix et une abstention le 10 novembre dernier.

Ce projet, ATD Quart Monde le mûrit depuis quatre ans. Il est le fruit de notre expérience et déjà nous avons initié des débuts de réalisation dans cinq micro-territoires, des lieux où tout le monde se connaît. On se parle, on veut agir ensemble.

 

Mais ce projet conduit à un changement profond de perspectives. Il faut convaincre… et, pour cela, prouver sur le terrain que c’est possible, que cela permet à la collectivité d’être gagnante sur trois tableaux : plus de besoins satisfaits, moins de chômeurs de longue durée, moins de dépenses directes et indirectes liées à ce chômage.

 

Il faut donc que ce projet soit débattu et que des fonds soient rassemblés pour lancer des débuts d’expérimentation. Son examen par le CESE est une bonne opportunité. Dans son avis, il a apporté un certains nombre de critiques constructives et formulé des recommandations pour mener à bien cette expérimentation. En effet, la prise en compte des préoccupations de chacun a permis de définir les contours de mise en œuvre d’une expérimentation acceptable par tout le monde.
Ainsi la CGT a, de son coté, insisté sur le fait que cette expérience ne doit pas fragiliser les droits des salariés et des chômeurs, que cela ne doit pas déstabiliser le service public de l’emploi ; quant à la CGT-FO, l’inquiétude exprimée a porté sur la véritable nature des CDI proposés et sur les niveaux de rémunération annoncés qu’il ne faudrait pas limiter au SMIC.
Le collège des artisans a souligné que le CDI ne doit pas être une fin mais permettre des mobilités accompagnées ou non par des formations vers d’autres entreprises, qu’il faudra être très vigilant sur les problèmes de concurrence, que cela ne doit pas être un prétexte pour ne pas poursuivre la nécessaire réduction du coût du travail. Le collège des entreprises a émis des réserve sur le choix du CDI qui risque de fragiliser les entreprises à but d’emploi.

 

Et maintenant il faut oser la suite…

Cette proposition de loi d’expérimentation pour des territoires zéro chômage de longue durée doit permettre d’avoir les moyens financiers et réglementaires pour mener une expérimentation sur 10 territoires pendant cinq ans et l’évaluer.

Le rapporteur a bien souligné que « ce texte propose une solution originale, dans la mesure où il propose, à côté de l’approche actuelle du traitement du chômage, essentiellement « verticale » car menée par l’État, une approche plus horizontale, à travers la mobilisation de toutes les forces vives d’un même territoire autour d’un projet solidaire. Il innove également à travers un mécanisme ouvert à tous les chômeurs de longue durée, sans distinction » ; « il s’agit de faire le pari d’une nouvelle approche, reposant sur l’idée d’une croissance qualitative, qui doit permettre de réinsuffler du lien social dans les territoires, au-delà du traitement actuel du chômage, qui repose le plus souvent sur un face-à-face entre le demandeur d’emploi et l’État. »

 

Nous devrions être opérationnels sur les terrains dès l’été. Il y a cinq endroits où cela est bien avancé. On peut citer Pipriac, en Ille-et-Vilaine ; Mauléon, dans les Deux-Sèvres ; Prémery, dans la Nièvre, Colombey-les-Belles, en Meurthe-et-Moselle et Jouques, dans les Bouches-du-Rhône.

Existe-t-il des démarches semblables dans les autres pays européens ?

Non, pour une raison bien simple : chaque pays a ses propres règles qui régissent le marché du travail. En France, nous avons deux éléments structurants qu’on ne peut occulter : il s’agit du CDI et du SMIC. Notre proposition prend en compte la réalité des dispositifs institutionnels et réglementaires de notre pays et les utilise pour ouvrir une voie nouvelle afin de faire face au défi du chômage de longue durée.

 

Pour en savoir plus

ATD quart monde

Expérimentations zéro chômage longue durée

 

 

 

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Un parcours professionnel varié dans des centres d’études et de recherche (CREDOC, CEREQ), dans
des administrations publiques et privées (Délégation à l’emploi et Chambre de commerce et
d’industrie), DRH dans des groupes (BSN, LVMH, SEMA), et dans le conseil (BBC et Pima ECR), cela à
partir d’une formation initiale d’ingénieur X66, d’économiste-statisticien ENSAE et d’une formation
en gestion IFG.
Une activité associative diverse : membre de l’associations des anciens auditeurs de l’INTEFP, ex-
président d’une grosse association intermédiaire à Reims, actif pendant de nombreuses années à
FONDACT (intéressé par l’actionnariat salarié), actuellement retraité engagé dans les questions de
logement et de précarité d’une part comme administrateur d’Habitat et Humanisme IdF et comme
animateur de l’Observatoire de la précarité et du mal-logement des Hauts-de-Seine.
Toujours très intéressé par les questions d’emploi et du travail.