Qui sont ces Lulus ? Que font-ils dans ma rue ? Lors d’une rencontre chaleureuse avec quelques Lulus et la concierge installée dans son kiosque Place saint Paul dans le 4e arrondissement de Paris, Charles-Edouard Vincent, nous a donné les clés de cette conciergerie de quartier créée il y a un peu plus de six mois.
Trois problèmes, une réponse
Emmaüs Défi, dirigé depuis une dizaine d’années par le même Charles-Edouard Vincent, peine à jouer un rôle de sas vers l’emploi, conforme à l’intention initiale. Quelle que soit la qualité du travail accompli et le chemin parcouru, l’intégration dans une entreprise « classique » est loin d’être la règle. Comme toutes les structures d’insertion par l’activité économique (IAE) et dans les conditions actuelles du marché du travail, les solutions, pour tous « les publics éloignés de l’emploi », s’inventent souvent dans les marges, dans les interstices de l’activité économique.
Car il y a des besoins qui ne sont pas satisfaits. Besoins d’un bricoleur averti pour monter un meuble en kit ou installer une tringle à rideau, d’une aide pour descendre des valises « trop lourde à notre âge » jusqu’à la station de taxi, de quelqu’un pour arroser les plantes pendant un voyage, pour faire ce grand rangement de la cave qui attend depuis si longtemps ou pour « faire le Père Noël » au goûter des copains de ma fille… Ni les artisans, ni les services publics, ni les enfants ou voisins, « qu’on n’ose plus embêter avec nos petits problèmes », n’ont la solution. Le plombier qui accepte à contrecœur de changer le joint du robinet qui fuit, sait que sa facture paraîtra exorbitante sans que pour autant il s’y retrouve. Dans les interstices de l’économie, il y a tous ces coups de mains qui facilitent tellement la vie.
Enfin, troisième constat, les liens à distance, les échanges sur les réseaux sociaux ne se substituent pas à la vie de quartier. Le kiosque « Les lulus dans ma rue » (vous avez bien lu « dans ma rue », pas « dans la rue ») à peine installé, qu’il devenait un lieu de discussion, de rencontres. Chaque mois, l’apéro organisé devant ce kiosque a un franc succès. La vie de quartier existe dans les grandes villes, elle ne demande qu’à s’intensifier pour peu qu’on lui offre un support. Cette convivialité peut sembler superflue. Lorsqu’elle est menacée nous n’hésitons pas pourtant, et à juste titre, à en faire une vertu démocratique, au cœur d’un style de vie auquel nous tenons.
Cinquante Lulus à votre service
Résultat. En un peu plus de 6 mois, 4 000 prestations ont été réalisées dans un rayon de 400 mètres autour de la Place Saint Paul, ce qui signifie 20 à 25 demandes par jour et que près de 10% des habitants du quartier, dont certains plusieurs fois, ont fait appel aux Lulus. Cinquante Lulus ont été sélectionnés (il y a eu 2 000 demandes !) pour leurs compétences, leur outillage nécessaire et leur sérieux. Ils adoptent, avec l’aide administrative de l’association le statut d’auto-entrepreneur « assurés, déclarés, motivés » et signent une charte.
On peut distinguer deux groupes : ceux qui cherchent un complément de revenus, étudiants, retraités ou salariés. Ils accomplissent en moyenne deux prestations par semaine. Ceux qui s’y consacrent et qui peuvent réaliser deux ou trois missions dans une journée pour un revenu correct. Un des Lulus rencontrés était salarié mais tellement soucieux d’indépendance, qu’il se consacre désormais, avec enthousiasme à sa nouvelle vie de Lulu « pluri-compétent » ! D’autres « recrutements » sont en cours…
Et demain
Bien sûr cette réussite n’interdit pas les questions. Celle du modèle économique : quel prix pour les prestations ? Pour l’instant, il varie, il évolue. En moyenne 10 € les 20mn. Les services sont appréciés, mais les « clients » sont très sensibles au montant de la facture. Bientôt les Lulus devront verser une part (15% ?) de leur rémunération pour les « frais de structure ». Cela suffira-t-il ? Une appli est en préparation de façon à commander en ligne. Que deviendront alors le kiosque et la vie de quartier ? Assisterons-nous à la naissance d’un nouveau BlaBlaCar ? Comment seront organisées les nouvelles implantations de Lulus dans ma rue ? Plus d’une centaine de villes sont candidates…
Comment définir les activités qui sont vraiment nouvelles ? Comment ne pas concurrencer les artisans ? Plusieurs accords ont été passés avec des artisans du quartier (plombiers, peintres, …) et le concierge des Lulus dans ma rue les recommande pour des travaux « classiques ». Et puis cette question, qui pour être très française n’en est pas moins préoccupante : sommes en train d’organiser et de pérenniser la précarité ? Que penser du statut d’auto-entrepreneur lorsque l’objectif n’est pas d’offrir un sas vers la création d’une « vraie entreprise » ? Comment « sélectionner » les Lulus et garantir la qualité de la prestation ? Comment leur assure un avenir ?
L’option pragmatique
Le projet mené par ATD Quart Monde « Territoires Zéro Chômeur de longue durée » (voir article dans Metis..) part également du constat de besoins qui ne sont pas satisfaits et de l’importance de l’ancrage local. Il nécessite le vote d’une loi d’expérimentation et cela a permis d’alerter les politiques et l’opinion sur la gravité du problème de ceux qui désespèrent de retrouver un jour un travail. L’objet n’est pas ici de débattre des mérites comparés des approches plus institutionnelles ou plus pragmatiques. Tout est bon et il faut saluer toutes les initiatives en ce domaine. Elles convergent et c’est bien. Je note que ni l’une ni l’autre ne sont d’initiative publique et que leurs premiers soutiens sont venus d’organismes privés. La Fondation de France par exemple -elle n’est pas la seule- a participé au financement de l’une et de l’autre dès leur origine.
Une certitude pourtant. Ne traitons pas à la légère une initiative qui fait avec les moyens existants et privilégie une expérimentation locale. Au pays de Colbert et de Descartes, un peu de pragmatisme, celui qui se soucie des conséquences concrètes de l’action plutôt que d’avoir raison sur les principes, fait beaucoup de bien !
Pour en savoir plus
le site de Lulu dans ma rue
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