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Le film de Tom McCarthy raconte l’enquête de journalistes d’investigation qui aboutit à la révélation d’abus sexuels sur de jeunes enfants. Il est adapté de faits réels et fidèle au travail réalisé pendant l’année 2001 par l’équipe en charge de la rubrique « Spotlight » au sein de la rédaction du Boston Globe.

 

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Quelques brebis galeuses ou tout un système

Le rédacteur en chef joue un rôle très important. Il est là pour donner le temps qu’il faut lorsqu’on ne se contente pas de demi-vérités. Il est là pour assurer que les efforts et découvertes de ces journalistes aboutiront à une publication, quelles que soient les personnes concernées et quelles qu’en soient les conséquences. Il est là pour définir avec eux, et avec le recul nécessaire, l’angle qui donnera aux faits bruts leur signification et les signalera aux lecteurs. Dans ce cas « il y a deux histoires et nous n’en publierons qu’une »…La première est celle de prêtres catholiques dépravés ou malades. Soixante-dix seront impliqués, leurs actes pédophiles reconnus. Les témoignages des enfants devenus adultes se multiplient. Il y a une deuxième histoire, plus difficile à écrire. La hiérarchie catholique savait et a protégé ces prêtres. Elle s’est contentée de les déplacer, de les envoyer dans une autre paroisse, de leur prescrire un arrêt maladie. Elle l’a fait avec la complicité d’avocats chargés de négocier avec les familles leur silence contre un dédommagement financier. Ces familles pauvres et très croyantes n’ont pas osé protester. Les avocats se sont enrichis au passage. On s’en doute, c’est cette deuxième histoire, celle qui ne se contente pas de mettre en cause des personnes mais qui met en cause tout un système social, qu’il faut publier. C’est aussi celle à laquelle « le Globe », journal de la bonne société irlandaise et catholique de Boston, créé en 1872, est le moins préparé.

 

Un travail obstiné d’enquête

Le film raconte en fait une troisième histoire. Celle du travail obstiné de quatre journalistes pour obtenir un témoignage, un nom, une adresse, une confirmation. Travail fastidieux lorsqu’il faut chercher des indices dans des registres poussiéreux couvrants plusieurs décennies. Travail d’imagination lorsqu’il faut tirer un fil sans savoir à quoi il peut conduire. Travail qui peut être interrompu par une autre urgence : les attentats contre le World Trade center en septembre 2001 arrêtent l’enquête au risque d’alerter des sources et de rendre vaines des recherches sur le point d’aboutir. Travail qui heurte les convictions des enquêteurs, comment croire que cela est possible, « si c’était vrai, si autant de gens étaient au courant, ça se saurait » ? C’est sans doute le point le plus fort du film. Les journalistes, et notamment celui qui assure la direction de la rubrique d’investigation « Spotlight », sont très intégrés à la société que leur enquête met en cause. Les avocats sont leurs amis et leurs partenaires de golf. Ils ont fréquentés les mêmes écoles, celles du centre ville, assistés aux mêmes messes. Ils y sont certainement moins assidus, mais leur mère, leurs proches, les gens pour qui ils ont estime et considération sont les notables de cette bonne société qui au scandale a préféré le mensonge et l’omerta. L’Evêque lui-même les reçoit si aimablement.

 

Proximité ou connivence

C’est le véritable sujet du film. La proximité des journalistes avec leurs sources est indispensable. Mais ceux qui ont l’information peuvent être concernés. La tentation de la connivence est grande. Il serait si simple de minimiser l’affaire, de la limiter à quelques cas, de désigner des brebis galeuses et de réclamer des sanctions exemplaires. Et puis de revenir à ses parties de golf. Ce qui en empêche ? La compassion sans doute. Ces enfants, définitivement marqués, d’autant plus malheureux qu’ils sont tenus au silence, « ça aurait pu être moi ! » dit l’un des journalistes. Et puis aussi une chose très précieuse : l’idée que l’on se fait du métier, l’éthique professionnelle. C’est elle qui sauve ! Tom McCarthy réalise un film très efficace. Le caractère inexorable d’une enquête qui avance malgré toutes les difficultés et toutes les mises en garde, est parfaitement restitué. Il réalise également un film très pertinent sur le travail, ce mélange si particulier de savoir-faire, de technique, d’engagement de soi et d’exigence éthique qui nous pousse à affronter les énigmes les plus impénétrables et à y trouver comme par surcroît, notre bonheur.

 

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Directeur d’une Agence régionale de développement économique de 1994 à 2001, puis de l’Association Développement et Emploi, devenue ASTREES, de 2002 à 2011. A la Fondation de France, Président du Comité Emploi de 2012 à 2018 et du Comité Acteurs clés de changement-Inventer demain, depuis 2020. Membre du Conseil Scientifique de l’Observatoire des cadres et du management. Consultant et formateur indépendant. Philosophe de formation, cinéphile depuis toujours, curieux de tout et raisonnablement éclectique.