Terra Nova, la Fabrique de l’Industrie, l’ANACT et Mines Paris-Tech ont travaillé ensemble en 2016 à la conception et à la rédaction d’un très intéressant Rapport « La qualité de vie au travail : un levier de compétitivité. Refonder les organisations du travail ». Cette publication invite à centrer la réflexion sur l’autonomie au travail, qui y est présentée comme consubstantielle à la qualité de vie au travail et comme un levier essentiel de performance et de compétitivité.
Une valeur ambivalente
Pourtant lorsqu’on demande à des salariés quelle expérience pratique ils ont de l’autonomie, les réponses vont du plus négatif au plus positif. Pour certains, le mot est vide de sens ou absent du vocabulaire professionnel. La réalité est l’augmentation des prescriptions, des normes, des procédures, des objectifs, du reporting. La cool attitude se généralise, mais le couple process-contrôle et la distance hiérarchique demeurent, comme le révèle le calcul de l’indice de distance hiérarchique, particulièrement élévé en France. L’enquête de la DARES « Conditions de travail » indique que le travail prescrit augmente pour toutes les catégories socio-professionnelles, ouvriers, employés, cadres. En 1998, 14,2 % des salariés déclaraient que leurs supérieurs leur disaient comment faire leur travail. Ils sont 19,3 % en 2013.
Pour d’autres, l’autonomie est une réalité et une revendication. L’autonomie qui permet d’organiser son emploi du temps et d’aménager ses horaires est plébiscitée dans toutes les enquêtes. L’autonomie qui permet de développer ses propres manières de faire, d’adopter son propre style de management, de choisir ses priorités, est une bouffée d’oxygène pour tous les salariés et la motivation première de beaucoup de travailleurs indépendants. Valeur positive, elle évoque la latitude pour s’exprimer et agir, la confiance – accordée et en soi – et la compétence de celui qui sait comment faire.
Trois niveaux d’autonomie
Le document co-écrit par Emilie Bourdu, Marie-Madeleine Péretié et Martin Richer (que vous lisez régulièrement sur le site Metis Europe !) échappe à ce jeu de renvoi entre le pire et le meilleur, la souffrance d’un côté, la liberté de l’autre. Il passe en revue les enseignements des travaux académiques et autres rapports sur les liens entre QVT et performance économique, ainsi que les enseignements d’expériences en cours dans les 11 entreprises auditionnées. Les auteurs s’interrogent sur la consistance de « quatre modèles archétypaux d’organisation du travail » : le lean, l’entreprise libérée, l’entreprise responsable et les organisations responsabilisantes. Ils classent les entreprises qui innovent et s’organisent au nom d’objectifs regroupés sous le terme de qualité de vie au travail. Ils définissent trois niveaux hiérarchisés de l’autonomie au travail. L’autonomie réduite est celle qui permet de définir les tâches à effectuer, d’intervenir sur leur séquencement, la méthode d’exécution, le rythme, les outils. On passe ensuite au pouvoir « d’influencer son environnement organisationnel et collectif », d’utiliser « la marge de manœuvre pour définir les modes de coopération », et enfin au pouvoir de s’impliquer dans la gouvernance de l’entreprise et le dialogue social, d’avoir « une influence sur le partage de la valeur créée et la mise en œuvre d’un mode de management participatif ». L’excellence en matière sociale et économique est au bout du chemin.
Les auteurs expliquent en termes clairs et convaincants comment les leviers de la QVT et ceux de la performance économique interagissent et convergent, sans pourtant qu’il soit possible d’établir entre eux un lien de cause à effet. Il faut plutôt voir cette interaction comme un cercle vertueux à enclencher en se fiant à ce qu’ils n’hésitent pas à qualifier d’acte de foi. Dominique Foucart, directeur de la performance industrielle de Michelin, le dit ainsi : « au départ de ce genre de démarche de responsabilisation, c’est certain, il y a un acte de foi dans le fait que la performance industrielle en sortira gagnante (on le fait pour cela !). Il est difficile de démontrer le retour sur investissement étape par étape ». Le document revient à plusieurs reprises sur cette logique systémique, trop rarement comprise : « les difficultés rencontrées par les entreprises dans leur transformation tiennent pour une large part à leur approche partielle et compartimentée de l’autonomie au travail ».
QVT et compétitivité
Autonomie, responsabilité, responsabilisation, engagement, confiance, pouvoir d’agir, sont employés, non pas comme des synonymes, mais comme consubstantiellement liés les uns aux autres, comme les différents aspects définissant la GRH et l’organisation idéales, celles qui allient QVT et compétitivité. Il ne s’agit pas de faire la promotion d’un nouveau modèle – les auteurs reprochent aux tenants du lean, comme à ceux de « l’entreprise libérée » d’avoir cette prétention exorbitante -, mais de définir le parcours au terme duquel l’autonomie est maximale et la performance aussi.
Pour en savoir plus :
– Rapport conjoint de Terra Nova, la Fabrique de l’Industrie, l’ANACT et Mines Paris-Tech, « La qualité de vie au travail : un levier de compétitivité. Refonder les organisations du travail », novemenbre 2016
– Les 11 entreprises auditionnées : Michelin, Captain Train, Airbus Group, DuPont France, Thalès, Blablacar, Eneixia, RATP, Maille verte des Vosges, Valéo
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