« Si vous n’avez pas d’emploi, créez-le ! » Peu importe comment la formule de Raymond Barre a été accueillie en 1979, elle est aujourd’hui devenue d’une banalité confondante : tous les actifs – qu’ils soient en travail ou non – y sont incités par une institution ou l’autre. Jusqu’à l’entreprise qui invite ses salariés à développer leur clientèle interne. Les chômeurs, quant à eux, ont bien compris le message. Au point qu’on ne comprend pas comment les statistiques peuvent rester à des niveaux aussi élevés.
Beaucoup est fait pour faire sortir les chômeurs du chômage
En raison des difficultés d’accès à l’emploi, depuis le début des années 80, les demandeurs d’emploi sont invités, incités et aidés à trouver une solution autre qu’un emploi salarié en CDI à temps plein…
Démonstration en trois points
Les règles s’assouplissent pour cumuler activité réduite et chômage. Sur le modèle du système propre aux intermittents du spectacle, chaque période travaillée repousse d’autant la perception d’une allocation. Cette évolution incite certains à évoquer l’intermittence pour tous, alors qu’il n’y a pas si longtemps celui qui ne pouvait pas passer 100 % de son temps à une recherche active d’emploi pouvait être facilement radié.
À ce sujet, voilà ce qu’on trouve sur le site de pôle emploi :
« En vue d’encourager la reprise d’emploi, l’Assurance chômage permet au demandeur d’emploi, qui reprend une activité en cours d’indemnisation de cumuler, pour partie, sa rémunération avec son allocation chômage. La mesure est incitative : le bénéficiaire dispose au total d’un revenu supérieur à ce qu’il aurait perçu en l’absence d’exercice d’une activité professionnelle. »
Les règles s’assouplissent pour ceux qui veulent développer leur propre activité. Dans la foulée des politiques d’incitation à la création d’entreprises, les formalités ont été considérablement simplifiées. C’est le cas de l’auto ou micro-entrepreneuriat et en général de tous les types d’entreprises (SARL, EURL, SAS, etc.) ou activités indépendantes.
Voilà ce que l’on trouve sur le site de Pôle emploi :
« La création d’entreprises ou réfléchir autrement à la reprise d’une activité – Contrairement aux idées reçues, la création d’entreprises s’adresse à tous : ouvriers, cadres, demandeurs d’emploi, salariés… Tous les métiers et niveaux de qualification sont représentés. »
Troisième volet du dispositif, la formation qu’il devient de plus en plus simple de faire financer lorsqu’on est au chômage. Le gouvernement a reconduit le plan annoncé le 31 décembre 2015 d’inscrire 500 000 demandeurs d’emploi en formation, avec des résultats quantitatifs proches des objectifs (740 000 en formation ou inscrits en octobre 2016), sans que les résultats qualitatifs soient encore mesurés ou mesurables.
Autant d’actions et d’injonctions qui portent leurs fruits. Le travail indépendant est plébiscité en tant que solution pour créer son propre emploi et donc sortir du chômage, ou ne pas y entrer. De nombreux outils sont mis en place pour aider ces entrepreneurs d’un nouveau genre, comme les boutiques de gestion ou le microcrédit, et de nombreuses mesures ont été prises pour simplifier les démarches : SARL à un euro, micro-entreprise, plateformes de travail collaboratif, etc.
Alors tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Pas vraiment, car ce que l’on remarque, c’est que ces sorties du chômage concernent précisément et en grande majorité ceux qui ont du mal à retrouver un emploi salarié en contrat à durée indéterminée, donc les plus fragiles, les moins équipés pour se prendre en mains, ceux qui ont les réseaux les moins costauds.
Et le fait est que ces personnes trouvent ou retrouvent une activité, créent leur entreprise, se forment, etc. Bref, sortent des statistiques du chômage, et cela arrange tout le monde. Mais l’on peut légitimement s’interroger sur ce qu’apportent les solutions trouvées en termes de continuité, pérennité, employabilité, construction d’un réel parcours professionnel…
Quid des solutions trouvées ?
Que se passe-t-il en cas d’échec de l’aventure entrepreneuriale ?
Plus de la moitié des entreprises créées en 2014 l’ont été sous la forme d’auto-entrepreneur (1). Les mesures en faveur de l’auto-entrepreneuriat ont à l’évidence contribué à favoriser la création d’entreprises et plus avant à favoriser la réduction du nombre de demandeurs d’emploi. L’INSEE note ainsi que 40 % des créateurs étaient auparavant au chômage et plus de 6 créateurs sur 10 déclarent avoir créé leur entreprise pour assurer leur propre emploi (2).
Ces chiffres témoignent, s’il en est, de la pertinence de ce dispositif par la simplicité de sa mise en place et les aides multiples proposées au créateur. Cependant, tous ces créateurs, une fois lancés, ne sont pas pour autant assurés de la pérennité de leur entreprise. Près de la moitié d’entre eux cesseront leur activité dans les 5 années suivant celle de sa création, soit près de 700 000 personnes.
Que peuvent-elles espérer au jour de la cessation de leur activité ? Point d’accès au régime d’assurance chômage, nul accompagnement offert pour assurer leur reconversion. Il y a ici quelque chose de paradoxal à noter que d’un côté les salariés victimes de licenciement ont accès à une large palette de dispositifs visant à les aider dans leur reconversion (formation, conseil en évolution professionnelle) ; et que d’un autre, ceux qui se sont « lancés » dans l’aventure de l’entrepreneuriat ne bénéficient d’aucune aide.
Et que dire de ceux qui tenteront de retrouver le chemin de l’emploi salarié ? La chose n’apparaît pas des plus aisées, tant les entreprises apparaissent méfiantes à intégrer ces publics. Il est d’ailleurs frappant de trouver un post sur le site de l’Apec intitulé « Ex-entrepreneur, futur salarié : à dire et à ne pas dire en entretien ». Comme si avoir été entrepreneur relevait de la maladie honteuse et qu’il s’agissait de devoir gommer en entretien les compétences qui sont celles d’un chef d’entreprise !
Être travailleur de plateforme, un job pour la vie ?
Nombreux sont les rapports à s’être penchés sur la question des travailleurs de plateforme en particulier sous l’angle de la protection sociale et de la formation. Entre le rapport Terrasse sur l’Économie collaborative, celui du COE sur l’évolution des formes d’emploi et les contributions de plusieurs Think Tanks : Institut de l’Entreprise, Terra Nova, Lab’Ho, le sujet est largement traité. Plus récemment la Loi El Khomri a instauré un droit à la validation des acquis de l’expérience pour les « travailleurs de plateformes de mise en relation électronique ».
Tout se passe comme si ces travailleurs étaient amenés à rester dans ce schéma d’activité tout au long de leur vie professionnelle. Or, peut-on imaginer un instant qu’un livreur à domicile ou un chauffeur de VTC le soit encore dans dix ou quinze ans ? Il suffit de s’entretenir avec ces derniers pour savoir que la réponse est NON. Certes pour beaucoup d’entre eux le travail de plateforme a permis d’éviter le chômage, d’avoir une activité dont ils tirent, quoi qu’on puisse dire, un sentiment de fierté. Celui de s’en être sortis. Mais que faire après ? Quelles compétences valoriser ? Comment se réorienter ? Vers qui se tourner pour opérer sa transition professionnelle ?
Les plateformes, bien que fortement impactées par les enjeux de réputation et de responsabilité sociale ne sont pas à ce jour dans une logique d’accompagnement des compétences. Ceci à la fois pour des raisons de rentabilité, de taille critique et de risque de requalification de leurs « prestataires » en salariés.
Les Pouvoirs publics, tout en se « réjouissant » de l’émergence de ces nouvelles formes d’activité – au motif quelles contribuent à la réduction du nombre de demandeurs d’emploi – cherchent à élargir aux travailleurs de plateforme l’accès aux dispositifs dont bénéficient les salariés (VAE, CPA).
Reste à savoir qui seront les opérateurs en mesure d’accompagner les transitions professionnelles de ces derniers. Les opérateurs publics sont déjà submergés, le milieu associatif est en manque de ressources comme de financements et les opérateurs privés, avant d’investir ce nouveau champ, se poseront inévitablement la question de sa rentabilité.
Et pourtant. Il y a une réelle urgence à accompagner ces publics si l’on ne veut pas que se développe une nouvelle catégorie de travailleurs enfermés dans ce monde de l’économie numérique.
Le piège des charges sociales
Tapis rouge ! Au moment de se lancer, un entrepreneur peut bénéficier du report du paiement de ses cotisations sociales pendant la première année de son activité, voire jusqu’à deux années s’agissant des micro-entrepreneurs. L’aubaine apparaît bien belle et ferait presque oublier à notre créateur trop occupé à développer son business qu’il faudra cependant bien les payer un jour, rubis sur l’ongle ! Or, combien de nouveaux entrepreneurs se retrouvent étranglés et obligés de mettre la clé sous la porte au moment de leur règlement faute d’avoir des revenus suffisants. L’attitude des organismes de Sécurité Sociale est à ce titre particulièrement déroutante. Que penser de cet entrepreneur qui, en réponse à sa demande d’étalement du paiement de ses cotisations, se voit notifier un commandement d’huissier sans aucune autre forme de procès, lequel lui propose en définitive de régler sa dette avec un étalement de ses règlements sur une durée supérieure à celui qu’il avait originellement demandé ?!
Ne faudrait-il pas instaurer un Chapitre 11 pour ces nouveaux entrepreneurs et rendre possible la mise en place d’une procédure judiciaire allégée au bénéfice des auto-entrepreneurs? Comme de permettre la protection du patrimoine de ces créateurs.
Former c’est insérer ?
La question a de quoi surprendre. Quand le Gouvernement a lancé son plan de 500 000 formations supplémentaires à destination des demandeurs d’emploi, bien entendu l’objectif affiché était de faire en sorte que les formations suivies débouchent sur un emploi. Plus avant la méthode poursuivie, privilégiant les diagnostics à l’échelle des bassins d’emplois dans une logique de GPEC territoriale, devrait permettre de coller au plus près des besoins en compétences des entreprises. Cependant se pose une double question de dynamique et d’égalité territoriale – les bassins ayant le plus fort niveau de chômage sont naturellement ceux ayant le moins grand nombre d’emplois à offrir – et d’accompagnement.
Derrière la question de la dynamique territoriale ressort en creux celle de la mobilité. Combien d’organismes de formation peinent à trouver des candidats pour leurs programmes parce qu’ils sont trop éloignés des stagiaires (50 km apparaît comme la distance maximum pour suivre une formation). En outre l’offre de formation n’est pas toujours adaptée aux besoins des entreprises situées sur un territoire. Derrière ce constat transparaît la rapidité de l’ajustement de l’offre de formation au développement de nouvelles activités. Entre le moment où un besoin de compétences est identifié et la création/adaptation de l’offre de formation, peuvent se passer plusieurs mois durant lesquels les entreprises, comme les chômeurs n’auront pas de réponse à leurs besoins.
L’accompagnement des personnes durant leur formation apparaît également comme un élément clé dans l’insertion des publics. Combien de formations sont abandonnées parce que les stagiaires ne sont pas suivis par leur référent durant leur cursus de formation, parce que leurs enjeux sociaux (mobilité, santé, logement, entourage) ne sont pas traités ?
Au final ce sont près d’un demandeur d’emploi sur deux (49,5 %) à être en emploi 6 mois après la fin d‘une formation (3).
En comparaison, il est intéressant de noter que les formations en alternance (contrat de professionnalisation) en ce qu’elles mettent en relation directe formation, stagiaire et entreprise d’accueil, connaissent des taux d’insertion dans l’emploi particulièrement élevés. Ainsi une enquête commandée par le FPSPP (4) auprès de 60 000 personnes en contrat de professionnalisation fait ressortir que les trois quarts des personnes formées étaient en emploi six mois après la sortie de leur formation.
Alors que faire ?
Il serait absurde de vouloir freiner ces envies de s’en sortir par soi-même, pire, ce serait contre-productif et à contre-courant. Le mouvement général veut que la prise de risque repose sur les individus plus que sur les institutions. Et parmi elles l’entreprise qui le plus souvent – et de manière acceptée – n’intègre les jeunes qu’à travers l’enchaînement de stages et précarise les seniors en les externalisant. Plutôt que de regretter des usages révolus, nous voulons mettre l’accent sur des dispositifs performants qui aident notamment les plus faibles à intégrer ou réintégrer le monde du travail. Trois exemples : le CDI intérimaire, les coopératives d’activité et d’emploi, et le portage salarial.
Le CDI intérimaire
Entré en vigueur en mars 2014 (Loi Rebsamen) à la suite d’un accord entre les partenaires sociaux de la branche de l’intérim, le CDI intérimaire est un dispositif original permettant d’offrir un cadre sécurisé, celui d’un CDI avec les bénéfices qui y sont associés, pour l’exercice d’activités par nature temporaires, les missions d’intérim. Lorsque l’intérimaire n’est pas en mission, celui-ci bénéficie de la garantie d’un salaire minimal mensuel (entre 1 et 1,25 fois le SMIC). Il peut en outre suivre une formation durant ses périodes d’ inter-mission afin de développer son employabilité et accéder à une qualification reconnue. Quoiqu’il ne concerne à ce jour qu’un peu plus de 11 000 personnes, le CDI intérimaire s’inscrit dans une logique de flexicurité à la française particulièrement intéressante en apportant aux entreprises la souplesse du recours à l’emploi temporaire et aux intérimaires un cadre pérenne. Il permet en outre à ces publics de ne pas avoir à s’inscrire en tant que demandeurs d’emploi à la fin de chaque mission dans la perspective d’une nouvelle mission. Voir l’article de Metis par Jean-Louis Dayan « Définir le chômage : hard work« .
Enfin, le CDI intérimaire autorise le fait de travailler pour plusieurs entreprises tout en restant dans le cadre d’un contrat de travail unique. Une approche intéressante pour multiplier les expériences ou travailler sur plusieurs projets auprès de différentes entreprises. Serait-ce LA solution pour héberger les activités des multi-actifs dont le nombre va croissant ?
Les coopératives d’activité et d’emploi
Les CAE permettent à des chômeurs de créer leur emploi avec un statut de salarié au sein d’une coopérative. Ils sont accompagnés dans le développement de leur activité, ils profitent de moyens administratifs mutualisés et échappent à la solitude du créateur d’entreprise. Selon Stéphane Veyer, codirigeant depuis 2005 de Coopaname, une des principales CAE françaises :
« les CAE offrent à ces personnes une alternative qui consiste à se créer un emploi salarié au sein d’une entreprise ouverte, organisée sous forme de SCOP (société coopérative ouvrière de production), et partagée entre professionnels. L’entrepreneur peut lancer son activité sans risque, et en cas d’échec, il n’y aura pas de mise en faillite puisqu’il n’y aura pas eu création d’entreprise. S’il doit mettre fin à son contrat de travail salarié, il retrouvera ses indemnités de chômage. Entre-temps, il sera resté intégré au régime général de protection sociale. »
Le service proposé par une coopérative d’activités et d’emploi peut s’analyser comme « une fusée à trois étages » : sécurisation (accompagnement en amont du lancement de l’activité), mutualisation (de la gestion des aspects juridiques, comptables, administratifs, assurantiels, fiscaux, etc., mais aussi de la trésorerie), coopération (les salariés peuvent devenir des associés de l’entreprise collective).
Aujourd’hui, il existe un peu plus de 70 CAE en France, regroupant environ 4 000 personnes dans un réseau appelé Coopérer pour entreprendre. Ce mouvement est devenu, ces dernières années, un acteur important de la création d’activité et du développement économique sur les territoires où ces coopératives sont implantées. Voir les articles de Metis consacrés aux CAE, notamment : « Les coopératives d’activité et emploi, une nouvelle philosophie du travail ».
« Pourquoi attendre un emploi qui n’arrive jamais ? », focus sur les jeunes
Depuis 2009, Coopaname mène des projets spécifiques en direction de la jeunesse, s’inspirant notamment des dynamiques grenobloises initiées par Cap Berriat (pépinière associative). En 2013, Coopaname s’est engagée dans une expérimentation nationale, baptisée Piments, menée sur sept territoires en France et associant des structures jeunesse et des acteurs coopératifs pour favoriser la création d’activités par des jeunes. Piments, c’est tout à la fois des espaces de travail, d’accompagnement et de rencontres réseau, le partage d’outils issus de l’économie sociale et solidaire et de l’éducation populaire, la mise en œuvre d’un compagnonnage, l’hébergement juridique des projets et des emplois.
Le portage salarial
Le propre du portage salarial est de combiner les avantages du salariat avec la liberté d’entreprendre. C’est un système tripartite qui met en relation un consultant, son ou ses clients, et l’entreprise de portage. Le consultant est responsable de sa clientèle. C’est lui qui définit toutes les conditions de sa mission (prix, durée, objectifs). La société de portage prend en charge les démarches administratives.
À la différence des CAE, le portage concerne plutôt des personnes expérimentées qui vendent des compétences intellectuelles. Il devient une voie de retour vers l’emploi pour des chômeurs de plus ou moins longue durée et de maintien dans l’emploi pour des seniors qui doivent travailler de plus en plus longtemps. Avec une forte croissance, de l’ordre de 15 à 20 % par an, le portage concerne aujourd’hui, près de 70 000 travailleurs.
Preuve de ce succès, le gouvernement a officiellement annoncé sa volonté de créer la branche professionnelle du portage salarial avec une convention collective qui devrait permettre notamment de développer l’accompagnement et la formation des intervenants.
Pour conclure
Ainsi, contrats d’intérim en CDI, CAE, portage salarial sont des voies vertueuses de sortie du chômage – ou de non entrée dans le chômage. Les risques courus par les actifs sont minimisés par leur inscription dans des structures intermédiaires qui les accompagnent dans la recherche de leur place sur un marché du travail en recomposition permanente. En ce sens ils représentent une bonne combinaison de liberté et de sécurité.
Pour en savoir plus :
(1) INSEE Première – décembre 2006
(2) Sur 550 700 entreprises créées en 2014, 283 400 l’ont été sous la forme d’auto – entreprises, sans compter les créations d’entreprises individuelles de type SASU, EURL – (94) : Insee Première N° 1534 – janvier 2015
(3) Enquête « Sortants de formation 2014 », Éclairages et Synthèse – Juillet 2015 N° 13 – Pôle Emploi
(4) Enquête sur l’insertion à 6 mois des contrats de professionnalisation et sur la qualité de l’alternance – TNS Sofres pour FPSPP – Mai 5 mai 2014
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