9 minutes de lecture

En 2016, Jean-Marie Bergère a publié sur le site Raconter la vie, dont Metis a souvent parlé, le portrait d’une attachée parlementaire au Sénat, sous le titre Dans la fabrique des lois : le parcours, le travail d’Amélie, ses satisfactions et ses limites. En voici quelques extraits, juste pour le clin d’oeil et vous donner envie d’aller sur le site.

 

raconterlavie

J’ai rencontré Amélie au Sénat. Nous étions assis côte à côte lors d’une réunion du Conseil scientifique chargé de préciser les orientations du colloque « Santé et Travail : repenser les liens ». Amélie est l’assistante parlementaire de la Sénatrice (communiste) qui a accepté de « marrainer » la manifestation. Ce jour-là, elle préside avec affabilité la réunion de préparation qui se tient dans une salle du Sénat. Elle est au centre du vaste U formé par les tables. Elles sont massives, en accord avec les lieux.

Amélie est à une des extrémités du U, proche de la porte. Pendant la réunion elle est attentive et discrète. Elle attend qu’on la sollicite et répond avec précision. Mes amis qui ont eu l’initiative du colloque et sont au cœur de son organisation me diront ensuite combien Amélie a été précieuse, au fait du thème de la journée, curieuse d’en apprendre plus auprès des intervenants et organisatrice efficace.

/…/

 

J’ai eu envie d’en savoir plus sur Amélie et sur ce métier qu’elle exerce dans un Palais de la République, construit au XVIIe siècle dans une propriété appartenant au duc de Luxembourg, décoré par Rubens et voulu par la reine Marie de Médicis, que l’on dit dévote, jalouse et intrigante. Je me faisais une idée plutôt négative des assistantes et assistants parlementaires. Au discrédit général qui entoure les politiques et leurs entourages s’ajoutait l’observation directe de quelques cas précis. En région, où j’ai travaillé avec bonheur une dizaine d’années en relation étroite avec les élus et les fonctionnaires d’un Conseil régional, le travail de collaborateur de parlementaire, du moins ce que j’en avais vu, consistait à relayer sans discernement ni analyse toutes les demandes d’électeurs potentiels. /…/

La propension de quelques élus à recruter leur compagne ou leur épouse comme assistante – je n’ai jamais entendu dire qu’une élue avait recruté son mari… – n’arrange rien. Le fait que certains épousent leur assistante, non plus. Même si ces cas sont rares et si le Parlement n’a pas l’exclusivité de cette symbiose entre l’affectif et le professionnel, cela n’améliore pas l’image du métier.

Amélie n’a pas ce profil. Son métier, assistant ou collaborateur de parlementaire, est exercé par un millier d’hommes et de femmes au Sénat et par environ 2000 personnes à l’Assemblée nationale. Ils sont recrutés par les 348 sénatrices et sénateurs et les groupes politiques qu’ils constituent et, dans des conditions un peu différentes par les 577 députées et députés. Ils sont proches de la lumière et des ors de la République mais nous savons peu de choses sur leur quotidien et leurs activités. Leur métier s’exerce dans l’ombre. Comme si l’invisibilité des uns était la condition de la visibilité des autres.
/…/

Un grand bureau et deux fauteuils pour la sénatrice et ses invités. Collé contre lui, un bureau d »appoint pour Amélie. Partout les hiérarchies se matérialisent : épaisseur de la moquette, taille du bureau, étages supérieurs. L’élu et son collaborateur travaillent en interaction constante et dans une très grande proximité, jusqu’à partager un bureau pas spécialement vaste. Et pourtant ils semblent radicalement séparés. A l’un la lumière, à l’autre l’obligation de se tenir dans l’ombre.

Le fait d’être démocratiquement élu, ou non, « l’asymétrie de légitimité » qui en résulte, introduit une forte distance symbolique. Sans qu’on sache s’il s’agit pour les élus de préserver leur fonction contre une technostructure facilement envahissante ou du désir inavoué de signifier la supériorité de ceux qui sont « élus »
/…/

 

Un adhérent du PCF est mal voyant. Il vit comme une injustice le fait que de plus en plus souvent ses démarches, y compris auprès des services publics, l’obligent à utiliser un numéro de téléphone surtaxé. /…/ Un mail arrive à Amélie. Son travail commence. Le débat sur le projet de « Loi pour une République numérique » est programmé pour les semaines suivantes. Elle comporte un volet « Handicap ». C’est une opportunité. Il faut aller vite et repérer le bon emplacement pour une proposition d’amendement. Ce sera l’article 43. Il est possible d’y ajouter un « article additionnel » qu’Amélie rédige.

Pour proposer le dépôt et la défense de cet amendement, Amélie a enquêté dans deux directions. De quels soutiens cette proposition pourrait-elle bénéficier ? Qu’en pensent les associations regroupant les personnes en situation de handicap ? Elles sont les mieux placées pour nourrir un solide argumentaire./…/

 

Finalement l’amendement sera retiré avant même d’être soumis au vote. Un concours de circonstances. Un aléa. Le gouvernement a accéléré le rythme de présentation des amendements relatifs à la Loi Numérique. La discussion sur l’amendement préparé par Amélie, argumentaire compris, est programmée pour la soirée. L’agenda de notre sénatrice ne lui permet plus de le présenter elle-même. Un collègue accepte volontiers de s’en charger. Il est tard lorsque l’amendement vient à l’ordre du jour…
/…/

Amélie s’interroge sur l’efficacité de son action. À quoi bon déposer cet amendement ? Comment justifier ce travail lorsque les chances d’aboutir sont si minces ? Notre échange se fait plus vif. Nous touchons au fond de ce qui permet à chacun de se dire « j’ai fait du bon boulot ». /…/

Lorsqu’on appartient à un groupe minoritaire, on n’est pas associé à la rédaction des projets de loi. Déposer des amendements permet de prendre la parole, de faire connaître son point de vue. Amélie rédige les amendements, la présentation qui en sera faite en séance pour le défendre et l’explication de vote. Il faut anticiper sur la position qui sera défendue, avoir une communauté de pensée avec sa sénatrice. L’organisation du travail, les navettes entre l’Assemblée nationale et le Sénat, laissent peu de temps pour en débattre ou recevoir une « commande » en bonne et due forme.

D’une façon générale, un assistant parlementaire est plutôt un généraliste.
/…/

Une centaine de mails est adressée chaque jour à la sénatrice. Il faut y répondre ou les transférer à ceux qui le feront. Amélie partage la fonction d’assistante de la sénatrice avec une collègue basée en circonscription. À elle, et à sa secrétaire, les relations locales et avec les élus du département. En raison du mode de scrutin, ce travail « en circonscription » est moins important que pour un député, mais il ne faut pas le négliger. À Amélie le travail « parisien », le travail législatif.
/…/

 

La charge de travail des collaborateurs est soumise à de grandes variations en fonction de l’actualité législative. L’ordre du jour du Parlement détermine sans négociation possible les dates butoirs et les échéances qui en dépendent.
/…/

 

Amélie a été recrutée suite à une annonce dans le journal spécialisé La gazette des communes. Elle n’est pas « encartée » mais elle ne se voit pas travailler sans que ses convictions y trouvent leur compte, sans être en accord avec une éthique qui la porte, à laquelle elle tient. Elle est à la « gauche de la gauche ». Elle aime manifester, être partie prenante des mouvements, être citoyenne active.
C’est sans doute ce qui l’a poussée à quitter une petite ville pour s’inscrire à Sciences Po Paris. Elle y a dédaigné les filières et les cursus les plus prestigieux. Elle s’y est intéressée au Moyen-Orient, au point de passer une année au Yemen, où elle a appris l’arabe. /…/

Une première expérience professionnelle dans l’accompagnement des Comités d’Entreprise, et puis cette annonce. Actuellement Amélie a un autre projet. Elle prépare le concours d’inspecteur du travail. Une autre façon d’œuvrer à « un monde meilleur » ?

Les collaborateurs de parlementaires le restent en moyenne trois ans. Il est difficile de valoriser une telle expérience. La fonction publique territoriale attire certains.

Avec quelques collègues Amélie a créé une section syndicale CGT. Une convention collective pour tous les collaborateurs de parlementaires est en gestation. Il y a des droits à faire valoir. Le travail de nuit, fréquent, n’est pas pris en compte. Il n’y a pas d’heures supplémentaires payées. L’éventail des salaires est large, de un à cinq sans doute. Au passage les assistantes et assistants parlementaires deviendront tous des collaboratrices et collaborateurs d’élus, au même titre que ceux qui travaillent pour les groupes. Une petite victoire symbolique, un surcroît de prestige pour ce métier méconnu et difficile à définir.

La création de cette section syndicale CGT doit permettre d’améliorer le quotidien : horaires, grille salariale, séparation entre vie privée, militantisme et engagement professionnel. Cette question revient plusieurs fois. Certains assistants ou collaborateurs peuvent consacrer du temps à des tâches « d’aidant familial » pour des élus seuls à Paris plusieurs jours par semaine. Une partie des locaux du Sénat est conçue pour loger l’élu et lui servir de bureau, partagé avec son assistant ou son assistante. D’où quelques situations gênantes lorsque celui-ci ou celle-ci trouve son parlementaire au saut du lit, en peignoir… Il y a un peu d’ordre à mettre dans la profession.
Les collaborateurs des députés travaillent différemment. Pour eux, la pression est plus grande, les délais plus courts. /…/

Pour les collaborateurs des groupes et des élus n’y a pas de promotion ni de carrière, sauf si « son » élu devient ministre et qu’on rejoint son cabinet. Mais cela reste très incertain ! Ce travail confirme plutôt la règle selon laquelle « il mène à tout à condition d’en sortir »…

 

 

Print Friendly, PDF & Email
+ posts

Directeur d’une Agence régionale de développement économique de 1994 à 2001, puis de l’Association Développement et Emploi, devenue ASTREES, de 2002 à 2011. A la Fondation de France, Président du Comité Emploi de 2012 à 2018 et du Comité Acteurs clés de changement-Inventer demain, depuis 2020. Membre du Conseil Scientifique de l’Observatoire des cadres et du management. Consultant et formateur indépendant. Philosophe de formation, cinéphile depuis toujours, curieux de tout et raisonnablement éclectique.