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Quelles sont les voies pour lutter contre la pauvreté, contre la privation d’emploi, contre l’exclusion sociale ? Louis Gallois préside la Fédération des Acteurs du Social (FAS) et l’expérimentation Territoires Zéro chômage longue durée. Il est également Président du Conseil de surveillance du groupe automobile PSA. Il répond ici aux questions de Metis :
Source : La Fabrique de l’industrie/ contributeurs/ Louis Gallois
Partons des réalités actuelles du marché du travail : un chômage structurel très ancré dans la société, une dualisation avec d’un côté des emplois qualifiés et très qualifiés et de l’autre des « bad jobs » (emplois de moindre qualité et précaires), et du coup de la pauvreté et un grand nombre de « working poors ». Les filets de protection sociale existent en France, et résistent plutôt bien, mais ils ont été pensés pour une société assez différente de celle d’aujourd’hui. Prenons l’exemple du lien revenu/travail : on a aujourd’hui une grande quantité de gens qui à la fois travaillent et perçoivent une allocation sociale (2 millions de demandeurs d’emploi qui travaillent en activité réduite, 1, 7 million de gens qui travaillent et touchent la prime d’activité). Que penser de ces situations ? Cette économie « de petits boulots » n’est-elle pas une voie pour aider des gens à sortir de la pauvreté ?
Oui, les travailleurs pauvres sont plus nombreux en France. Ils sont de plus en plus présents dans nos centres d’hébergement, ce qui est nouveau. Ce sont ceux que décrit Florence Aubenas dans Le Quai de Ouistreham. Les petits jobs jouent un rôle important dans ces nouvelles situations de pauvreté ; et, plus grave peut être, les personnes concernées ont les plus grandes difficultés à « se sortir » de ces situations où des emplois de mauvaise qualité sont mal complétés par les différentes allocations sociales.
Ces emplois, précaires, déqualifiés, n’apportent pas la reconnaissance et la dignité qui devraient être associées au travail. La problématique des emplois de type « Uber » est un peu différente : dans un premier temps, ils peuvent offrir à des jeunes des banlieues un revenu, une liberté et quelque chose qui ressemble à la « dignité » du travail, sans parler du costume (qu’ils doivent payer) ou de la grosse voiture (noire de préférence et qu’ils doivent aussi payer). Mais ils n’apportent pas de protection sociale convenable (en termes d’assurance-maladie, d’assurance chômage, de droits à la retraite…) et le « reste à vivre », déduction faite des coûts professionnels est, le plus souvent, très faible. La menace permanente de la cotation par les clients rajoute un élément de précarité, souvent ressenti comme injuste.
En même temps ce n’est pas satisfaisant : les taux de non-recours aux minimas sociaux demeurent très importants (bien qu’en baisse), les gens sont confrontés à une bureaucratie démoralisante ou aux difficultés de l’inscription en ligne au RSA. Faut-il réformer et simplifier les minimas sociaux (Rapport Sirugue) ou imaginer quelque chose de totalement différent comme le revenu universel, ou le revenu décent, ou le revenu d’existence ? Quelle est la position de la – Fédération des acteurs de la solidarité – (la FNARS est devenue la Fédération des Acteurs de la Solidarité en janvier dernier) sur ces sujets ?
La Fédération des Acteurs de la Solidarité ne s’est pas prononcée formellement sur le revenu universel. En revanche, elle a soutenu l’idée promue par Christophe Sirugue dans son rapport parlementaire d’une fusion des minima sociaux existants. Elle a elle-même proposé un revenu minimum décent, pour que personne en France ne vive avec moins de 850 € par mois – il s’agit donc d’un revenu complémentaire, ouvert dès 18 ans. La prime d’activité (fusion du RSA activité et de la prime d’emploi) est maintenue pour inciter à l’emploi et l’APL (Allocation Personnalisée au Logement) également, tant elle joue un rôle majeur pour permettre de combattre le mal-logement des plus fragiles. Le coût de cette mesure est élevé – de l’ordre de 30 milliards – elle peut sans doute être mise en œuvre progressivement, mais elle constitue une attaque massive du problème de la grande pauvreté, qui touche plusieurs millions de nos concitoyens et constitue un scandale dans une société aussi riche que la nôtre.
À titre personnel, je suis beaucoup plus réservé à l’égard d’un revenu universel intégral, c’est-à-dire versé à tous sans condition de ressources, notamment en raison de son coût – plusieurs centaines de milliards d’euros si on le situe à un niveau proche du revenu minimum décent -, mais aussi à cause du risque qu’il ferait peser sur les autres prestations sociales.
Vous présidez l’expérimentation lancée par ATD Quart Monde « Territoires zéro chômage longue durée » dont on a souvent parlé dans Metis : c’est un peu l’inverse du revenu universel. Il ne s’agit pas de regarder le travail se réduire comme peau de chagrin, mais d’étendre le domaine du travail. Il s’agit de « transformer » les allocations chômage et d’autres dépenses liées au chômage en salaire correspondant à un vrai travail. On part du besoin d’activités qui ne sont pas réalisées aujourd’hui (activités de solidarité, de travaux liés à l’environnement…) et on en profite pour proposer des solutions d’insertion par le travail à des personnes qui s’en sont beaucoup éloignées. Est-il possible, réalisable d’enclencher ce type d’utopie positive ? A quelles conditions ?
En fait, ATD Quart Monde qui a lancé l’idée et Patrick Valentin qui en a été l’« inventeur » et en est le maître d’œuvre, sont partis de trois convictions : 1) tout le monde est employable et a droit à l’emploi. On vise donc l’exhaustivité sur un territoire donné. 2) Il y a beaucoup d’activités utiles même si elles ne sont pas « marchandes » ; enfin, 3) il y a de l’argent pour payer ces emplois au SMIC si on mobilise toutes les dépenses liées au chômage de longue durée. A partir de ces convictions, des entreprises sont créées : dont le produit principal est l’emploi. On les appelle « entreprises à but d’emploi ». Ces emplois doivent, bien sûr, être utiles, reconnus comme tels par celui ou celle qui les exerce et par l’ensemble de ceux pour lesquels ils se développent. A priori, on ne vise pas la productivité maximum qui conduirait à sélectionner les profils, mais chacun doit pouvoir travailler en utilisant toutes ses capacités. Enfin, ces emplois ne doivent pas concurrencer les emplois existants pour ne pas risquer de créer des emplois en en détruisant d’autres. La frontière est bien sûr mouvante.
Comment faire pour que ces emplois-là ne viennent pas en concurrence avec les emplois marchands, par exemple des entreprises du secteur du BTP ? La voie est étroite…
L’une des clés de la réussite est de rechercher l’accord des partenaires locaux, y compris des entreprises. C’est dans ce dialogue que les emplois seront reconnus comme concurrents ou non.
Mais la gamme des emplois utiles « non concurrents » est presque sans limites : quelques exemples : débroussaillage dans les forêts du Midi contre l’incendie, mise en valeur d’un potentiel touristique, aide à la garde et à l’animation des enfants après la classe, recyclage et économie circulaire, aide aux artisans locaux pour des tâches administratives ou pour tenir des permanences téléphoniques, mobilité des personnes âgées isolées, animation culturelle… Dès lors qu’il y a accord local et volonté de mettre en valeur les compétences et les envies des demandeurs d’emploi, il y a plus d’emplois utiles « prenant soin des gens et des choses » comme le dit Patrick Valentin que de personnes à embaucher ! C’est ça qui est passionnant dans cette expérimentation.
Les problèmes de concurrence se posent, mais la solidarité active au plan local peut permettre de les dépasser.
Comment est-ce que cela fonctionne au plan financier ?
Il faut que les économies réalisées par la mise en emploi bénéficient à l’opération et que, par exemple, les Conseils départementaux acceptent d’allouer à l’entreprise « à but d’emploi » l’équivalent du RSA non versé. Ce n’est pas simple, mais nous travaillons dès maintenant à la comptabilisation des économies réalisées et au moyen de les faire converger vers les entreprises à but d’emploi.
Pensez-vous qu’il soit possible d’en tirer des leçons plus générales ? Pour les politiques en direction des jeunes par exemple ?
Probablement. Cette expérimentation permet d’aborder certains sujets liés à l’avenir du travail pour tous. Jean-Noël GiraLud parle de l’homme « inutile », celui dont la société, du fait de la mondialisation, n’aurait, en quelque sorte, plus véritablement l’emploi ! Chômeurs de longue durée, travailleurs précaires, travailleurs pauvres, titulaires de mini jobs… L’expérimentation répond à cela en partant de la problématique opposée : il y a une masse considérable d’emplois utiles que le « système mondialisé » ne connaît pas et ne reconnaît pas, mais qui peuvent apporter du bien-être à la société, produire du lien social, et, plus avant, faire germer des pousses d’activités innovantes. Lorsque le financement de ces emplois n’est pas assuré par le marché, il relève de la solidarité. Mais d’une solidarité bien ordonnée car elle profite à tous !
Convaincre les jeunes de s’engager dans cette « aventure » n’est pas évident : ils sont méfiants ; ils craignent que ça ne débouche sur rien, sinon sur de nouvelles impasses. Il faut surmonter ce scepticisme ; c’est possible quand on voit le succès de la garantie jeunes ou du service civique. Il faut travailler avec les jeunes sur la qualité du message qu’on leur adresse pour en faire des acteurs majeurs de cette expérimentation.
Je rappelle que 23 % des 18-25 ans sont sans emploi et que le taux de pauvreté des jeunes atteint 20 % contre 14 % pour l’ensemble de la population française. Il y a donc un enjeu majeur dans le fait de les mettre en emploi avec un niveau de ressources décent. C’est la meilleure « deuxième chance » que l’on puisse apporter à ceux qui ont « décroché » scolairement ou galèrent face à un marché du travail qui ne les accueille pas.
En fréquentant à la fois le monde économique des grands groupes internationaux et ce qu’il est convenu d’appeler « le monde associatif » : les voyez-vous comme radicalement différents et opposés ?
Ce sont deux mondes très différents. Mais il me semble qu’il y a un enjeu important pour le monde associatif de s’ouvrir à de nouveaux partenaires et de sortir d’un certain entre-soi. Les entreprises publiques et privées sont des partenaires incontournables de la lutte contre le chômage de longue durée. Certaines agissent déjà dans ce sens, notamment les Groupements d’Entreprises pour l’insertion et la qualification (GEIC) avec lesquels la Fédération des Acteurs de la Solidarité travaille.
Pour en savoir plus :
– Metis, « Mettre l’homme inutile au cœur de la politique économique », par Pierre Maréchal – 11 Janvier 2016
– Metis, « Des territoires zéro chômage de longue durée : une utopie en marche » – par Patrick Valentin, Pierre Maréchal – 12 Décembre 2015
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