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par Yanis, propos recueillis par Fanny Barbier

Pour ce dossier sur le travail dans la fonction publique, il était important d’avoir le point de vue d’un élément clé des services régaliens de l’État alors que notre pays est depuis si longtemps en état d’urgence, à savoir un membre de la police. Vous allez lire ici ce que Yanis (son prénom a été changé) a à dire sur sa fonction de policier, sa vision du métier, sa vision de la police en général. Voici les propos d’un homme engagé et en colère…

 

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Avant d’entrer dans la police, Yanis a travaillé dans la sécurité pour une entreprise privée, puis, pendant cinq ans, il a été aide-éducateur dans une école de Seine-Saint-Denis. Un jour de 2003, à 28 ans, s’est demandé « pourquoi ne pas devenir assermenté ? » Il s’est préparé seul au concours de la police nationale, qu’il a passé en 2004 pour intégrer l’École de Nîmes, « J’aurais pu me retrouver n’importe où en France. » La formation dure un an, avec une alternance de cours théoriques (comment rédiger un PV, applications informatiques,…), pratiques (formation au tir…), de mises en situation (« pour apprendre à réagir dans des situations complexes ») et d’un stage de trois mois en commissariat. « À la fin de l’année de formation, on est tous réunis dans un ampli, où est affichée la liste des postes à pourvoir, chacun choisit son affectation en fonction de son classement et de ses souhaits. »

Dès le premier jour du stage, on se fait une idée
Yanis choisit la ville de Stains (93) pour faire son stage de trois mois. « Le premier jour, je me retrouve dans une voiture du commissariat avec deux autres stagiaires. Des jeunes à qui on demande leurs papiers refusent d’obtempérer, quittent leur véhicule et partent en courant. Nous, stagiaires, notre premier réflexe est de les courser. Le chauffeur, un plus ancien, avec qui on était, nous a dit qu’on ne pouvait pas y aller. »

Les horaires de travail, le travail de nuit, puis la bascule entre travail de nuit et de jour… « Je me souviens avoir été très nerveux pendant toute cette période. Quand on travaille dans une banlieue, on est stressé par la fatigue et par la peur d’avoir à intervenir dans un milieu hostile. On finit par prendre tous les gens pour des ennemis. »


C’est le métier qui rentre

« À l’école, on apprend qu’on est policier 24 heures sur 24. Mais quand on est stagiaire, on n’a aucun recul. Une autre fois, je faisais des courses dans un centre commercial, en dehors de mes heures de service. Je vois un jeune voler une bouteille d’alcool, je le course, l’arrête sur le parking. J’appelle les confrères, pour eux je suis « encore un stagiaire qui fait des siennes ». Aujourd’hui, je n’interviendrais plus dans cette situation».

« Quand on sort de l’école, on voit toujours le drapeau, on se prend pour un sauveur. Et quand on arrive sur place, les anciens nous disent comment réagir. Ça permet de prendre du recul parce que, quoi qu’on fasse, on n’a aucune reconnaissance. On fait bien, c’est normal. On prend des risques, c’est normal. Avec le Code de déontologie (qui explicite ce qui peut être fait et ce qui ne peut pas l’être), on a tendance à se sentir pieds et poings liés. L’État ne nous protège pas, ne nous est pas reconnaissant. Les citoyens nous en veulent. Tout cela change notre vision du policier sauveur. Petit à petit, on a tendance à penser garder son job, à ne pas prendre trop de risques. On n’intervient qu’en cas d’extrême urgence. C’est le métier qui rentre. »


Un problème de confiance

« En France, le métier de policier est de moins en moins valorisé. Cette dévalorisation commence par l’uniforme « casquette et polo » qui donne l’impression d’être un jeune qui ramasse les balles sur un court de tennis… L’autorité est impossible sans le charisme lié à l’image donnée par la tenue qui doit inspirer le respect du représentant de la loi !

On a du mal à continuer la lutte pour laquelle on s’est engagé. Le problème est que le droit à la présomption d’innocence n’est pas reconnu pour un policier. Par exemple quand une foule nous fonce dessus, on n’a pas le droit de tirer, il faut courir. Le Code (de déontologie) protège les citoyens, c’est bien. Il évite que la police se transforme en justiciers du Far West, mais cela donne moins de confiance aux policiers pour intervenir. La confiance devrait venir de l’État. On devrait pouvoir agir en toute légitimité et en toute confiance. Si on n’est pas en confiance, on n’est pas en pleine possession de ses moyens».

La politique du chiffre
« Le problème d’aujourd’hui, c’est la politique du chiffre, établie par N. Sarkozy qui a décrété que le service public devait fonctionner comme une entreprise. Cette politique a complètement faussé le travail du policier qui normalement demande une certaine philosophie, une certaine morale, un certain discernement, tel que notre formateur nous l’a enseigné à l’école. Il ne doit pas agir comme un robot, mais comme un humain puisqu’il a affaire à des êtres humains. Cette politique du chiffre, avec ses logiciels, ses tableaux à remplir va permettre de verser des primes à tous ceux qui sont en haut, depuis l’officier, en passant par le commissaire, le directeur général, etc. Chacun se gratifie d’être la cause de la réussite de son sous-fifre. L’État fait des économies sur les gens du terrain qui font le chiffre et prennent des risques, qui sont vraiment au service des citoyens, via le gel des effectifs, la vétusté des équipements, des locaux, le gel des salaires… l’argent va à la hiérarchie. »


Les syndicats

« La police, c’est une grande maison dont les membres devraient être solidaires. Quand on est débutant, on ne comprend pas pourquoi il existe plusieurs syndicats alors que tous les policiers ont les mêmes intérêts ! Puis, au fur et à mesure, vous vous rendez compte que chaque syndicat s’occupe d’un corps de Police et… pire a une couleur politique ! Vous comprenez que, dans les faits, ils représentent un outil de division et de discorde au sein d’une institution qui se veut unie. Leurs responsables profitent d’avantages de toute nature. Voilà pourquoi de nombreux policiers bravent les interdits et organisent des manifestations à Paris – loin des syndicats qui ne représentent plus qu’eux-mêmes -, hélas non relayés médiatiquement. Néanmoins, on reconnaît aux syndicats une utilité dans le dialogue avec la hiérarchie. »


Sans l’État et sans les citoyens

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Depuis 2007, Yanis travaille dans un aéroport parisien. C’est un incident intervenu à la fin de son stage, qui l’a fait choisir cette affectation. « Avec un collègue, on nous a demandé de faire une vérification d’adresse dans une cité. On arrive en bas des immeubles, on voit un jeune nous faire signe de venir avec des gestes agressifs, comme s’il nous attendait. À ce moment, trente autres jeunes sortent du bâtiment. Alors qu’on était juste venu faire une vérification d’adresse, on a été obligé de rejoindre la voiture qu’on avait cachée, de demander assistance à tous les véhicules environnants… Je ne pouvais pas continuer dans cette voie. Sans l’État, sans les citoyens. J’ai décidé de prendre une place moins stressante. C’est comme ça que j’ai choisi la Police Aux Frontières. »

Yanis effectue alors une spécialisation « aéroport » et parvient avec son affectation à se rapprocher de son domicile. « Certains attendent quinze ans pour y arriver ! »


« La monnaie » dirige le monde

« À l’aéroport, on se rend très vite compte qu’on n’est plus dirigé par des policiers, mais par l’entreprise qui dirige l’aéroport. Ce sont des agents de l’aéroport qui viennent chronométrer le temps qu’on met pour contrôler les passagers d’un vol. Et il y a de plus en plus de vols… Il faut demander la permission pour faire une pause technique. Il existe une file spéciale pour les passagers en classe affaires ou business : eux ne font pas la queue, contrairement aux autres, pour se faire contrôler, alors que la police est un service public. On se rend compte aussi de certaines inégalités : les militaires américains passent la frontière avec une simple carte professionnelle, un militaire français doit présenter son passeport ou sa carte nationale d’identité. »

Yanis me fait part du témoignage d’un collègue contrôleur de Sûreté pour la Police Aux Frontières. Celui-ci doit notamment effectuer le contrôle de sûreté des agents privés, infliger des manquements moraux ou physiques aux agents à sanctionner, qui peuvent aller jusqu’à leur licenciement. « Là aussi, on doit faire du chiffre, avec une notation nominative. À un collègue qui ne fait pas beaucoup de chiffre, on lui dit qu’il doit justifier son salaire. Ce n’est plus un travail de policier, mais du lynchage. Cette politique éloigne le policier du citoyen, puisqu’il n’y a plus possibilité de discuter. S’il y avait du respect des citoyens envers les policiers, le policier serait valorisé, son travail s’en ressentirait. »


L’état d’urgence, la montée du communautarisme et une interprétation vague de la laïcité

« Dans la société, le terrorisme a jeté un discrédit de certains citoyens envers les autres et notamment les musulmans. Notre milieu de travail en a lui aussi été affecté, alors qu’il y régnait déjà un esprit de concurrence et de méfiance. Entre policiers, certains se regardent de travers, c’est du pain béni pour les extrémistes. Il règne un climat de suspicion, le communautarisme augmente, même entre policiers. Au lieu d’avoir une police homogène qui fait corps face à l’adversité, on a des petits clans qui se forment, avec ceux qui viennent des îles, les maghrébins, les chtis, etc. Certains policiers se demandent si on pourra compter sur tel ou tel en cas d’attentat islamiste. Et c’est, paraît-il, la même chose dans l’armée.

 

Lorsqu’une règle ou une loi est laissée sans une interprétation unique alors la porte est ouverte à tous les dangers, c’est le cas de la laïcité. À l’aéroport, il m’a été donné d’observer un collègue qui demandait aux femmes de confession musulmane d’ôter leur foulard afin de contrôler leur identité alors que souvent leurs visages étaient clairement visibles ! »

Promotion ?

« Je suis policier de terrain, j’appartiens au Corps d’encadrement d’application. Si je veux monter en grade, il faut que je passe des concours. Mais je me sens trop fatigué, pour suivre des cours et passer les concours dont la réussite dépend des postes à pourvoir. Quand on est officier, on passe les grades automatiquement, à l’ancienneté. Au sein de notre corps, si le chef de Brigade n’a aucun reproche à formuler concernant ses effectifs, son responsable peut lui reprocher d’être trop proche de ses effectifs et mettre à mal son avancement et sa carrière. Ceci pousse les chefs à épier le moindre défaut d’un effectif pour pouvoir gagner la confiance de sa hiérarchie et ouvrir la voie à une promotion. Néanmoins, certains passent les grades sans examen par le copinage… J’aurais souhaité que cela m’arrive d’être promu, mais je suis une personne ordinaire et coupée de l’arbre, comme la majorité silencieuse je ne peux qu’observer… »


Les points positifs

« Je ne regrette pas du tout d’être entré dans la police, je me suis adapté à la réalité. Les points positifs que je vois, c’est se sentir appartenir à un corps, avoir un rôle très important dans la société, même si les gens ne vous l’accordent pas. Le besoin des policiers aura duré une semaine après les attentats… quand ils nous rencontraient, les gens nous faisaient savoir qu’ils étaient rassurés de notre présence et cela nous faisait chaud au cœur de lire le sentiment de reconnaissance dans leurs yeux. Cela nous renvoyait à notre véritable mission, celle de la protection des personnes et des biens. Non celle de simples agents verbalisateurs ou cogneurs (CRS…). Personnellement, devenir policier m’a beaucoup apporté : une identité, une appartenance, surtout depuis la fin du service national et surtout pour quelqu’un issu de l’immigration comme moi et qui a conscience de porter une responsabilité qui est de donner une image, un exemple d’intégration pour les siens. »

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