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par Nicola Düll, Tim Vetter et Lara Dunst

Nicola Düll (membre du Comité de rédaction de Metis), Tim Vetter et Lara Dunst (Economix Research & Consulting, Munich) ont eu récemment l’occasion de faire un bilan quantitatif et qualitatif des « mini jobs » en Allemagne. En voici un résumé :

 

minijobs

 

Les petits boulots (c’est la notion de « mini-job » qui est utilisée en Allemagne) sont aujourd’hui des contrats de travail qui génèrent un revenu ne dépassant pas 450 euros net par mois. S’ajoutent des contributions à la sécurité sociale (clairement réduites pour des emplois chez des particuliers et légèrement réduites dans d’autres secteurs d’activité), ainsi qu’une possible exemption des contributions à l’assurance retraite, dont la plupart des personnes font usage. Les revenus sont imposables à un taux de 2 %, ce qui est intéressant lorsqu’ils sont cumulés avec d’autres revenus. Le cumul d’un mini-job avec un emploi à mi-temps ou à plein temps est possible, ainsi qu’avec une pré-retraite, une retraite complète et dans certaines circonstances avec les minima sociaux. Quand la personne n’a pas un autre emploi régulier rémunéré, plusieurs mini-jobs peuvent être cumulés jusqu’à ce que le plafond de 450 euros soit atteint. Si les revenus de la personne ayant un minijob sont très faibles (en dessous du seuil imposable), elle peut opter pour une imposition fiscale selon les règles générales et dans ce cas-là ne paie pas d’impôts.

Aujourd’hui environ 7,6 millions des travailleurs ont un petit boulot, soit presque un cinquième des salariés (chiffres 2016). Pour 4,9 millions d’entre eux, le ou les petits boulots représentaient l’unique revenu d’emploi. Les autres 2,7 millions de « mini-jobbers » avaient un petit boulot en plus de leur emploi régulier. Leur nombre a fortement augmenté depuis 2003 (date de la dernière grande réforme des mini-jobs), alors que le nombre de ceux qui n’avaient qu’un (ou plusieurs) mini-job(s) n’a pas beaucoup changé depuis 2003. Ils diminuent même depuis 2009/2010. Plusieurs facteurs contribuent à expliquer cette évolution : d’une part la nécessité pour certains de compléter leur salaire faible avec un petit boulot et d’autre part un nombre croissant de travailleurs à revenu faible et moyen qui par ce biais économisent sur les charges et surtout sur les impôts sur le revenu.

Qui sont les travailleurs avec un petit boulot ?


Selon des données de l’enquête du Panel socio-économique (SOEP) de 2014, les grands groupes des personnes ayant un petit boulot sont les suivants :

– 24,5 % sont des femmes (et hommes) au foyer
– 18,8 % des élèves et étudiants
– 17,8 % sont des retraités
– 11,2 % sont des chômeurs
– 11,4 % cumulent un emploi à mi-temps et un mini-job et 12,3 % des personnes cumulent un emploi à plein temps et un minijob.

Les personnes qui ont un petit boulot sont plus souvent des femmes que des hommes, bien que depuis 2003 leur part soit passée de 64 % à 60 % de tous les « mini-jobbers ». La part des mini-jobbers qui ont entre 55 et 64 ans a augmenté de 14 à 17 % (une croissance moins forte comparée à la croissance de l’emploi régulier des 55-64 ans) et la part de ceux qui ont 65 ans et plus est passée de 10 à 13 % entre 2003 et 2016, alors que la part de ce groupe d’âge est faible parmi les travailleurs dépendants réguliers.

 

Les mini-jobbers ont un niveau de qualification nettement inférieur à la moyenne des salariés. L’écart est d’autant plus important que le ou les petits boulots sont leur seule forme d’emploi. Typiquement les mini-jobs de ceux qui n’ont pas d’autre emploi à mi-temps ou à plein temps se trouvent dans le secteur du commerce et de réparation de véhicules (19 % en décembre 2016), des hôtels et restaurants (12 %), des services sociaux et de santé (12 %), et des services de support administratif (11 %).

Les petits boulots : des finalités variées au cours du temps


Quand le concept de « mini-job » a été introduit dans les années 1960 et 70, le but était d’augmenter le volume de travail. Cette époque était marquée par une pénurie de main-d’œuvre. Il s’agissait surtout d’inciter les femmes au foyer à prendre un emploi. A cette époque les petits boulots étaient définis comme des petits mi-temps allant jusqu’à 15 heures par semaine. L’exemption ou la réduction de cotisations sociales était plus importante qu’aujourd’hui. Effectivement, le système de sécurité sociale et le système d’impôts incitaient faiblement les femmes à reprendre un emploi : les femmes mariées étaient (et sont toujours) couvertes par l’assurance maladie de leur mari si elles ne travaillent pas et touchent des pensions de veuves en cas de décès de leur conjoint. Le système d’impôts pénalise l’emploi du conjoint, suivant le principe du « splitting » des revenus entre époux : les plus avantagés fiscalement sont les couples dans lesquels une seule personne travaille. Le dispositif des petits boulots tendait donc à réduire ces barrières à l’emploi.

Dans un contexte de chômage élevé dans les années 1990 et au début des années 2000, les grandes réformes du marché du travail, dites réformes Hartz, ont réformé l’outil « petits boulots » avec pour finalité de combattre le chômage. Les mini-jobs ont été définis par un plafond de rémunération de 400 euros en 2003. En même temps le cumul emploi et minimas sociaux était rendu possible pour inciter les chômeurs à rester en contact avec le marché du travail. De plus, la nouvelle stratégie « d’activation » misait sur une plus grande flexibilité du marché du travail. Les petits boulots étaient perçus comme une possibilité d’accéder à plus d’emplois et suivant la théorie des « marchés du travail transitionnels », ils étaient vus comme un tremplin vers un emploi régulier.

Les chercheurs allemands portent aujourd’hui un regard plus critique sur les mini-jobs dans le contexte du marché du travail actuel du pays. D’une part, des études ont montré que la transition de petits boulots vers des emplois réguliers était plutôt rare. D’autre part, le rôle des femmes dans la société et le marché du travail a évolué. Le taux d’emploi féminin a beaucoup augmenté (surtout l’emploi à mi-temps) sans que les petits boulots en soient la force motrice. Par ailleurs avec un nombre croissant de divorces, le niveau de retraite des femmes n’est plus assuré par leurs conjoints, d’autant qu’elles perdent aussi la couverture de l’assurance maladie. Même si les employeurs de mini-jobbers doivent cotiser à l’assurance santé, ceux qui n’ont qu’un petit boulot n’ont pas de couverture propre.

 

De plus, dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre dans l’Allemagne d’aujourd’hui, les petits boulots ont un effet négatif sur le volume du nombre d’heures travaillées. En principe il n’y a pas de limites pour le cumul entre emploi et retraites, sauf en cas de retraites anticipées, et les mini-jobs concernent surtout l’offre d’emploi des femmes et des retraités.

 

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