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Ou pour que l’égalité ne crée pas d’inégalités ! Restons modestes : il ne s’agit pas ici de l’ÉGALITÉ au singulier et en majuscules, mais seulement de se poser la question des conséquences qu’entraîne notre conception de l’égalité sur quelques points précis de notre vie citoyenne et économique par l’utilisation d’une égalité arithmétique généralisée plaquée sur un territoire perçu comme unifié par son jacobinisme, plus précisément sur certains aspects de notre système de redistribution.

 

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L’égalité, valeur républicaine


Au centre de notre devise républicaine nous avons placé l’« ÉGALITÉ » comme valeur cardinale. Et depuis Tocqueville il s’est trouvé beaucoup de bons auteurs pour estimer que la soif d’égalité l’emportait dans nos démocraties, et singulièrement dans la nôtre, sur la fraternité et même sur la liberté. Cette injonction égalitaire s’exprime dans tous les domaines et notamment dans la redistribution sociale dans une conception strictement arithmétique qui paraît aujourd’hui être devenue la source de véritables inégalités attentatoires à ce fondement de notre République. Ce qui a aujourd’hui pour conséquences que, après des décennies pendant lesquelles ils ont reconnu l’équité du système de redistribution, les Français estiment majoritairement depuis quelques années que le système de redistribution est devenu injuste par les inégalités qu’il crée (cf. les enquêtes du Credoc).

Une intolérance croissante à l’inégalité


Nos concitoyens supportent de moins en moins cette situation qu’ils perçoivent comme un creusement des inégalités qui, de manière significative, est toujours nommée l’« aggravation » des inégalités. La montée électorale du Front national (maintenant Rassemblement National) en est une des manifestations en ce qu’elle traverse les classes sociales – couches populaires aussi bien que classes moyennes – et les niveaux d’éducation, les plus formés se laissant à leur tour gagner par cette dérive populiste. « LA » solution à cette difficulté politique majeure n’existe pas. Mais on peut ouvrir des pistes pour revivifier cette valeur de l’égalité et reconstruire du consensus social.

Une redistribution aux effets inégalitaires


Dans notre pacte républicain et progressiste, la redistribution vise précisément à corriger les conséquences sur les itinéraires individuels des inégalités que génère la vie économique. Sans s’interroger ici sur la part de la richesse nationale qui doit être affectée à la redistribution, sur les modalités de son financement, on peut s’interroger sur la réalité des égalités entre bénéficiaires que veut construire cette redistribution. Entre bénéficiaires du revenu de solidarité active, entre bénéficiaires des aides au logement, entre bénéficiaires des allocations aux handicapés, notre système aujourd’hui produit-il une égalité réelle des revenus effectivement disponibles ? Ou bien laisse-t-il subsister, voire aggrave-t-il des inégalités antinomiques avec sa finalité ? Pour résumer sommairement, quelle égalité y a-t-il entre le bénéficiaire du RSA logé dans un studio HLM de Figeac avec un loyer et des charges de 190 € et celui qui est logé dans un HLM de même surface de Saint-Denis dont le loyer et les charges s’élèvent à plus du double ? Une fois réglée cette dépense pour l’accès au logement, cette dignité de base du citoyen, quel est le « reste pour vivre » réel à Paris et à Saint-Denis ?

Son application aux prestations sociales : égaliser devant le « reste pour vivre »


On ne s’interroge pas ici sur le niveau de vie décent auquel la redistribution doit faire accéder. C’est un sujet politique majeur qui dépasse de beaucoup mes ambitions personnelles et mes capacités de réflexion. L’idée que je propose tourne autour d’un principe plus simple : que les revenus de solidarité soient fixés par l’Etat en fonction d’un objectif : assurer l’égalité des prestataires en pouvoir d’achat réel, en tenant compte de la réalité des écarts de coûts selon les territoires et selon les situations personnelles. D’une égalité devant le montant monétaire, il s’agirait d’atteindre une égalité devant le pouvoir d’achat disponible, devant le « reste pour vivre ». La question cruciale devient alors : quels indicateurs objectifs creusent des écarts de coût de la vie selon les catégories, les structures familiales, les réalités territoriales.

Un système non intrusif


Si l’on part du constat que le facteur déterminant de la pauvreté soit le chômage, ou son corollaire le sous-emploi, l’unité territoriale de base pertinente permettant d’apprécier ces écarts structurels et personnels pourrait être le bassin d’emploi qui deviendrait la circonscription de fixation du montant de l’allocation. L’État exercerait sa responsabilité : décider du niveau de vie auquel doit permettre d’accéder la prestation envisagée. Il fixerait ainsi le niveau auquel se situe l’objectif d’égalité visé. Des instances locales diversifiées alliant compétence scientifique et technique et connaissance concrète du territoire – directions régionales de l’INSEE, Direccte, collectivités territoriales – auraient la responsabilité de déterminer les ajustements locaux du montant à percevoir par l’allocataire selon deux déterminants :
– l’indice des prix territorial construit autour d’un panier type de consommation,
– la situation à l’égard du logement (propriétaire ou locataire, locataire en secteur libre ou en secteur aidé, hébergement en famille).

La construction de ces critères sur des bases objectives permettrait d’éviter les systèmes intrusifs dans la vie privée puisque la seule déclaration attendue du bénéficiaire serait celle de sa situation à l’égard du logement.

Son application à la fiscalité


Un exemple limité, mais caractéristique est celui de la politique familiale. Le quotient familial bénéficie aux redevables de l’impôt sur le revenu. Il n’apporte rien à ceux qui n’y sont pas assujettis. La proposition ici est simple : comme pour la réduction d’impôt pour l’emploi familial, la réduction d’impôt devrait être transformée en crédit d’impôt pour les non-imposables. Tous bénéficieraient ainsi d’un même soutien de l’État pour la prise en compte des dépenses qu’entraîne l’éducation d’un enfant.

Une application plus large : élargir l’assiette de l’impôt aux prestations sociales. Aujourd’hui -et c’est une des critiques majeures à l’égard de notre système de redistribution – une personne cumulant diverses allocations sociales du fait de sa situation peut avoir en réalité un revenu plus élevé qu’un travailleur percevant un salaire modeste, le « travailleur pauvre ». D’autre part la perception d’une allocation par un contribuable est d’autant plus avantageuse que son revenu imposable soumis à l’impôt progressif est élevé. C’est notamment pour cette raison que les allocations familiales ont été soumises à des conditions de revenu, rompant ainsi avec le principe fondamental depuis 1945 de leur universalité et entraînant de violentes critiques des associations familiales.

La solution pour mettre fin à cette situation est simple à énoncer – même si elle soulève des risques d’opposition : tout revenu, qu’il soit revenu professionnel ou qu’il soit revenu de solidarité est soumis à l’impôt sur le revenu. La progressivité étant admise comme la condition de la justice fiscale, ce serait une belle percée de l’égalité réelle. On objectera que l’État reprendrait d’une main ce qu’il aura donné de l’autre. Cette objection peut être prévenue par une mesure complémentaire : le supplément de recettes attendues de cette imposition serait affecté à l’augmentation de ces allocations de manière à avoir un bilan neutre pour les finances publiques. Et ceci permettrait de revenir à l’universalité des allocations familiales, renouant ainsi un lien de confiance avec les organisations représentatives des familles et tenant compte du fait que, quel que soit son niveau de revenu, un foyer avec enfant supporte des charges plus lourdes qu’un foyer sans enfant.

Reconstruire une légitimité de la redistribution


Il s’agit là d’évolutions qui soulèveraient sans aucun doute des débats dont la passion pourrait perturber la pertinence. Le débat sur le concept même d’égalité est naturellement crucial, d’autant que l’on sent bien quels sont les cercles concentriques dans lesquels il pourrait se diffuser, par exemple par rapport à la fixation nationale de certaines catégories de salaire. Mais ignorer cette question, c’est saper à la longue la légitimité même de notre système de redistribution, bien au-delà du questionnement sur son efficacité. Autour du débat sur cette évolution de l’égalité arithmétique vers une égalité plus soucieuse des situations réelles se grefferait évidemment un débat d’une grande intensité sur le niveau de vie que doivent viser ces revenus de solidarité, relançant ainsi des controverses sur niveau de vie décent, revenu universel et autres sujets que l’on s’évertue depuis des décennies à étouffer sitôt qu’ils ressurgissent.

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