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Bécassine c’est toute une histoire. Au même titre que tartuffe ou don Juan, elle est devenue une antonomase. À la naissance de la bande dessinée, elle a inauguré le style dit de la ligne claire qu’Hergé popularisera.

 

becassine

Bécassine c’est d’abord l’histoire d’une migration économique. La toute jeune campagnarde fuit la misère dans laquelle vivent ses parents malgré leur acharnement au travail. Elle rêve de la ville, de Paris. Elle part à pied. En cours de route, épuisée, elle trouve du travail. On ne lui demande pas ses papiers ni son âge. Elle s’installe, découvre l’eau courante et l’électricité. Tant pis pour la tour Eiffel. Bécassine c’est aussi une histoire de domesticité. Celle des « bonnes à tout faire », au sens propre, qui reçoivent des gages dont le montant et la régularité sont fixés de manière discrétionnaire par un employeur à l’humeur changeante. La disponibilité de ces « employées de maison » est totale. Même les plateformes les plus ubérisées n’oseraient pas en rêver.

 

C’est enfin l’histoire de l’ingéniosité de Bécassine, de son inventivité, de son sens pratique plutôt que son bon sens. Le mépris aristocratique pour les domestiques et le mépris citadin pour la campagne, bretonne de surcroît, se sont sans doute ajoutés pour lui faire, à l’inverse, une réputation de gourde empotée. Bécassine dont le nom vient, il faut le rappeler, du vol de Bécasse qui a salué sa naissance, mérite mieux que sa réputation. C’est tout de même elle qui a inventé le biberon automatique qui permet des nuits tranquilles ainsi que le minuteur-éjecteur pour les œufs à la coque, œufs dont raffole sa patronne. Comme dans les meilleurs story telling pour startupers, son industrialisation aux États-Unis, grâce à l’entregent d’un entrepreneur peu scrupuleux dénommé Rastaquoueros, fera pleuvoir les dollars. Rien que ça.

 

Le problème c’est que le film de Bruno Podalydès évacue autant que faire se peut ces histoires. Il ne les traite pas. Elles ne l’intéressent pas. Elles sont à peine le décor, le cadre, dans lequel se déroule l’histoire de Bécassine. Les histoires qui prennent le dessus, c’est l’histoire mièvre d’une jeune nounou et d’un bébé mal aimé, qui s’attachent l’un à l’autre et ne veulent plus se quitter. C’est aussi l’histoire convenue des revers de fortune d’aristocrates qui ne comprennent rien au monde tel qu’il va, rêvant, pour elle, des plus folles excentricités sans considération de l’état du compte en banque, et pour lui d’être sauvé grâce à sa lanterne magique.

 

On finit pas s’ennuyer gentiment. Une courte scène, vers la fin, donne peut-être la clé du film. Les deux frères Podalydès, pleins d’ardeur, se mettent une raclée à coup de tapettes à mouches. On se surprend à penser qu’il s’agit en fait d’un vieux compte à régler depuis l’enfance ! Il ne justifiait sans doute pas la fabrication laborieuse de ce film. On peut parier que Bécassine, la vraie, aurait trouvé de quoi dynamiter ce scénario trop plat et d’y introduire une réflexion politique sur des sujets qui nous concernent aujourd’hui…

 

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Directeur d’une Agence régionale de développement économique de 1994 à 2001, puis de l’Association Développement et Emploi, devenue ASTREES, de 2002 à 2011. A la Fondation de France, Président du Comité Emploi de 2012 à 2018 et du Comité Acteurs clés de changement-Inventer demain, depuis 2020. Membre du Conseil Scientifique de l’Observatoire des cadres et du management. Consultant et formateur indépendant. Philosophe de formation, cinéphile depuis toujours, curieux de tout et raisonnablement éclectique.