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Sandrine Gineste, propos recueillis par Danielle Kaisergruber

Sandrine Gineste est responsable pour BPI Group du programme « Entreprises éphémères pour l’emploi » : il s’agit de proposer à des demandeurs d’emploi d’être les associés d’une start-up « éphémère » dont la finalité est de rechercher dans les entreprises du territoire les « emplois cachés » pour y candidater.

 

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Vous avez déployé ces derniers mois un projet innovant : « les entreprises éphémères pour l’emploi » qui sont de vraies/fausses entreprises : qu’est-ce qui se cache derrière cette expression ? Peut-on dire qu’il s’agit d’une forme d’empowerment pour les demandeurs d’emploi volontaires qui s’y impliquent ?

 

Oui, c’est une forme d’empowerment pour les demandeurs d’emploi qui sont embarqués dans notre programme : ces derniers deviennent associés d’une entreprise dont la durée de vie n’est que de quelques semaines (6 à 7 semaines pour le moment), elle est donc éphémère. Au cours de ces semaines, les associés vont déployer toute leur énergie à collecter des offres d’emploi sur le marché dit caché, en prospectant par téléphone et en face à face avec les entreprises, mais également en mobilisant les médias pour faire parler du projet afin d’attirer l’œil bienveillant des recruteurs potentiels. Lorsqu’ils démarchent les entreprises, les associés ne se présentent plus comme chercheurs d’emploi, mais comme sourceurs d’emploi, associés d’une entreprise, et donc se placent dans une position d’égal à égal avec les chefs d’entreprise démarchés.

Pour arriver à leurs fins, ils s’organisent, comme une entreprise, en différents services :
Un service commercial, cœur de l’activité et structuré en call center chargé de faire de la prospection téléphonique, un service face à face dédié à la prospection en collectif des entreprises sur le terrain, et un pôle web chargé de détecter les offres sur les réseaux sociaux et sur les différents « jobboards ».

Un service administratif/RH dont les missions sont d’outiller les associés pour les aider à réussir dans leur recherche d’emploi (CV, simulation d’entretiens, création de profils sur les réseaux socio-professionnels) et de valoriser leurs compétences à travers la réalisation d’un mini book des compétences distribué aux entreprises.

Un service communication, dont les missions sont de faire parler du projet via les médias locaux et d’organiser la venue de dirigeants d’entreprises au sein de l’entreprise éphémère pour présenter leurs postes à pouvoir ou pour soutenir les associés dans leur démarche en réalisant des entretiens de simulation, en conseillant sur les CV et sur les candidatures spontanées.

 

Comment est venue cette idée, à la suite de quelles expériences, de quelles évaluations ?

 

L’origine de ce projet vient de la tête de deux formateurs indépendants basés dans le sud de la France. Chaque année, dans le cadre du festival international de la photographie d’Arles, ils forment des agents d’accueil embauchés en CUI. À la fin du festival, les personnes se retrouvent à nouveau en situation de recherche d’emploi. Ainsi, en février 2015, ces formateurs proposent aux personnes terminant leur contrat aidé de fonctionner pendant quelques semaines comme une petite entreprise avec pour objectif que chacun retrouve un job à l’issue.

Après cette première expérience, ils viennent présenter cette approche très innovante de la recherche d’emploi à Paris, lors de la journée des initiatives territoriales pour l’emploi (JITE) organisée par la DGEFP. J’y étais, et convaincue que leur innovation pouvait se déployer à plus large échelle, je suis allée les rencontrer en Arles. Nous avons travaillé ensemble durant quelques mois pour définir de quelle manière BPI Group pourrait diffuser cette innovation. Nous avons ainsi formé et certifié une dizaine de consultants de BPI group à la méthode « entreprise éphémère pour l’emploi ». Parallèlement, nous avons commencé à présenter ce projet à nos clients dans le cadre de leurs fonds de revitalisation, ce projet répondant bien aux objectifs d’innovation sociale que recherchent ces conventions. Tant nos clients grands groupes que les Direccte qui valident en région les conventions de revitalisation ont été partants pour expérimenter à plus grande échelle l’idée de l’entreprise éphémère après le « prototype d’Arles ». Nous avons également embarqué dans ce projet l’un de nos clients fidèles, très soucieux de sa responsabilité sociale et sociétale, Bouygues Telecom, qui nous a généreusement prêté 80 ordinateurs et téléphones portables pour équiper nos entreprises éphémères.

 

Comment ça marche ? Aujourd’hui des entreprises éphémères se sont déployées à Valence, Bagneux, Roubaix, Calais et Villefranche-sur-Saône : pouvez-vous décrire l’une de ces aventures ? Quels rôles y jouent les demandeurs d’emploi ? Comment y sont-ils venus ?

 

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Pour déployer notre projet, nous nous appuyons très largement sur les agences Pôle emploi : elles nous aident à informer et communiquer auprès des demandeurs d’emploi. De même, nous mobilisons les missions locales, les missions insertion des conseils départementaux, l’Apec, Cap emploi ou encore les associations qui accompagnent les personnes en difficultés d’insertion telle Solidarités Nouvelles Contre le Chômage.

Comme dans un processus classique de recrutement d’entreprise, les futurs associés déposent leur dossier de candidature (CV et motivations) sur le site. Les « associés » sont animés quotidiennement par les coachs BPI Group. Dans les premiers jours de l’ouverture, les associés suivent une formation intense à la prospection commerciale ainsi qu’à la plateforme digitale qui accompagne le projet. Ils sont affectés aux différents services de l’entreprise en fonction de leur appétence et de leur compétence. Très rapidement, un repérage des compétences des participants est mené par le service RH, lui-même composé d’associés, afin de cibler les futures actions de prospection ainsi qu’un travail sur l’image numérique de chacun d’entre eux, afin de les faire monter en compétences sur ce que le digital peut apporter dans la recherche d’emploi. En outre, l’entreprise éphémère valorise le travail en équipe, car la prospection se fait toujours à deux ou à trois.

 

Que désigne l’expression souvent utilisée « emplois cachés » ?

 

Ce sont des offres d’emplois qui ne sont pas forcément connues de Pôle Emploi, ce sont également des offres d’emplois qui n’ont pas encore été déposées sur les jobboards, sur le « Bon coin » ou diffusées dans les réseaux sociaux. En fait, ce sont des offres d’emploi dont on entend parler principalement par le « bouche à oreilles », par son réseau, par ses connaissances…

Ces offres d’emploi, une fois identifiées par les associés, seront à la fin du programme transmis à Pôle emploi avec l’accord de l’entreprise et si nos associés ne se sont pas positionnés dessus.

 

Quels sont les profils de demandeurs d’emploi qui sont volontaires ? des jeunes, des plus vieux, des personnes qualifiées, des cadres peut-être ?

 

Ce projet fédère tous les âges et tous les niveaux de qualifications sans restriction comme dans une vraie entreprise. Nous accueillons des cadres comme des ouvriers, des personnes valides comme des travailleurs handicapés. Cette grande diversité fait sa richesse et son intérêt.

Dans nos entreprises éphémères, nous recrutons aussi bien des personnes en recherche d’emploi depuis au moins 8 ou 9 mois qui risquent de tomber dans le chômage de longue durée que des personnes en recherche d’emploi depuis plusieurs années.

Certes, il y a quelques pré-réquis pour participer à cette aventure : avoir déjà eu une expérience professionnelle, faire preuve d’une forte motivation à retrouver un emploi, être disponible au moins 4 jours par semaine et enfin, savoir naviguer sur internet.

 

Avez-vous déjà de premiers éléments de bilan ? On imagine que les demandeurs d’emploi devenus acteurs d’une entreprise, même éphémère, en tirent des bénéfices en termes de motivation et d’image de soi, mais y a-t-il aussi des bénéfices en termes de compétences ? Et quels sont les impacts de retours à l’emploi ?

 

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Sur nos cinq premières entreprises éphémères (la dernière vient de se terminer début juillet), nous constatons qu’un tiers des demandeurs d’emploi en moyenne retrouve un poste à l’issue du programme (soit après 6 ou 7 semaines). En suivant nos associés 1 mois, puis 3 et 6 mois après la fin du programme, nous observons que les résultats progressent régulièrement dans le temps. À Valence (septembre à novembre 2017), par exemple, après 6 mois (en juin 2018), près des 63 % étaient en poste.

D’un point de vue qualitatif, la dynamique et l’énergie collective génèrent un vrai gain d’énergie individuelle.

Ainsi, les bénéfices sont multiples pour les participants : reprise de confiance en soi, resocialisation, revalorisation des compétences individuelles par rapport au marché du travail, acquisition des fondamentaux sur le « savoir se vendre », développement ou meilleure maîtrise tant de son image digitale que de savoirs-être professionnels (autonomie, travail en équipe,…) indispensables à l’entreprise… ce sont autant de facteurs clés de succès pour accéder à l’emploi.

 

Images : Gallerie du site des entreprises éphémères pour l’emploi

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.

Sandrine Gineste