Les corps intermédiaires. On utilise ce terme parfois à tort et à travers. Avant d’en donner une définition, il est important de faire un petit détour par l’histoire, qui les a bien souvent discrédités.
Un détour par l’histoire
Pour comprendre la place des corps intermédiaires aujourd’hui et ce qu’ils sont, il faut faire un sacré détour par l’histoire. Il faut pour cela commencer par lire le résumé du cours de Pierre Rosanvallon Les corps intermédiaires dans la démocratie et l’article d’Alain Chatriot et Claire Lemercier « Les corps intermédiaires » dans le Dictionnaire Critique de la République (2002).
En attendant, un petit résumé s’impose.
Pendant l’ancien Régime, la France était composée de corps, des groupes d’individus réunis à la fois pour la préservation de leurs intérêts particuliers et celle du bien collectif qui organisaient les métiers et le corps social. C’étaient les parlements, cours et conseils souverains, corps de médecins ou d’avocats, corporations et métiers, compagnies de commerce ou d’industrie. Ils avaient leurs propres Lois et statuts, mais existaient avec la permission du souverain à qui ils étaient subordonnés (Voir : Encyclopédie Universalis).
A la Révolution, les Lois d’Allarde — qui abolie les corporations — et Le Chapelier — qui proscrit les réunions particulières, l’élection de syndics, le dépôt de pétitions en nom collectif — largement inspirées des thèses de Rousseau mettent un terme aux « corps ». « ll n’y a plus de corporation dans l’État ; il n’y a plus que l’intérêt particulier de chaque individu, et l’intérêt général. » La Nation doit s’affirmer comme un tout homogène. Les Codes napoléoniens proscrivent par la suite toute coalition. Mais, comme l’exprime Pierre Rosanvallon dans son cours « Les corps intermédiaires dans la Démocratie »,
« le “lien de corps” qui donnait sa consistance pratique à l’être ensemble et qui organisait en tout cas les représentations que chacun avait de son rapport aux autres, ne pouvait être simplement remplacé par l’affirmation de l’appartenance à un grand tout ».
De Tocqueville dans De La démocratie en Amérique (1835) qui préconisait de réinstaurer les corps intermédiaires à Émile Durkheim qui souhaitait la mise en place de « corporations de métiers » dans De La division du travail social (1893), tout au long du 19e siècle des voix se sont ainsi élevées contre la dissolution sociale et ont permis de remettre sur la table la question des corps intermédiaires et leur redonner une légitimité intellectuelle.
Avant 1884 avec le vote de la Loi reconnaissant les syndicats puis celle de 1901 sur les associations, certaines pratiques institutionnelles du début du 19e se posaient déjà en contradiction avec les Lois issues de la Révolution, avec notamment la création des Chambres de commerce. Divers groupements vont ensuite se développer et être légitimés par l’Etat tout au long du 20e siècle : certaines associations seront reconnues d’utilité publique, des syndicats se voient appelés à déléguer des représentants dans des organismes para-étatiques.
Plus tard, le corporatisme de Vichy ou des États autoritaires discréditeront de nouveau l’image des corps intermédiaires.
Une définition, deux acceptions
Cette histoire a profondément marqué le rapport que la France entretient aujourd’hui avec les corps intermédiaires. Une tension qui se traduira par exemple par l’opposition des propos d’un jeune Sarkozy en campagne les considérant comme « un écran entre le peuple et le gouvernement » et de ceux de Raffarin les estimant « indispensables à la bonne santé de la République » (L’Express, « Qui sont ces corps intermédiaires que déteste Sarkozy ? », 2012).
Le terme « corps intermédiaires » n’est, par ailleurs, pas entendu par tout le monde de la même manière et reste assez flou voire ambivalent et donc employé parfois à tort et à travers, souvent comme un simple synonyme de « syndicats » (« Macron ou le mépris à l’égard des corps intermédiaires », France Info), ou encore englobant simplement les partis politiques, les syndicats et les élus locaux (Pour le spécialiste économie du groupe TF1, LCI).
Dans la Grande encyclopédie (Ed. 1971-1976), les corps intermédiaires sont définis ainsi :
« Ni bloc fermé sur lui-même, ni courroie de transmission, le corps intermédiaire serait tout à la fois un organisme d’action et de pression et un organisme assumant des responsabilités propres dans un jeu plus complexe comprenant d’autres acteurs sociaux. »
Ils peuvent alors prendre deux acceptions. N’importe quel groupement peut constituer un corps intermédiaire — du petit groupe informel à la nation, « pouvant être considérée comme un intermédiaire entre les personnes et les communautés plurinationales », dans la mesure où l’on considère le corps intermédiaire comme acteur de médiation entre la personne et la communauté humaine. Toute collectivité peut alors être considérée comme « intermédiaire » dès lors qu’elle acquiert une consistance propre et accomplit une fonction médiatrice.
Une acception plus étroite, toujours selon la Grande encyclopédie prévaut. Elle considère que la médiation des corps intermédiaires s’instaure essentiellement entre le particulier et l’Etat. « La préoccupation est ici celle d’une institution visant au niveau des rapports juridiques à établir une articulation entre les droits des particuliers et les droits de la collectivité organisée dans son appareil étatique ». Dans cette dernière perspective, on accorde donc la qualité de corps intermédiaire à des institutions créées par voie d’autorité pour assurer une coopération entre les acteurs sociaux et un dialogue entre le « public » de la puissance publique et le « privé » des personnes prises individuellement.
C’est souvent en ce sens-là que l’expression est employée, ou niée par ceux qui pensent qu’il n’y a rien entre le « souverain » (au sens de Machiavel) et le peuple entendu comme une collection d’individus.
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