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Louis Gallois et Alexandra Duhamel, propos recueillis par Jean-Marie Bergère

« Pour l’insertion par l’activité économique, nous porterons à 240 000 le nombre de contrats, il y en a aujourd’hui 140 000 », Emmanuel Macron le 13 septembre 2018. Belle reconnaissance de l’action et de l’efficacité d’un secteur, l’Insertion par l’activité économique (IAE), présent en France depuis une cinquantaine d’années.

Le tout récent « Pacte d’ambition pour l’insertion par l’activité économique » fait état de 3860 structures (1) prêtes à accueillir ces 100 000 emplois supplémentaires.

Partie prenante de cette nouvelle ambition, la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) s’est engagée en 2016 dans un programme expérimental pour agir sur les « pratiques de recrutement et d’intégration des entreprises afin de faciliter l’embauche de salarié. e. s issu. e. s de l’IAE ». Louis Gallois, président de la FAS et Alexandra Duhamel en charge de ce programme nommé SEVE Emploi, dialoguent pour Metis avec Jean-Marie Bergère.

Se connaître et nouer des relations durables

Louis Gallois :

SEVE c’est d’abord un programme de formation-action et d’appui pour les cadres des Structures d’insertion par l’activité économique (SIAE). Entre eux et les employeurs d’un même bassin d’emploi, il y a des années d’ignorance et sans doute de méfiance. L’IAE est une activité largement méconnue. Pour que les responsables des Chantiers d’insertion et autres SIAE nouent des relations suivies et d’égal à égal avec les entreprises « classiques » susceptibles de recruter dans un emploi durable, nous les accompagnons pour réfléchir aux démarches et stratégies adaptées à leur environnement. Ils étaient souvent timides, complexés, vis-à-vis d’un monde qui les ignorait. D’où l’idée de créer cette passerelle.

Notre démarche a été expérimentale. 23 structures se sont engagées à ce jour dans ce programme. Nous en voyons dès maintenant les résultats et nous ouvrons une nouvelle phase d’extension. Nous souhaitions avoir les moyens pour accompagner 700 SIAE. Nous avons obtenu un budget de l’Etat pour 315 en trois ans. C’est loin d’être négligeable. Cela permettra à SEVE Emploi d’être présent dans toutes les régions et de miser sur un effet boule de neige. Les tensions sur le marché du travail et les difficultés de recrutement dans beaucoup de PME nous sont également favorables.

Alexandra Duhamel :

L’ensemble de l’équipe d’une SIAE est concernée par SEVE Emploi dont les Encadrants techniques (ET) et les Conseillers en insertion professionnelle (CIP). Cela représente pour eux une réelle évolution de leur métier, même si par ailleurs ils doivent continuer à veiller à la qualité de la production de chaque structure. Le lien avec les entreprises se fait plus facilement lorsque les encadrants techniques (ET) participent aux discussions. Le partage d’un même métier met en confiance et permet de se positionner en offreur de service.

En immersion

LG :

Le fait d’aller vers et dans les entreprises redonne du sens au métier de ces encadrants. Cela permet concrètement de multiplier les périodes de mises en situation professionnelle. Que ce soient des stages, des mises en situation en milieu professionnel au sens strict (PMSMP), des CDD ou des missions d’intérim, il est important qu’elles aient lieu de manière régulière et diversifiée. Pour certains c’est la découverte d’un métier ou la possibilité d’exercer à nouveau ses compétences directement au sein des entreprises. Cela permet de répondre aux besoins de ces entreprises, de venir confirmer ou infirmer des choix professionnels.

Nous abordons ces parcours d’insertion de façon moins linéaire. Les allers-retours entre la SIAE et ces périodes d’immersion sont propices à la qualification et à la construction d’une estime de soi, d’une autre vision de l’avenir, sans lesquelles il n’y aura pas de maintien dans l’emploi durable. En faisant cela, nous sommes totalement fidèles aux fondamentaux du travail d’insertion.

AD :

Nous devons respecter le rythme de chacun. Nous faisons un travail de médiation sans limitation de durée et adapté à chaque situation particulière. Il arrive qu’une proposition de CDI arrive trop tôt et fasse peur. L’intérêt de la médiation telle que la pratiquent les professionnels de la SIAE engagés dans SEVE Emploi, est de prendre le temps avec le salarié, mais aussi avec l’entreprise pour s’accorder sur des fiches de poste réalistes et des conditions de travail durables.

LG :

Les ET ou CIP sécurisent le chef d’entreprise. C’est décisif. Il est inévitable que des problèmes surgissent. Il peut sembler risqué d’embaucher une personne venant de l’insertion. Les échecs sont toujours possibles. Nous devons intervenir rapidement afin que l’expérience soit positive aussi bien pour l’employeur que pour le salarié. C’est vrai pendant ces périodes d’immersion, c’est vrai lors d’une embauche. Nous nous adressons principalement aux PME proches. Le recrutement est crucial pour elles, mais elles sont souvent démunies pour le faire. Nous venons en appui.

Le témoignage de l’Association Entraide et Solidarité.

A la demande de la DGEFP une évaluation de cette expérimentation vient d’être réalisée. Le rapport final insiste sur la transformation de la relation entre deux mondes qui ne se connaissaient pas. Les stratégies mises en œuvre y font l’objet de récits, dont celui de l’Association Entraide et solidarité[ii] qui gère deux Ateliers et chantiers d’insertion (ACI) spécialisés dans le bâtiment/peinture et les espaces verts.

« Avant l’entrée dans SEVE, la dynamique d’accompagnement était structurée sur l’idée que c’est aux salariés en parcours de faire, l’équipe ne devant pas se substituer à eux. Il n’y avait pas de stratégie formalisée et dédiée à la relation entreprise. Celle-ci était principalement orientée par les principes de l’intermédiation, collecte des offres d’emploi locales, aide aux Techniques de recherche d’emploi (TRE) en articulation avec les étapes de parcours du salarié en insertion, dans une approche plutôt séquentielle. (…)

L’équipe s’est organisée sur le déploiement d’une offre de service autant en direction des entreprises que des salariés. Cette offre de service se décline par des démarches de prospections régulières et formalisées dans les agendas comme étant une activité à part entière des CIP. Du point de vue des salariés en parcours, l’offre de service proposée consiste en l’organisation de temps de rencontre avec les entreprises, la négociation d’immersions. L’entreprise est aujourd’hui appréhendée comme un partenaire et elle est positionnée au cœur de l’accompagnement proposé par la SIAE. (…)

La stratégie mise en place vise à proposer des services de recrutement aux employeurs prospectés. Les services s’appuient sur l’expertise des SIAE en tant qu’employeur et valorisent les compétences des salariés en insertion ».

Travail et citoyenneté

LG :

Le programme SEVE affirme que nous passons d’une activité d’intermédiation à une activité de médiation active. Il ne s’agit pas de jouer sur les mots, mais de faire évoluer notre travail. Nous nous positionnons en acteur économique et acteur des territoires. Nous ne sommes pas hors sol. Nos propres fédérations régionales sont mobilisées aux côtés des acteurs économiques. Il est normal que les SIAE n’en soient pas toutes au même point. D’autant plus que ce n’est pas seulement notre travail qui change, c’est l’ensemble des acteurs de ces parcours qui doit évoluer. La période nous est sans doute favorable, nous rencontrons plus souvent des entreprises soucieuses de ne laisser personne sur le bord de la route et attachées à la prospérité de leur territoire. Il est essentiel que nous fassions le premier pas vers elles.

Nous n’oublions pas pour autant qui sont les personnes que nous accueillons, leurs difficultés, leurs handicaps, les galères qu’elles ont vécues. D’une certaine manière elles ont besoin pendant un temps d’être protégées. Le rôle des différentes structures d’insertion ne disparaît pas, mais c’est bien en tant qu’acteur économique que nous accompagnons ces personnes dans le monde du travail et dans une nouvelle dynamique professionnelle. Qui est aussi celle de la dignité et de la citoyenneté.

 

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Directeur d’une Agence régionale de développement économique de 1994 à 2001, puis de l’Association Développement et Emploi, devenue ASTREES, de 2002 à 2011. A la Fondation de France, Président du Comité Emploi de 2012 à 2018 et du Comité Acteurs clés de changement-Inventer demain, depuis 2020. Membre du Conseil Scientifique de l’Observatoire des cadres et du management. Consultant et formateur indépendant. Philosophe de formation, cinéphile depuis toujours, curieux de tout et raisonnablement éclectique.