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Le contraste est frappant en France entre l’appel récurrent à un effort massif de (re)qualification des actifs, dont la nécessité fait depuis de longues années l’objet d’un large consensus, et la réalité persistante d’un système de formation professionnelle continue (FPC) dispensant très majoritairement des actions courtes d’adaptation au bénéfice des salariés en place. Pour l’essentiel, la formation différée reste à construire. Pourtant, de plus en plus de jeunes la mettent déjà en pratique, avec les moyens du bord.

Pour mémoire, la durée moyenne des formations dispensées dans le cadre du plan de formation des entreprises de plus de 10 salariés n’a jamais dépassé 60 heures depuis sa mise en place en 1974, et n’était plus que de 25 heures 40 ans plus tard, au terme d’un recul continu (1). Nombre d’autres dispositifs, il est vrai, se sont construits dans l’intervalle qui offrent des durées de formations assez longues (de l’ordre de 400 à 800 heures) pour conduire à une qualification ou une certification reconnue : les contrats d’apprentissage et de professionnalisation pour les jeunes (587 000 en 2019), les actions financées par Pôle Emploi, les Régions ou l’État pour les actifs sans emploi (près de 930 000 la même année). Le Congé individuel de formation (CIF) a longtemps rempli la même fonction auprès d’un petit nombre de salariés (45 000) avant sa suppression en 2018.

Pour autant le compte n’y est pas : toutes ces formations ne sont pas qualifiantes, encore moins diplômantes, notamment quand elles sont organisées dans le cadre de plans massifs souvent dictés par l’urgence du chômage (cf. par exemple le « Plan 500 000 » en 2016) ; et les effectifs concernés ont beau être conséquents, ils pèsent peu au regard des quelque 29 millions d’actifs potentiellement intéressés. À telle enseigne qu’à deux reprises, lors des négociations interprofessionnelles sur la FPC de 2003 et 2009, syndicats et patronat ont unanimement appelé l’État à donner corps à un régime de « formation différée » capable d’offrir à grande échelle une véritable seconde chance à ceux dont la qualification est insuffisante ou menacée, ou plus largement à toute personne désireuse d’améliorer son avenir professionnel (2). Appels restés sans réponse pour une raison simple : un tel régime pourrait être autrement plus coûteux pour les finances publiques (régime paritaire inclus) que l’addition des formations post-scolaires longues, ouvertes aujourd’hui aux jeunes et aux adultes.

Cette « seconde chance » est pourtant loin d’être absente du paysage éducatif, au moins pour ce qui concerne les débuts de la vie active ; de plus en plus nombreux sont en effet les jeunes qui, après un passage plus ou moins long par le marché du travail ou l’inactivité, reprennent de leur propre chef des études en visant un niveau de diplôme plus élevé. Comme si de fait, entre formation initiale et formation « tout au long de la vie », la frontière s’effritait.

Moins de sans diplôme, prégnance du secondaire professionnel et du supérieur court parmi les diplômés

Longtemps, la France s’est signalée en Europe par une proportion importante de jeunes sortant de formation initiale sans diplôme (ou avec au plus le brevet des collèges). Elle s’est notablement réduite dans la dernière décennie, passant de 17 % (122 000 jeunes) en 2010 à 12 % (90 000) en 2019, notamment grâce à l’effort de repérage et d’accompagnement des jeunes « décrocheurs » entrepris au tournant des années 2010. À l’aune de l’indicateur européen des « sortants précoces » de formation initiale (i. e. la part des 18-24 ans sans formation en cours ni diplôme), la France se classe aujourd’hui parmi les meilleurs élèves en Europe avec un ratio de 8,2 %, pour une moyenne de 10,2 dans l’UE27.

Quant au niveau de formation atteint par les jeunes adultes (25-34 ans), ce n’est pas la part des sans diplôme (13 %) qui distingue la France de ses proches voisins ou de la moyenne de l’OCDE (15 %), mais plutôt le poids particulier des titulaires des diplômes de l’enseignement supérieur court (14 % sont des BTS ou des DUT contre 6 % en moyenne dans l’OCDE), auquel répond une part plus faible de diplômés du supérieur long (33 % contre 39). Pour ce qui est des diplômés du secondaire professionnel (CAP, BEP et Bac pro), elle se situe sans surprise après l’Allemagne (31 % contre 47) mais nettement au-dessus de la moyenne (23 %). Difficile de conclure à un retard français en matière d’élévation du niveau de formation des jeunes. Tous n’ont cependant pas décroché leur diplôme au terme d’un parcours linéaire ou continu.

Près d’un jeune sur quatre reprend des études dans les 7 ans suivant la fin de sa formation initiale

L’enquête Génération du Céreq permet de suivre durant 7 ans le parcours des jeunes sortis de formation initiale une année donnée. La comparaison des cohortes successives de l’enquête (sortants de 1998, 2004 et 2010) montre que la part de ceux qui ont repris des études pour une durée d’au moins 6 mois (seuil présumé d’une formation diplômante ou certifiante) au cours de ces 7 années est passée de 14 % à 23 % entre 1998 et 2010.

La majorité de ces reprises a eu lieu dans les 18 mois suivant la fin des études initiales, et pour près du tiers (30 % pour les sortants de 2010) elles se sont effectuées en alternance. Hors alternance, elles sont plus souvent (1,4 fois plus) le fait des femmes que des hommes, et leur durée médiane s’est nettement allongée, de 13 mois pour les sortants de 1998 à 20 mois pour ceux de 2010. Parmi les titulaires d’un diplôme initial, les bacheliers sont ceux qui reprennent le plus souvent (un sur trois) leurs études ; mais ce sont les jeunes sortis du supérieur sans diplôme qui sont en proportion les plus nombreux (5 fois plus que les Bac+5) à le faire, suivis de près par ceux qui n’ont pas obtenu de diplôme secondaire (31 %). À l’évidence la reprise d’études joue ici comme une « seconde chance » après un échec en fin de formation initiale, que ce soit dans le secondaire ou dans le supérieur. Souvent cependant, elle permet aussi à des jeunes déjà diplômés (CAP, Bac général ou technologique, DUT, Licence) de compléter leur formation par un titre de niveau supérieur ou plus professionnalisé, offrant de meilleures perspectives d’emploi.

Toujours hors alternance, la reprise d’études semble souvent viser l’accès à un emploi de meilleure qualité : sa probabilité augmente quand la première expérience professionnelle a été marquée par l’emploi à durée déterminée ou le chômage, et double quand la période d’emploi précaire s’est accompagnée d’un salaire faible.

L’origine sociale exerce aussi son effet, avec par exemple en 2010 une reprise d’études 1,6 fois plus probable dans le cas d’un sortant du secondaire issu d’un milieu favorisé que pour un jeune d’origine populaire ; mais ici l’écart semble à se réduire au fil du temps.

La formation différée reste à construire en France

Les données recueillies par le Céreq dressent le tableau d’une transition entre formation initiale et vie active moins tranchée ou univoque qu’on ne l’envisage le plus souvent. À bien des égards, la fréquence croissante des reprises d’études suggère qu’il s’agit souvent, et de plus en plus, d’un processus discontinu fait d’allers-retours et d’essais-erreurs à travers lequel les jeunes entrants s’efforcent d’ajuster leurs titres et qualifications aux exigences du marché du travail.

S’agit-il pour autant de l’exercice croissant d’une véritable « seconde chance », ou au contraire d’une expérience de la « galère » qui ne cesse de gagner du terrain ? À l’évidence il y a des deux, sans que les données disponibles ne permettent de dire dans quelle proportion. Au moins peut-on en retenir que l’analyse des sorties initiales de l’appareil éducatif ne donne qu’une image instantanée et tronquée du devenir potentiel des jeunes entrants dans la vie active.

Une autre question est celle du rôle qu’ont pu jouer les politiques publiques, qu’elles s’appliquent à l’éducation ou à l’emploi, dans l’évolution retracée par les enquêtes Génération. Dans quelle mesure ont-elles aidé les jeunes à surmonter de premiers échecs, à construire un nouveau projet, à choisir de meilleures filières ou se doter de compétences mieux reconnues ? Là encore la réponse demanderait des investigations plus approfondies ; on peut néanmoins supposer sans trop risquer de se tromper que les mesures récentes contre le décrochage et l’échec scolaire ou universitaire ont eu leur effet, tout comme celles qui ont rénové l’accompagnement des jeunes en difficulté (Garantie Jeunes, Ecoles de la seconde chance). Côté emploi-formation, les contrats d’alternance (apprentissage et professionnalisation) ont joué et jouent encore un rôle majeur en offrant (dans un cas sur trois selon l’enquête Génération 2010) un support adapté à la reprise d’études après une première entrée dans la vie active. À preuve le fait que la part des plus de 26 ans, des Bac +2 et plus et des jeunes déjà en emploi s’est sensiblement accrue ces dernières années parmi les nouveaux embauchés dans les deux types de contrats (sans que ce soit, au moins pour le contrat de professionnalisation, au détriment des sans diplôme). Il reste que, hors alternance, les moyens d’accompagner financièrement la reprise d’études de jeunes débutants sont encore rares.

Enfin, n’oublions pas que le projet d’une « formation différée » excède largement le cadre de la seule reprise d’études en début de vie active. Dans la perspective de la « formation tout au long de la vie », la question de l’accès des adultes à la qualification et au diplôme, qu’il s’agisse aussi bien de reconversion que de promotion sociale, reste ouverte, et toujours largement sans réponse, tant les canaux d’accès aux formations professionnelles longues demeurent insuffisants au regard des besoins actuels et prévisibles des actifs. Ni le Compte personnel de formation (CPF) ni sa version renforcée sous la forme du CPF-transition n’offrent aujourd’hui, en dépit – ou à cause ? – de la réforme de 2018 le moyen d’outiller en grand nombre les actifs confrontés aux mutations de l’emploi. Comme le suggèrent les données d’Eurostat sur l’accès à la formation formelle (3) en cours de vie active, la formation différée reste à construire en France.

Pour en savoir plus

« Reprises d’études en début de vie active : acquérir un diplôme reste le graal », Alexie Robert, Bref Céreq n° 396, 2020

« Retours précoces sur la voie des diplômes : vers une formation “tout au long du début de la vie” ? » Virginie Mora, Alexie Robert, Bref Céreq n° 360, décembre 2017

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Socio-économiste, Jean-Louis Dayan a mené continûment de front durant sa vie professionnelle enseignement, étude, recherche et expertise dans le champ des politiques du travail, de l’emploi et de la formation. Participant à des cabinets du ministre du travail, en charge des questions d’emploi au Conseil d’analyse Stratégique, directeur du Centre d’Etudes de l’Emploi… Je poursuis mes activités de réflexion, de lectures et de rédaction dans le même champ comme responsable de Metis.