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L’apprentissage a le vent en poupe. Il semble séduire davantage les jeunes et des études récentes montrent que la voie professionnelle par apprentissage est plus efficace que la voie scolaire pour décrocher un emploi, en particulier en CDI. Même dans une autre entreprise que celle où l’on a fait son alternance.

Le rapport Les Grands Défis Économiques  publié par Jean Tirole et Olivier Blanchard vient de rappeler l’importance de l’apprentissage parmi les politiques susceptibles « d’établir l’égalité des chances ». La France se distingue en effet par un taux de chômage des jeunes de 15-24 ans de près de 20 %, bien supérieur à la moyenne européenne (15 %) et qui situe la France au 22e rang des pays de l’Union européenne (Eurostat 2019) bien loin de l’Allemagne à un peu plus de 5 %. Dans cette situation — selon les deux économistes — le développement de l’apprentissage doit être privilégié. « Les dernières réformes incitant davantage les employeurs à embaucher des apprentis et les étudiants à choisir l’apprentissage ont permis de combler une partie du retard accumulé ». Il convient de persévérer ; la dynamique est particulièrement forte aux niveaux de qualification supérieurs, bac + 2 ou plus, avec une hausse de 14 % en 2018 (« Les contrats d’apprentissage en 2018 », DARES résultats, mai 2020), mais la hausse est beaucoup plus limitée aux niveaux moyens (CAP, Bac pro).

Si l’on examine de plus près la situation de l’emploi des jeunes, on doit donc distinguer la situation selon les niveaux et les modalités de formation. C’est ainsi que les données rassemblées par le CEDEFOP dans le « Spotlight on VET — 2020 compilation » (mai 2021) montrent que le taux d’emploi des jeunes de 20-34 ans qualifiés au niveau de la fin d’études secondaires situe la France encore plus en bas de l’échelle, au 24e rang des pays de l’UE. Par ailleurs, le document note une différence sensible entre ceux qui ont suivi un enseignement professionnel dont le taux d’emploi atteint 73 %, tandis qu’il est de 66 % pour ceux qui viennent de l’enseignement général. Ce différentiel s’observe dans tous les pays ou presque, mais avec d’importantes variations : il est ainsi particulièrement élevé en Allemagne (89 % versus 66 %), mais aussi, à un moindre niveau en Autriche (88 % versus 79 %) au Danemark (86 % versus 77 %) ou en Finlande (79 % versus 71 %) à un niveau voisin de la moyenne européenne (80 % versus 73 %).

Ce différentiel n’est pas lié au poids des enseignements professionnels au sein du secondaire ; il est ainsi quasi nul dans des pays tels que la Tchéquie ou la Slovénie où les enseignements professionnels représentent les trois quarts des effectifs tandis qu’il atteint moins de la moitié en Allemagne ou au Danemark. En revanche il semble que ce « plus » du taux d’emploi a quelque chose à voir avec les modalités de l’enseignement professionnel, formation en milieu scolaire ou apprentissage, ce dernier se révélant plus capable de préparer à l’insertion dans l’emploi. C’est ce qu’on pouvait entrevoir à la lecture de l’article « L’apprentissage à la croisée des chemins partout en Europe » (Jean-Raymond Masson, Metis, 23 avril 2021) où l’on identifiait l’Allemagne, le Danemark, l’Autriche et la Finlande comme les pays européens où l’apprentissage (rapporté au nombre d’habitants) était le plus développé. 

Le premier emploi est lié aux modalités pédagogiques de formation

Ce sujet du premier emploi des sortants de l’enseignement professionnel et de l’apprentissage fait l’objet d’une note du Céreq « Débuter en CDI : le plus des apprentis » (BREF, avril 2021). Ce document livre les principales conclusions d’une étude bâtie sur les données de l’enquête « Génération » conduite en 2013 pour étudier le cheminement professionnel des jeunes issus du système éducatif en 2010. L’étude se concentre sur les sortants aux niveaux moyens de qualification (issus des formations conduisant aux CAP, BEP, Bac pro, BTS, DUT ou aux licences professionnelles) en croisant ces données avec les modalités de formation, apprentissage ou voie scolaire ; elle observe les embauches réalisées en vue du premier emploi dans les trois mois suivants la sortie, ainsi que le type de contrat passé, CDI ou non. Ce faisant, elle identifie comme facteur explicatif majeur « les effets de proximité » liés aux liens construits entre le jeune et l’entreprise formatrice : il s’agit pour le jeune de la connaissance pratique du métier, de l’expérience du monde du travail, ainsi que des compétences spécifiques relatives au diplôme préparé telles que mises en œuvre dans l’entreprise, et pour l’employeur d’une première évaluation des qualités et des dispositions de l’apprenti. Ces effets sont bien évidemment plus importants dans le cas de l’apprentissage que dans celui des stages ou des périodes en entreprise intervenant dans la voie scolaire, et il semble naturel que les employeurs soient sensibles au signal envoyé par ces effets de proximité et recrutent plus aisément des jeunes issus de l’apprentissage. À l’inverse on peut penser que les formés par la voie scolaire disposeront d’une vision plus large ainsi que de compétences plus théoriques et transversales qui leur faciliteront l’accès à une palette plus étendue de métiers et d’entreprises.

La réalité est plus complexe et parfois surprenante. Les « apprentis » obtiennent leur premier emploi dans l’entreprise « connue en formation » nettement plus souvent que les « scolaires » — ce qui était attendu — mais le phénomène n’est pas si fréquent. Il ne concerne qu’un quart des apprentis qualifiés au niveau CAP-BEP (contre 14 % pour les scolaires). Cette fréquence augmente cependant avec le niveau (environ un tiers pour le Bac pro et presque la moitié pour le supérieur court) tout en maintenant un écart conséquent avec les scolaires.

L’avantage des apprentis est plus substantiel quant à l’acquisition d’un premier emploi en adéquation avec le diplôme préparé, quelle que soit l’entreprise. Ce phénomène concerne une large majorité d’entre eux ; il se renforce en relation avec le niveau (56 % parmi les CAP-BEP et près de 70 % aux niveaux supérieurs) et l’avantage y est plus marqué sur les scolaires que dans la situation précédente. Ce n’est que dans le cas d’un emploi sans lien avec la formation et dans une autre entreprise que celle connue en formation, que ces derniers prennent l’avantage.

Quant à l’obtention d’un CDI avec le premier emploi, les résultats sont encore plus flagrants au profit des apprentis. Les effets de proximité ne jouent aucun rôle pour les sortants de la voie scolaire. Pour eux, la probabilité d’accès à un CDI est constante (autour de 23 % aux niveaux CAP-BEP et Bac pro, et près de 30 % au niveau supérieur court) qu’il s’agisse de l’entreprise connue en formation ou d’une autre, ou bien que l’emploi soit en adéquation avec le diplôme ou non. En revanche, ils jouent à plein vis-à-vis des apprentis, dont les employeurs valorisent beaucoup plus souvent l’expérience acquise par un accès au CDI. Cela vaut également, mais à un moindre niveau (et seulement pour les formations secondaires), si l’emploi est en lien avec la formation. Dans le premier cas (celui d’une entreprise connue en formation), la fréquence de l’obtention d’un CDI atteint 43 % au niveau CAP-BEP et 50 % et plus aux niveaux supérieurs ; les résultats sont un peu inférieurs dans le second cas (emploi en adéquation avec le diplôme).

Il convient également de noter la spécificité des résultats concernant l’apprentissage aux niveaux supérieurs. La valorisation de l’apprentissage n’y fonctionne pas de la même façon que pour les qualifications de niveau secondaire. Comme on l’a vu, le recrutement d’anciens apprentis par l’entreprise qui les a formés est sensiblement plus fréquent pour les bac+2 ou 3 et ils obtiennent un CDI une fois sur deux. De plus, que leur premier emploi soit en lien ou non avec leur formation ne semble pas déterminant dans l’obtention ou non d’un CDI. Même dans le cas d’un emploi sans lien avec la formation et dans une entreprise autre, l’obtention d’un CDI est plus fréquente pour les anciens apprentis que pour les scolaires, à la différence de ce qu’on constate pour les CAP-BEP.

L’étude conclut sur l’importance des effets de proximité dans la plus grande réussite des formés par la voie de l’apprentissage. Elle souligne cependant le caractère contingent de ce phénomène pour les formations de niveau secondaire où les individus sont ainsi soumis aux aléas de la conjoncture, qu’il s’agisse des performances de l’entreprise ou du secteur d’activités. Il en va différemment au niveau supérieur court où l’avantage de l’apprentissage se confirme dans tous les cas. Ces conclusions tirées de l’enquête Génération sont parfaitement cohérentes avec la dynamique forte de l’apprentissage aux niveaux supérieurs enregistrée récemment. Elles justifient aussi les plus grandes difficultés à le développer au niveau des CAP et des Bac pro, et c’est donc bien là que se situe la priorité pour l’ensemble des acteurs et en particulier pour l’éducation nationale.

Les responsabilités du ministère de l’Éducation nationale

La loi de 2018 « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel » a considérablement changé les règles du jeu concernant l’apprentissage. En donnant aux entreprises la possibilité d’ouvrir des CFA et en remodelant la gouvernance du système autour de France Compétences et des branches professionnelles au détriment des Régions, elle a donné à l’ensemble des formateurs et donc en particulier au MEN des possibilités élargies d’intervention, mais dans un contexte encore plus concurrentiel qu’auparavant. Précédemment c’était aux Régions d’assurer le développement de l’apprentissage et l’éducation nationale n’était qu’un opérateur, certes majeur, au service des stratégies régionales. Aujourd’hui le ministère est susceptible de prendre l’initiative et de travailler directement avec les branches professionnelles et leurs opérateurs de compétences (les OPCO) et de jouer un rôle majeur dans les développements d’un apprentissage de qualité et plus généralement dans la bataille contre le chômage des jeunes.

Pour ce faire le MEN dispose de son réseau de lycées professionnels et de la « transformation de la voie professionnelle » engagée par le ministre Blanquer en 2018 en cohérence avec la loi « Avenir professionnel » et qui a pour objectif le développement de l’apprentissage. Dans cette perspective, il ne s’agit plus d’opposer les formations en alternance de la voie scolaire aux formations en apprentissage, mais d’en assurer la complémentarité dans une vision qui tient le plus grand compte des exigences du développement économique et social et en même temps de la réussite scolaire et de l’épanouissement personnel. Ainsi les objectifs sont de « faciliter le passage de la voie scolaire à l’apprentissage et en sens inverse, de sécuriser le passage de l’apprentissage vers la voie scolaire ». Pour ce faire, « chaque lycée professionnel pourra désormais accueillir des apprentis permettant d’offrir une diversité de parcours aux élèves et de sécuriser les transitions entre les deux modalités de formation ».

Mais l’affaire n’est pas simple. Assurer la complémentarité entre les deux voies suppose d’abord de faire en sorte que l’offre d’apprentissage soit suffisamment consistante à côté de celle qu’offre la voie scolaire et donc d’avoir développé à l’avance des relations étroites avec des entreprises en particulier par le truchement des COPCO. Et cela quelle que soit la solution : CFA publics intégrés au sein de campus d’excellence à côté de lycées professionnels, CFA intégrés à des GRETA, sections ou filières spécifiquement dédiées à l’apprentissage au sein d’un lycée, CFA privés en contrat avec des lycées. Il convient ensuite de bien identifier les spécificités et les avantages et inconvénients de chacune (telles qu’analysés dans l’étude du Céreq rapportée ci-dessus) en relation avec les spécificités et les motivations des populations auxquelles on s’adresse ; ceci vaut pour les jeunes et leurs familles, mais aussi pour les employeurs qui doivent bien saisir les différences entre les deux modes et les attentes qui en découlent vis-à-vis d’eux notamment en ce qui concerne l’encadrement des apprenants, qu’ils soient apprentis ou stagiaires. Il importe également de travailler étroitement avec les services d’orientation afin que tous les intervenants concernés tiennent le même langage à l’égard des différents publics ; mais aussi avec les responsables de la Région en charge de la formation professionnelle compte tenu de l’ouverture de l’apprentissage aux adultes. Un aspect crucial est sans doute d’éviter les confusions qui pourraient apparaître aux yeux des jeunes comme à ceux des employeurs entre les deux voies (scolaire et apprentissage) si l’on cherchait trop vite à promouvoir la mixité des publics au sein des formations.

Pour le moment les échos remontant des académies ne sont pas très encourageants et parfois inquiétants. La libéralisation de l’ouverture des CFA et les appels d’offres lancés par les OPCO ont fait émerger, à côté des « vraies » entreprises, un certain nombre d’organismes de qualité incertaine porteurs de qualifications nouvelles loin des standards des diplômes nationaux. Si l’on y ajoute le peu d’ambition du référentiel de qualité en vigueur (voir dans Metis « L’apprentissage, quel développement durable ? », Michel Weil, juillet 2021) ainsi que la baisse attendue des financements que laissent prévoir les normes de coûts-contrats, le risque semble élevé de voir se réaliser le scénario du pire identifié lors du symposium OCDE/Cedefop de 2019 consacré à l’avenir de l’apprentissage (voir dans Metis « L’apprentissage à la croisée des chemins partout en Europe », Jean-Raymond Masson, avril 2021) et qui consiste à « privilégier les emplois les moins qualifiés et à encourager une visée purement utilitariste de la part d’employeurs voyant dans les modalités d’apprentissage le moyen de limiter les coûts de production ».

Tout cela nécessite des réflexions approfondies et peut-être le besoin d’axes stratégiques au plan national y compris en termes de priorités, ne serait-ce que pour assurer une bonne coordination avec les politiques de l’emploi. À l’heure actuelle il ne semble pas qu’une stratégie nationale de développement de l’apprentissage ait été bâtie au niveau du MEN et c’est probablement tant mieux tellement les questions évoquées ci-dessus ne se posent pas de la même façon d’une région à une autre, ou même d’un bassin d’emploi à un autre. C’est ainsi que des opérations ambitieuses ont déjà été conduites au plan académique et/ou local notamment à l’initiative de plusieurs GRETA et il semble intéressant d’y voir de plus près.

  (à suivre)

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Ingénieur École Centrale promotion 1968. DEA de statistiques en 1969 et de sociologie en 1978. Une première carrière dans le secteur privé jusqu’en 1981, études urbaines au sein de l’Atelier parisien d’urbanisme, modèles d’optimisation production/vente dans la pétrochimie, études marketing, recherche DGRST sur le tourisme social en 1980.

Une deuxième carrière au sein de l’éducation nationale jusqu’en 1994 avec diverses missions sur l’enseignement technique et la formation professionnelle ; participation active à la création des baccalauréats professionnels ; chargé de mission au sein de la mission interministérielle pour l’Europe centrale et orientale (MICECO).

Une troisième carrière au sein de la Fondation européenne pour la formation à Turin ; responsable de dossiers concernant l’adhésion des nouveaux pays membres de l’Union européenne puis de la coopération avec les pays des Balkans et ceux du pourtour méditerranéen.

Diverses missions depuis 2010 sur les politiques de formation professionnelle au Laos et dans les pays du Maghreb dans le contexte des programmes d’aide de l’Union européenne, de l’UNESCO et de l’Agence Française de Développement.

Un livre Voyages dans les Balkans en 2009.

Cyclotourisme en forêt d’Othe et en montagne ; clarinette classique et jazz ; organisateur de fêtes musicales.