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danielle kaisergruberLes changements d’emploi, d’entreprise, de métiers, de régions sont nombreux en ce moment. On en fait souvent des success-stories. À voir. Pendant ce temps-là les règles des assurances chômage et les pratiques des services publics de l’emploi changent, un peu partout en Europe. Les trajectoires opposées de la France et de l’Allemagne sont ainsi révélatrices.

Tandis que nous restons dans une approche financière et globalement punitive, l’Allemagne abandonne les lois Hartz IV de 2005 pour une approche plus généreuse des allocations et une vision plus coopérative de la relation entre l’Agence pour l’emploi (le BA, Bundesagentur für Arbeit) et les demandeurs d’emploi. L’objectif avait été de favoriser le retour à l’emploi des chômeurs, le résultat a été une forte augmentation de la pauvreté des chômeurs et des autres (taux de pauvreté qui passe de 14,3 % en 2010 à 16,8 % en 2019). La réforme annoncée ces derniers jours affiche le mot d’ordre « Le revenu citoyen apparait, Hartz IV disparait » et le commentaire « revaloriser et réformer le dispositif punitif et stigmatisant d’aides sociales avec un plan de coopération agréé sur un pied d’égalité entre le demandeur d’emploi et le BA ». (Les Echos, 25.11.2022). La revalorisation concerne également les aides au logement et la prise en compte de l’épargne des personnes et des familles.

C’est aussi que la situation des demandeurs d’emploi et de ceux qui travaillent met en jeu d’autres facteurs qui font l’entourage du travail : le logement, les transports, les services de proximité, les gardes d’enfant. En somme « la vie autour du travail », selon l’expression de Denis Maillard.

C’est aussi que les demandeurs d’emploi sont en grand nombre des « demandeurs de transition professionnelle » et qu’à trop l’oublier on peut se tromper de réforme. L’assurance chômage, donc le passage par « la case chômage », fait partie des transitions qu’on le veuille ou non. L’assurance chômage pourrait « tenir un tout autre rôle que le traitement des difficultés de recrutement si ses ressources étaient pour partie mobilisées, pourquoi pas sous la houlette du futur “France Travail”, au service de l’accompagnement de transitions professionnelles qui s’annoncent massives. » (voir dans Metis, Jean-Louis Dayan, « Réforme de l’assurance chômage saison 2 », novembre 2022).

Les transitions professionnelles ne sont pas toujours un long fleuve tranquille, elles sont surtout très diverses, longues ou courtes, longtemps mûries ou décidées sur un coup de tête, ou parce qu’une opportunité se présente, subies ou choisies. Elles sont accompagnées ou non, ne comportent pas nécessairement de longues et patientes formations. L’étude de France Compétences (« Des reconversions professionnelles variées et éloignées des modèles linéaires », note n° 4, janvier 2022) montre que la frontière entre les deux est moins claire qu’il n’y parait. C’est parfois une pause dans une vie de travail bien remplie où « l’on coure tout le temps », de l’école ou de la crèche pour récupérer les enfants, du dernier bus à attraper au supermarché. La crise sanitaire a été une pause obligée : elle n’en finit pas de produire des effets. Mais nous ne sommes pas tous égaux devant le besoin, ou le désir, de changer. Les plus pénalisés sont ceux qui ont peu changé durant leur parcours. Plus une personne a changé d’emploi, d’entreprise, de métier, plus elle peut prendre le risque de changer encore.

Les acteurs qui accompagnent les salariés, les demandeurs d’emploi, les indépendants et créateurs d’entreprise s’adaptent. C’est ainsi qu’en Belgique, les diverses formes « d’interruption de carrière » (congés pour reprise d’études, pour se former, pour proches aidants…), dans la fonction publique comme dans les entreprises sont rémunérées à temps plein ou à temps partiel par l’ONEM, le service public de l’emploi (voir le site Break@work).

Mais le site de la Commission européenne comporte toujours cette définition : « Dans les pays de l’UE, les services publics de l’emploi (SPE) sont les autorités qui mettent en relation les demandeurs d’emploi et les employeurs. » À changer ?

Une part importante des mobilités peut se faire au sein même des entreprises où les nécessités de la transition écologique, des transformations liées au numérique font bouger les frontières et les contenus des métiers et hybrident les compétences, sans parler des souhaits personnels d’évolution des salariés. Il y faut pas mal de volontarisme et de persévérance. Un temps, on appelait cela « la sécurisation des parcours professionnels »…

Alors prêts pour le quiet moving, ici ou ailleurs ?

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.