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Qui se souvient encore de l’action du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC) ? Qui se souvient de l’action, entre 1973 et 1975, dans toutes les grandes villes de France de groupes de femmes qui revendiquaient de pratiquer des avortements « illégaux, mais pas clandestins » ? L’histoire a retenu le vote de la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) défendue par Simone Veil en novembre 1974. Le film de Blandine Lenoir, Annie Colère, nous restitue très fidèlement ce qui a précédé et rendu aussi bien possible que nécessaire, ce vote.

Des femmes en meurent

En France, au début des années 1970, plusieurs centaines de femmes meurent chaque année des suites d’un avortement clandestin pratiqué avec les aiguilles à tricoter de celles que l’on appelait les faiseuses d’anges. Surtout des femmes de milieux populaires, celles qui ont les moyens partent aux Pays-Bas ou en Angleterre où l’avortement est pratiqué en milieu médical. Elles ont ignoré la contraception, légalisée depuis 1967. Pour une proportion importante, elles sont mariées et déjà mères de plusieurs enfants.

Annie est l’une d’elles. Elle est ouvrière, s’entend bien avec son mari, sympathique et ouvert. Ils ont deux enfants. Ils ne veulent pas d’un troisième. Annie entend parler des permanences du groupe local du MLAC. Elle s’y rend, pleine d’appréhension et déterminée à la fois. La discussion s’engage avec les autres femmes, celles qui accueillent et expliquent, et celles qui sont là parce qu’elles cherchent un moyen de mettre fin à une grossesse non désirée. Une méthode techniquement simple, peu chère et sûre a fait son apparition, la méthode Karman. Elle peut être pratiquée en dehors de l’hôpital. Des médecins assistent le groupe, rédigent les ordonnances pour que ces femmes prennent les médicaments qui accompagnent l’interruption de grossesse grâce à cette méthode.

Le groupe d’une petite dizaine de femmes discute de tout, de contraception, de sexualité et bien sûr d’avortement. Pour celles dont la grossesse est trop avancée, il faut envisager de se rendre aux Pays-Bas. Comment financer ce déplacement et les frais sur place ? Celles qui le peuvent participent. Les autres prennent rendez-vous dans l’appartement de l’une d’elles. C’est là que les avortements seront pratiqués chaque semaine.

Aider à mon tour

Annie sort rapidement de sa réserve. Les femmes qui l’ont accueillie lui proposent d’aider à son tour. Elle est surprise, elle pense ne pas en être capable. C’est une ouvrière. Finalement, elle s’y met. Bientôt elle est en mesure d’accueillir d’autres femmes et de contribuer avec ces collègues à l’action de ce groupe du MLAC.

Elle y apprend des gestes techniques et bien plus. Elle s’engage, milite, découvre l’excitation de l’action, la solidarité, les amitiés en dehors de son milieu de travail ou familial. Son évolution pose des problèmes avec ses collègues de l’usine et dans sa famille. Elle fait au mieux dans un mélange de fermeté et de négociation.

Le film se termine au moment du vote de la loi. Les débats qui suivent sont difficiles. Le groupe est partagé : faut-il célébrer la victoire, dissoudre le MLAC et donner à nouveau tout le pouvoir au corps médical ? Comment préserver et enrichir l’action militante et tout ce qu’elle enseigne ? Annie voudrait que son expérience, ses amitiés, la confiance en ses capacités continuent. À défaut, elle part se former. Elle sera infirmière.

Des leçons politiques

Le film de Blandine Lenoir est littéralement porté par Laure Calamy dans le rôle d’Annie. Le début est très émouvant et la fin partagée entre doutes, interrogations et happy end. Il est salutaire au moment où les droits à l’IVG sont mis en cause et restreints aux États-Unis. Le rappel historique de l’action du MLAC est aussi riche d’enseignements plus généraux.

Ce n’est pas enlever au mérite de Simone Veil qui courageusement vit voter, pour cinq ans à titre d’expérimentation dans un premier temps, la loi encadrant et dépénalisant l’avortement, que de rappeler qu’elle s’est imposée comme seule issue aux luttes menées avant elle, « pour tenir compte de la situation de fait existante », dira-t-elle dans son discours à l’Assemblée nationale. En 1971 paraît le manifeste des 343 femmes qui déclarent avoir avorté. Parmi les signataires se trouvent Simone de Beauvoir, Catherine Deneuve, Françoise Sagan, Jeanne Moreau, Delphine Seyrig. En 1972 a lieu à Bobigny le procès d’une jeune femme de 17 ans inculpée pour avoir avorté après un viol. Les débats enflamment l’opinion publique et elle sera acquittée. 331 médecins signent eux aussi un manifeste où ils déclarent pratiquer des avortements au mépris de la loi qui les menace d’emprisonnement et de l’interdiction de pratiquer la médecine. À partir de 1973 le MLAC pratique des avortements « illégaux, mais pas clandestins ». Ainsi se construit parfois la loi.

Au sein du MLAC, l’accueil, la préparation et l’accompagnement des femmes sont faits exclusivement par d’autres femmes. Ça n’empêche en rien la mobilisation des médecins, hommes et femmes, à certaines étapes du processus. Au moment où beaucoup, à droite comme à gauche, déclaraient la République et ses valeurs en danger à l’évocation d’une réunion non mixte au sein de l’Université, nous devrions aussi méditer cette leçon.

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Directeur d’une Agence régionale de développement économique de 1994 à 2001, puis de l’Association Développement et Emploi, devenue ASTREES, de 2002 à 2011. A la Fondation de France, Président du Comité Emploi de 2012 à 2018 et du Comité Acteurs clés de changement-Inventer demain, depuis 2020. Membre du Conseil Scientifique de l’Observatoire des cadres et du management. Consultant et formateur indépendant. Philosophe de formation, cinéphile depuis toujours, curieux de tout et raisonnablement éclectique.