3 minutes de lecture

Les graines du figuier sauvage, de Mohammad Rasoulof, a été tourné clandestinement en Iran pendant les manifestations qui ont suivi la mort de Masha Amini. Après le tournage, le cinéaste s’est enfui d’Iran, ainsi que les actrices. Le film nous parle de l’Iran, de cette révolte contre le régime et sa sanguinaire police des mœurs. Il relaie le cri lancé pour être entendu dans le monde entier « Femmes, Vie, Liberté ». Il nous parle aussi du travail.

Iman se tient à l’écart de la politique. Il mène avec conscience une carrière de magistrat. Quand la répression contre les manifestants s’abat, il vient d’avoir une promotion. Il est immédiatement confronté à des décisions difficiles. Dans un premier temps il croit pouvoir faire selon ses habitudes. Il prendra le temps qu’il faut pour instruire selon les règles le dossier qui est sur son bureau. Le sort d’un jeune homme en dépend. Ses supérieurs hiérarchiques lui font vite comprendre qu’il n’en est pas question. Il lui faut signer la condamnation à mort, sans même jeter un œil à la mise en accusation.

Le soir, il s’ouvre de ce « cas de conscience » à son épouse, Najmeh. Sa réaction spontanée est de conforter son mari dans son désir de résister. Et puis, tous deux prennent en considération les conséquences de cette décision. Adieu la promotion, le déménagement et le lave-vaisselle tant espérés. Najmeh va conclure : « Si tu obéis à un ordre, à une décision de ton supérieur, alors tu n’es pas responsable ». Au secours, Hannah Arendt revient !

A partir de là, la tension monte. D’un côté, Iman est littéralement emporté dans le courant de la répression menée par le régime. Les condamnations s’enchaînent. De l’autre, ses filles approuvent et soutiennent les manifestants. Elles s’informent sur les réseaux sociaux. L’aînée, Rezvan vient d’entrer à l’université. Une de ses amies est blessée au visage par un tir de chevrotine. Il faut extraire un à un les plombs de son visage. L’œil gauche est perdu. Rezvan se met en colère lorsqu’Iman tente de convaincre sa famille qu’il faut croire la version officielle, celle de la télévision. Sana, la plus jeune, n’est pas en reste. Najmeh renonce à tenter de concilier les deux positions. Elle prend fait et cause pour ses filles.

La suite, très bien menée dans le huis clos familial, tournage clandestin oblige, ne peut être racontée sans « divulgâcher » le film de Mohammad Rasoulof. Bien sûr, les situations en France et en Iran ne sont absolument pas comparables. Les enjeux ne sont pas de même intensité. Mais nous avons aussi des conflits de valeur, des conflits éthiques. Sommes-nous sûrs d’être protégés des conséquences de petits ou de grands renoncements à ce qui nous tient à cœur ? La suite pour nous en Europe sera certainement moins dramatique, mais la « résignation angoissée » dont parle Axel Honneth (vois dans Metis « Une mentalité démocratique au travail », septembre 2024) peut tout aussi bien gangréner le corps social qu’entraîner le malheur personnel. Le titre du film, Les graines du figuier sauvage, est tiré d’une légende. Une graine de figuier se dépose sur un arbre majestueux. Elle semble insignifiante, mais petit à petit le figuier pousse et bientôt il asphyxie l’arbre, qui meurt.

Le jury du Festival de Cannes lui a attribué un Prix spécial au goût de prix de consolation. Il a préféré décerner la palme au film Anora, pas encore sorti sur les écrans. Il raconte l’histoire d’une escort girl américaine qui tombe amoureuse d’un milliardaire russe. Etrange époque.

Print Friendly, PDF & Email
+ posts

Directeur d’une Agence régionale de développement économique de 1994 à 2001, puis de l’Association Développement et Emploi, devenue ASTREES, de 2002 à 2011. A la Fondation de France, Président du Comité Emploi de 2012 à 2018 et du Comité Acteurs clés de changement-Inventer demain, depuis 2020. Membre du Conseil Scientifique de l’Observatoire des cadres et du management. Consultant et formateur indépendant. Philosophe de formation, cinéphile depuis toujours, curieux de tout et raisonnablement éclectique.