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La Justice restaurative propose à des personnes, victimes et auteurs d’infractions, de se rencontrer et de dialoguer. C’est si loin de « la passion de punir » (Didier Fassin : Punir, une passion française. Le Seuil 2017) et de la tentation symétrique de ressasser sans fin la violence dont on a été victime, que, sans doute, « la société va détester », comme l’affirme le personnage de Denis Podalydès, en charge de la formation des Conseillers Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (CPIP). Le film de Jeanne Herry, Je verrai toujours vos visages, précis et émouvant, nous permet de saisir la portée et l’originalité de cette Justice complémentaire de la justice pénale et inscrite dans la loi française depuis 2014.

Victimes et auteurs des faits

Nassim, Issa et Thomas ont été condamnés pour vols avec violence. Ils se sont engagés dans ce processus de la Justice restaurative, en sachant qu’ils ne peuvent en espérer aucune remise de peine. Grégoire, Nawelle et Sabine ont été victimes de homejacking, de braquage et de vol à l’arraché et leur vie en a été bouleversée. Chloé, violée à de multiples reprises par son frère, l’a fait condamner il y a maintenant une dizaine d’années. Depuis, il est sorti de prison et récemment il est revenu vivre dans la même ville qu’elle. Elle ne veut pas le rencontrer et veut fixer des règles partagées pour que cela n’arrive pas.

Judith, Fanny ou Michel encadrent le dispositif. Sans eux, les échanges entre victimes et justiciables, tourneraient courts. Ils sont CPIP ou bénévoles et préalablement formés. Ils ne prennent pas parti, ne jugent pas, n’expliquent pas, se retiennent de parler à la place de celles et ceux qui se sont engagés dans la démarche. Ils préparent les rencontres, les sécurisent, qu’elles aient lieu en tête-à-tête ou en groupe.

Chloé a-t-elle envisagé un refus de son frère, lui qui depuis le procès l’accuse d’avoir gâché sa vie, alors qu’ils étaient des enfants au moment des faits ? Nawelle ou Grégoire peuvent-ils entendre Issa se poser lui-même en victime d’une enfance maltraitée et de mauvaises fréquentations, l’entendre dire qu’au fond il n’est pas responsable ? Peuvent-ils entendre que Thomas était pris dans l’enfer de la drogue et qu’elle était aux commandes ? A chaque instant, l’émotion, la douleur, la colère ou la culpabilité, risquent de tout emporter.

Chacun cherche les mots les plus justes. Au procès, il fallait choisir ceux qui accusent ou ceux qui cherchent des excuses et les circonstances qu’on espère « atténuantes ». Là, ceux qui comptent sont ceux qui disent au mieux ce qu’on ressent et ceux qu’on écoute pour la première fois. Nassim ne peut pas se souvenir du visage de ses victimes. Trop de stress. Son révolver était chargé, mais il l’interdisait à ses complices, il n’avait pas confiance dans leur sang-froid. Sabine ne sort plus de chez elle, même pour voir ses petits-enfants. Dehors elle a peur. La dépression profonde de Grégoire après le braquage, lui a fait tout perdre, sa famille, son entreprise. Une vie qu’il aimait. À la fin, il dormait dans son camion. Issa semble découvrir que cette identité de délinquant récidiviste, qui lui colle à la peau et lui assure une forme d’intégration sociale, de respect de ses « pairs », n’est peut-être pas la seule envisageable. Il dit n’avoir jamais rien décidé dans sa vie. Et s’il commençait à le faire ?

Pour ceux-là, victimes et délinquants, le procès ne joue pas ce rôle de catharsis dont on nous parle. Il ne suffit pas que justice soit faite. Le dialogue engagé, préparé, la parole dénuée d’intentions stratégiques, pour soi-même autant que pour les autres, permet enfin d’envisager une suite. Pour ceux qui vont sortir de prison et qui auront pu parler sans être sans cesse renvoyés à leurs délits. Pour les victimes qui espèrent reprendre leur vie d’avant, « qui était mieux » comme le dit Grégoire. Ces échanges inconditionnels, prolongés, sans volonté de clore le débat, ni d’une illusoire réconciliation, transforment ceux qui l’acceptent au-delà de ce qu’ils espéraient. Il ne s’agit pas de négociation, de victoire ou de compromis. Il n’y a pas de verdict, mais un processus de maturation et de restauration.

Les mots justes

C’est là que le film prend une autre dimension. Au contraire des petites phrases polémiques et vexatoires, des jugements à l’emporte-pièce, des éléments de langage, des fanfaronnades, qui tiennent souvent lieu de conversation, il s’agit de trouver les mots justes. Ils ne sont pas toujours les premiers à venir, mais ils sont ceux qui comptent, pour les victimes, les auteurs d’agression, pour nous tous. Il s’agit aussi de laisser les visages, les corps, les regards, dirent leur vérité.

La Justice restaurative, très méconnue, est une des démarches mises en œuvre par les Services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) chargés de prévenir la récidive[1] et de contribuer à l’insertion ou à la réinsertion après une incarcération. Elle ne propose pas de peine de substitution à la prison. Elle associe les victimes à la démarche. Et si elle devenait, non pas ce que la société déteste, mais ce qu’elle réclame ?

 Le film de Jeanne Herry est un très bel exemple d’union entre le cinéma documentaire et celui de fiction. Les actrices et acteurs professionnels, il faut les citer tous, Adèle Exarchopoulos, Elodie Bouchez, Leïla Bekhi, Miou-Miou, Suliane Brahim, Dali Benssalah, Gilles Lellouche, Jean-Pierre Darroussin, incarnent ceux qui sont incarcérés, ceux qui ont été victimes et ceux qui les accompagnent. Ils donnent au film de Jeanne Herry toute sa vérité et son émotion.

Pour en savoir plus

– Le site de l’Observatoire International des Prisons / Articles sur la justice restaurative
– Le site du ministère de la Justice – « La justice restaurative au cinéma, les CPIP sous les projecteurs »
– Cario et P. Mbanzoulou, La justice restaurative une utopie qui marche ? L’Harmattan, 2010.

[1] 63% de re-condamnation après une incarcération. Ce chiffre diminue considérablement lorsque les sorties sont accompagnées. Depuis 2018, la loi prévoir la création de SAS, Services d’accompagnement à la sortie. Sur les 25 structures programmées, quatre sont aujourd’hui en activité.

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Directeur d’une Agence régionale de développement économique de 1994 à 2001, puis de l’Association Développement et Emploi, devenue ASTREES, de 2002 à 2011. A la Fondation de France, Président du Comité Emploi de 2012 à 2018 et du Comité Acteurs clés de changement-Inventer demain, depuis 2020. Membre du Conseil Scientifique de l’Observatoire des cadres et du management. Consultant et formateur indépendant. Philosophe de formation, cinéphile depuis toujours, curieux de tout et raisonnablement éclectique.