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« Je n’ai pas signé pour ça ». Parmi toutes les sages-femmes qui exercent dans cet hôpital, Bénédicte est la plus expérimentée, celle qui accueille les nouvelles, celle qui semble la plus solide. Elle annonce sa démission. « Les horaires, je veux bien. Pas le temps de bouffer, de pisser, d’accord. Rater la petite enfance de mon fils pour un salaire de merde, ça me fait mal, mais OK, je peux le faire. Mais traiter mal les gens, ça, je ne peux pas ».

Sages-femmes de Léa Fehner est un film de fiction directement inspiré des témoignages des sages-femmes que la cinéaste a associées au film. La mobilisation prolongée des sages-femmes tout au long de l’année 2022 n’est pas le sujet du film. À sa toute fin, les images des manifestations de l’automne rappellent néanmoins qu’elles ont existé. Lors de la négociation du protocole d’accord signé le 22 novembre, les sages-femmes ont obtenu des hausses de salaire, la mise en place d’une sixième année d’études et la reconnaissance par l’État et la Fonction publique hospitalière de leur statut de profession médicale, conformément au code de la santé publique.

Le film commence lorsque Sofia et Louise intègrent le service à la fin de leurs cinq années d’études. Elles sont colocs par ailleurs. Elles vont devoir s’accrocher. Sofia est plus assurée. Un problème mal géré va la laisser anéantie. Elle doit s’arrêter. Elle est prête à tout abandonner. Louise a moins confiance en elle. Ses débuts sont laborieux. Elle n’a pas le soutien espéré de la part de ses collègues, trop débordés. On la voit progresser et trouver les gestes et les paroles qu’il faut.

Les parturientes et les pères sont, eux aussi, finement observés et filmés. Il y a ceux qui exultent, ceux qui ne peuvent cacher leur émotion, ceux qui ont eu une expérience dramatique lors d’un précédent accouchement et qui ont peur. Il y a aussi cette maman seule, sans hébergement, qui ne veut pas prendre, ni même voir, son enfant. Elle demande à la sage-femme quel prénom lui donner. Et puis, cette jeune femme, venue avec sa mère qui s’interpose entre elle et Louise et qu’il faut remettre à sa place, dans le couloir.

La course est permanente. Chaque sage-femme doit le plus souvent accompagner quatre naissances en même temps. Avant c’était exceptionnel, c’est devenu la règle. C’est la même chose pour Réda, le seul homme du service. Gestion et économie sont les maîtres-mots. Des parents attendent, tentent de décrypter les informations sur les écrans des moniteurs. Au moindre changement d’allure des courbes, ils paniquent, appellent. Il faut les rassurer. Un autre accouchement nécessite immédiatement la présence prolongée de la sage-femme. Il y a bien Valentin, le nouvel interne. Il n’a jamais assisté à un accouchement. Il aimerait bien, mais il ne peut être d’aucune aide.

Cette maternité vit au même rythme qu’un service des urgences surchargé et en manque de personnel. L’activité y est en permanence confrontée à la contradiction entre la durée des accouchements, leur rythme propre à chaque femme, l’émotion des parents lorsque l’enfant est là, et la course des sages-femmes, tiraillées elles-mêmes entre le temps du soin, leur éthique professionnelle, et leur épuisement ou leur énervement lorsque le matériel est défaillant. La joie d’un « l’heureux évènement » est là. Le drame n’est jamais loin.

Le film est construit pour nous alerter sur cette situation et à travers elle sur la situation de l’hôpital public en général. Il est interprété par de jeunes comédiens, issus du Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris. Khadija Kouyaté qui interprète Sofia et Héloïse Janjaud, dans le rôle de Louise, sont toutes deux remarquables.

Sages-femmes a été diffusé sur ARTE au printemps et sort maintenant en salles. Il décrit ce qui fait qu’aujourd’hui les professions médicales peinent à recruter pendant que des professionnels engagés et revendiquant le choix de ce métier par vocation, démissionnent. « Mal traiter les gens, ils n’ont pas signé pour ça ». La critique a accueilli le film avec intérêt. Il mériterait une plus large diffusion.

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Aucune comparaison possible avec les deux films qui font l’événement en cette fin d’été. Il faut en dire un mot.

Anatomie d’une chute de Justine Triet avec Sandra Hüller, palme d’or au Festival de Cannes, mérite indéniablement les éloges unanimes de la presse et du public. On ne voit pas ce qui pourrait être amélioré dans la forme, l’écriture du scénario, les flashbacks, les scènes de l’enquête et celles du tribunal, le jeu des actrices et acteurs. Sur le fond, en exposant très finement les relations complexe entre Sandra, Samuel et leur fils Daniel, ainsi qu’en arrière-plan, les affres du métier d’écrivain, il parvient à ménager jusqu’au bout le doute et l’incertitude. Une mention particulière au jeune Milo Machado Graner dans le rôle de Daniel, enfant mal voyant.

Enfin, bien sûr j’ai un avis sur Barbie de Greta Gerwig. Il faudrait plutôt écrire, le film de l’entreprise Mattel, créatrice de la poupée et producteur du film réalisé par Greta Gerwig. Je m’attendais à subir des propos d’une grande vacuité, couleur rose et blond platine. Il s’agit en fait d’une opération délibérée de marketing, très astucieuse, très maline, très en phase avec l’air du temps. L’entreprise Mattel se rend compte que les stéréotypes qui ont fait le succès de la célèbre poupée adulte qui peut exercer toutes les professions et a détrôné les baigneurs et autres poupées enfants, se retournent contre elle. Avec un grand sens de l’autodérision, ses dirigeants — dans le film ce sont tous des mâles blancs et quinquagénaires — entreprennent d’actualiser ces stéréotypes. En 2023, Barbie doit s’affirmer féministe, sinon elle disparaîtra. Ken et sa tentative pathétique de relancer le patriarcat doivent être vaincus. Barbie nouvelle manière triomphe. Les chiffres de spectateurs ont battu des records. Le nombre d’articles prenant position pour ou contre aussi. On attend les chiffres de vente de la poupée blonde et filiforme.

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Directeur d’une Agence régionale de développement économique de 1994 à 2001, puis de l’Association Développement et Emploi, devenue ASTREES, de 2002 à 2011. A la Fondation de France, Président du Comité Emploi de 2012 à 2018 et du Comité Acteurs clés de changement-Inventer demain, depuis 2020. Membre du Conseil Scientifique de l’Observatoire des cadres et du management. Consultant et formateur indépendant. Philosophe de formation, cinéphile depuis toujours, curieux de tout et raisonnablement éclectique.