La promotion de la diversité est un objectif constant dans la plupart des entreprises et organisations. À la volonté de lutter contre l’injustice que constituent les discriminations s’ajoute le souci de favoriser la créativité grâce à des idées venues d’autres univers et au fait de penser latéralement, outside the box. L’objectif et la méthode restent néanmoins fixés par le « groupe majoritaire » — je n’ose pas écrire dominant — volontaire pour inclure les différences dans un ensemble plus vaste et unique. Deux films à l’affiche adoptent un autre point de vue. Celui justement de ces personnes « différentes » et minoritaires.
Le premier, Un p’tit truc en plus, remplit les salles depuis le 1er mai. Il est plébiscité. Deux malfrats, Artus et Clovis Cornillac, alias Paulo et Orpi surnommé la Fraise, tentent d’échapper à la police après avoir braqué une bijouterie. Sur le point d’être rattrapés, ils croisent une vingtaine de jeunes autistes et trisomiques 21 en partance pour une semaine de vacances dans une ferme isolée en compagnie de Alice et Céline, leurs éducatrices. Le car attend. Sylvain est en retard. Le temps de monter dans le car, Paulo sera Sylvain. La Fraise est son « éduc » attitré, indispensable en raison d’un mystérieux handicap de Paulo. Prise de court, Alice se laisse convaincre. Et le car démarre. C’est le moment de faire connaissance, de faire vraiment connaissance, la semaine ensemble en pleine nature, n’y suffira pas. Par ailleurs, lorsque Sylvain, le vrai retardataire, arrive, un autre car attend. Il y monte et s’y installe. Il va passer des vacances de rêve en compagnie de jeunes étudiants, fêtards et sans préjugés.
Autre ambiance dans Fainéant.es. Le film de Karim Dridi, cinéaste franco-tunisien de 63 ans, nous plonge dans l’univers marginal de deux jeunes femmes Nina et Djoul. Elles tracent la route dans un camion hors d’âge. Pas d’angoisse à propos de la valeur travail, elles s’arrêtent à peine pour un emploi aussi bref que possible, ou mieux, une « teuf » improvisée sur le terrain où sont stationnés d’autres camions ou caravanes. Elles sont épanouies, ne tiennent pas en place, savourent les rencontres de passage, le partage d’un joint, une chanson accompagnée par l’accordéon de Djoul. Pour elles l’éphémère n’est pas dérisoire. Elles veulent bouger, faire la route, on verra où ça mène. Les retrouvailles entre Djoul et son père sont un moment surprenant. Ils ne sont pas vus depuis longtemps. Sa mère, décédée, ne supportait pas ce que sa fille est devenue. La relation était rompue. Elle peine à se rétablir. La sœur de Djoul est là. La soirée s’écoule. On partage un verre. Viennent des fous rires, on ne sait pas trop pourquoi. On croit la connivence intacte, juste enfouie et qui n’attendait qu’une occasion pour se manifester à nouveau et pour longtemps. Au matin, Djoul monte dans son camion et repart.
Le film d’Artus et celui de Karim Dridi sont deux très bons films. Les réalisateurs se sont immergés dans les mondes qu’ils filment. Dix années de travail avec Faddo Jullian qui interprète Nina dans Fainéant.es. Sa propre vie est une des sources du scénario. Artus a travaillé avec les jeunes acteurs autistes ou trisomiques comme il l’aurait fait avec d’autres, le souci de partir de leur personnalité et de leurs marottes en plus. Ces deux films sont des fictions et des films documentaires. Ils nous entraînent dans des mondes que nous connaissons peu ou sur lesquels nous avons des idées convenues. Ils ne sollicitent pas notre bienveillance ni notre compassion. Ces jeunes en situation de handicap et ces femmes dignes héritières des « punks à chien » ou des hobos américains (voir Au fil du rail) sont au centre du jeu. Dans chacun des films, ils sont le groupe de référence. Ils ne sont pas les faire-valoir des acteurs professionnels, qui se donneraient le « beau rôle ». Nous ne sommes pas en position de voyeurs forts de notre « normalité ». Tout jugement est suspendu.
Ce sont Ludo, Marie, Baptiste, Boris, Mayanne, Alexandre qui regardent avec amusement Paulo et la Fraise. Ils les aident, les initient à leurs vacances et à leurs manies. Ils nous font rire des maladresses et des inadaptations des deux fuyards. Ils finissent par les séduire. Ensemble, ils s’émancipent des activités répétitives que leurs éducatrices, Alice et Céline, proposent. Sans elles, ces vacances ne seraient pas possibles, mais elles peinent à se mettre à leur diapason, malgré leur immense bonne volonté. Ce sont Nina et Djoul qui observent le monde qu’elles ont fui sans agressivité, amertume ou envie de le changer, juste de le tenir à distance. Il ne faut pas qu’on les emmerde. Le regard des uns et des autres est joyeux, jamais envieux, sans doute un peu compatissant devant les difficultés des « intégrés », des conformes, celles et ceux dans la norme. Nous-mêmes.
Pourquoi évoquer ces films dans Metis ? Je pourrais développer à propos du travail ingrat de celles qui accompagnent ces jeunes et à qui on vient de signifier que sans doute cette ferme parfaitement adaptée ne sera pas disponible l’année prochaine. Le propriétaire à reçu une offre financièrement plus avantageuse. Ou m’indigner du mépris affiché par Nina et Djoul pour les vertus émancipatrices du travail lorsqu’il engage nos compétences et nos valeurs, et s’accompagne de reconnaissance et d’estime sociales.
L’important cette fois est ailleurs. Il tient en une question. Lorsque nous faisons l’apologie de la diversité, est-ce pour vanter notre capacité à insérer, à intégrer, à assimiler, en partant des différences pour arriver à une norme commune, de préférence la nôtre, enrichie à la marge ? Ou sommes-nous en mesure de prendre en compte ces différences avec le souci de les laisser s’épanouir, d’établir avec elles des relations d’égalité, de vivre en bonne intelligence sans trop se soucier de la cohérence d’ensemble ni de qui en est le centre ? Jean Dubuffet remarquait à propos de l’art brut, que la création « avec ce qu’elle réclame de libre invention », s’y trouvait « à plus haute tension » parce que l’art brut est « sans aucun souci d’applaudissements ou de profit, et pour le seul plaisir gratuit ». N’oublions pas que la biodiversité craint plus l’homogène et l’uniformité, que la pluralité des espèces n’ayant aucune vocation à fusionner.
Un p’tit truc en plus de Artus, avec Artus, Clovis Cornillac, Alice Belaïdi, Marc Riso
Fainéant.es de Karim Didri avec Faddo Jullian et .jU
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