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J’ai assisté avec intérêt au Congrès européen des entreprises à mission, qui s’est tenu le 16 mai 2024 à la Maison de la Mutualité. Au cours de ce Congrès, la Communauté des sociétés à mission (CEM), qui fédère ces dernières en France, a réaffirmé son objectif de « proposer une directive sur une société à mission européenne » afin de généraliser au sein de l’Union européenne (UE), les « purpose-driven companies ». Quelles sont les chances d’y parvenir et quelle forme pourrait prendre ce cadre de gouvernance commun, qui permettrait un statut d’entreprise reconnu dans tous les pays membres ?

Sur quoi s’appuyer pour propulser un modèle européen de l’entreprise à mission ?

Sur l’expérience française, bien sûr, initiée par la loi Pacte de 2019, qui a créé la qualité de société à mission (SAM). Rappelons en quelques mots ce qu’est la SAM. Cette qualité (car il ne s’agit pas d’un statut) s’adresse aux entreprises soucieuses de leurs impacts et de leur contribution, qui veulent parvenir à la conciliation de l’intérêt commun des associés et d’un objectif plus large d’intérêt général. Pour ce faire, l’entreprise doit répondre à cinq exigences, posées par l’article L210-10 du Code de commerce :

  1. Elle formule une raison d’être, au sens de l’article 1835 du Code civil (loi Pacte), c’est-à-dire sa contribution, son utilité sociale, ce qu’elle apporte à ses parties prenantes, au-delà de ses objectifs financiers.
  2. Elle traduit cette raison d’être en une mission et en engagements opposables concrets, c’est-à-dire un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité et qu’elle intègre dans ses statuts, comme sa raison d’être.
  3. Ses statuts précisent également les modalités du suivi de l’exécution de la mission par la création d’un comité de mission, chargé exclusivement de ce suivi, qui procède à toute vérification qu’il juge opportune et présente annuellement un rapport joint au rapport de gestion.
  4. L’exécution des objectifs sociaux et environnementaux mentionnés fait également l’objet d’une vérification par un organisme tiers indépendant (OTI), qui formule un avis joint au rapport mentionné ci-dessus.
  5. La société peut alors déclarer sa qualité de société à mission au greffier du tribunal de commerce, qui la publie, sous réserve de la conformité de ses statuts, au registre du commerce et des sociétés.

La SAM a connu un certain succès en France, même si ce dernier est largement en deçà des espoirs que nous mettions en elle lors de la conception de la loi, lorsque l’objectif de « 10 000 SAM dans les cinq ans » paraissait à portée. Selon les derniers chiffres de l’Observatoire des sociétés à mission, le cap des 1 600 entreprises vient d’être dépassé, 5 ans après la loi Pacte. C’est plus qu’une « masse critique » ou qu’une simple expérimentation : c’est le ferment d’innovations en matière de gouvernance et de management.

La société à mission peut-elle être l’ossature d’un futur statut de société européenne ?

L’idée de généraliser le modèle de la SAM en Europe peut-elle fédérer les autres pays membres ? Certainement pour ce qui est de l’Italie puisque les concepteurs de la SAM en France se sont (en partie) inspirés du statut qui existe en Italie, depuis 2015, la « Societa Benefit ». Les entreprises qui l’adoptent doivent mentionner dans leurs statuts un ou plusieurs buts « de bénéfice commun ». Ces entreprises étaient au nombre de 926 fin 2021, mais 3 600 mi-2024 (dont Olivetti, Chiesi…), selon Paolo Di Cesare, président d’Assobenefit, association fondée en 2018, équivalente de la CEM française (intervention lors du congrès du 16 mai 2024). Après la loi Pacte en France, c’est l’Espagne qui a décidé de mettre en place un cadre légal en 2022, la « Sociedad de Beneficio de Interés Común ». Des réflexions sont en cours dans d’autres pays européens comme la Belgique et la Suède.

Début 2024, une coalition d’entreprises européennes s’est constituée pour soutenir la mise en œuvre du Green Deal (Pacte vert) européen au nom de la transition écologique et sociale. Ce mouvement nouveau, appelé Business for a Better Tomorrow, rassemble 15 réseaux d’entreprises européennes parmi lesquels en France, le Mouvement Impact France, la Communauté des Entreprises à Mission et leurs homologues européens, nationaux comme AssoBenefit (Italie), Kaya (Belgique), Sannas (Espagne), ou encore LISVA (Lituanie) ou transnationaux comme la Fédération européenne des entreprises durables. Dans son manifeste européen, publié en février 2024, la Coalition « appelle les institutions européennes à envisager l’adoption d’une directive sur les entreprises à mission, qui définirait un socle commun pour le développement des modèles d’entreprises à mission, prenant en compte les limites planétaires et le respect des êtres vivants, pour l’ensemble des pays de l’UE. (…) Les engagements de la mission doivent s’aligner sur un ou plusieurs des six objectifs environnementaux de la taxonomie ou sur les objectifs de développement durable (ODD) ».

D’autres pays extra-européens sont également entrés dans la danse, comme Porto Rico et la Colombie en 2018 ou l’Équateur en 2019. Mais ailleurs en Europe, les lois n’ont pour l’instant pas prévu de formes juridiques d’entreprises à mission ou équivalent.

L’idée d’une généralisation européenne est officiellement défendue par les autorités françaises, qui s’appuient sur les acquis de la loi Pacte. « La France peut défendre l’idée d’un capitalisme plus juste et responsable (…) Aucune autre nation ne peut mieux porter ce combat que nous », a déclaré Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances lors de la remise du rapport de Bris Rocher, PDG du Groupe Rocher, sur l’évaluation de la loi Pacte en octobre 2021. « Avec la loi Pacte, nous avons eu un rôle de pionnier en Europe », abonde Olivia Grégoire, à l’époque secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale et solidaire, deux ans après l’adoption de ce texte qui a notamment créé le statut d’entreprise à mission. « Nous assurons un rôle d’influence et de promotion de ce statut à l’échelle européenne », indique-t-elle, aux côtés de son ministre de tutelle (« La France défend la création du statut de société à mission au niveau européen », Novethic, 20 octobre 2021).

Il est indispensable d’hybrider le modèle de la société à mission

Pour convaincre davantage d’entreprises de se doter d’une raison d’être et/ou d’un statut d’entreprise mission, le rapport de Bris Rocher formulait 14 recommandations que Bruno Le Maire s’est engagé à « reprendre très largement », dont la 14e, celle « d’inciter toute société européenne à se doter d’une raison d’être ».

En France, cette idée est défendue avec une belle énergie par Emery Jacquillat, à la tête de la Camif, l’une des premières sociétés à mission, qui fut président de la Communauté des entreprises à mission (CEM). « Il faut donner un cadre européen pour promouvoir notre vision d’un capitalisme responsable », plaide-t-il. Le sujet a été travaillé lors du premier « Congrès européen des entreprises à mission », organisé par la CEM au Comité économique et social européen (Cese) début décembre 2021. Un an et demi plus tard, « la Communauté des Entreprises à Mission s’est rendue au Parlement européen à Bruxelles le 8 juin 2023 pour défendre la reconnaissance de l’entreprise à mission au niveau européen. Emery Jacquillat, Président de CAMIF et Président de la Communauté des Entreprises à Mission et Elise Voyer, DRH du Groupe Sigma ont porté un message fort auprès de l’assemblée des eurodéputés, dirigeants d’entreprises et associations, ainsi que de porteurs de solutions pour la transition écologique » (« Rapport intégré de la CEM — Exercice 2023 », juin 2024).

Mais l’expérience des trois pays européens (Italie, France, Espagne), même si elle bénéficie du soutien de la Coalition et des trois États concernés, n’a guère de chance de gagner à elle seule la force de traction nécessaire pour entraîner l’ensemble de l’Europe… surtout dans les temps troublés que vont vivre les institutions européennes à la suite des élections du Parlement européen de juin 2024.

Au contraire, les échos qui me reviennent d’Europe évoquent une gentille tentative des pays du « Club-Med », qui ignorent les acquis européens. « Comme d’habitude, me dit un député européen qui compte au sein du PPE (parti populaire européen, droite, principale force politique du Parlement européen), les Frenchies voient l’Europe comme une sorte de France en plus grand ».

Il n’y aura pas de statut européen de l’entreprise sans le soutien des pays du bloc germanique et du bloc scandinave. Or, ce « centre de gravité de la gouvernance européenne » se retrouve sur deux concepts que la société à mission dans sa configuration actuelle ignore superbement : le statut de société européenne, qui existe depuis 2001, et la codétermination, plus ancienne encore. Examinons ces deux concepts et leurs apports.

La société européenne, une enveloppe juridique pour le modèle européen de la société à mission ?

La société européenne (societas europaea, en latin, la langue la plus commune aux pays membres ou en abrégé : SE) ou entreprise européenne, est une société qui peut exercer ses activités dans tous les États membres de l’Union européenne sous une forme juridique unique et commune à tous ces États, définie par le droit communautaire. Longtemps considéré comme l’arlésienne du droit communautaire, le statut de société européenne a vu le jour en octobre 2001, sous forme d’un Règlement communautaire (n° 2157/2001), après l’une des gestations les plus fastidieuses de l’histoire de l’Europe. Il a été transposé en droit français par la loi Breton n° 2005-842 du 26 juillet 2005, en consacrant le chapitre IX du code de commerce à la société européenne (articles L. 229-1 et suivants).

Grâce à ces dispositions, une entreprise qui opère dans plusieurs pays de l’UE, a le choix entre la forme juridique nationale (allemand, français, suédois, etc.) et la société européenne. Le succès n’a pas été tonitruant : début 2014, 10 ans après l’entrée en application de la SE, seules 2 115 sociétés européennes en Europe, parmi lesquelles 23 sont françaises, avaient opté pour ce statut, dont 80 % environ de sociétés allemandes (voir les études de l’European Trade Union Institute, ETUI, Institut syndical européen).

Initialement, le souhait de construire un statut de SE constituait une réponse au besoin de représenter les intérêts des travailleurs. De fait, le premier projet de directive prévoyait la création d’un comité d’entreprise, la participation des représentants des travailleurs dans les organes dirigeants et la négociation collective. La directive du 8 octobre 2001 relative à l’implication des travailleurs dans la société européenne (Directive 2001/86/CE du 8 octobre 2001 et Directive 2003/72/CE du 22 juillet 2003 complétant le statut de la société coopérative européenne) plaçait donc en son cœur l’implication des travailleurs, dans une conception regroupant l’ensemble des droits de participation. L’implication y était définie comme « l’information, la consultation, la participation et tout autre mécanisme par lequel les représentants des travailleurs peuvent exercer une influence sur les décisions à prendre dans l’entreprise ».

Mais ce besoin constituait aussi un obstacle, notamment vis-à-vis du patronat européen. C’est pourquoi la participation des travailleurs a finalement été envisagée indépendamment de la constitution de la société européenne : ces deux motivations ont alors suivi des chemins distincts (1). Accentuant cette évolution, la SE est devenue pour les sociétés allemandes un moyen de contourner les lois sur la codétermination : « la transformation en société européenne (SE) ou des formes juridiques étrangères sont de plus en plus utilisées comme un moyen de limiter l’influence des représentants des salariés au conseil de surveillance ou pour contourner complètement la cogestion. La Fondation Hans Böckler présente régulièrement des chiffres à ce sujet » (« Le gouvernement fédéral allemand devrait élargir la cogestion », EWC News, avril 2017)(2).

Récemment, c’est Tesla qui a donné de la publicité à ce statut lors de l’ouverture de sa giga-usine à Grünheide, près de Berlin (mars 2022). Les salaires y sont inférieurs de 20 % à la convention collective du secteur, le comité d’entreprise est dominé par des cadres supérieurs proches de la direction et le syndicat IG Metall a tenté jusqu’ici en vain d’imposer une convention collective. Tesla a également complètement exclu la codétermination au sein du conseil de surveillance en transformant l’entreprise en société européenne.

J’en conclus que la SE n’est sans doute pas une enveloppe juridique souhaitable pour le futur statut de société à mission européenne. En revanche, son histoire mouvementée donne des indications utiles sur la façon de le construire.

La codétermination, le complément naturel de la société à mission

De mon point de vue, codétermination et société à mission sont indissociables. Il faut pour le comprendre, regarder comment le concept de société à mission est né en France. C’est le choc issu de la crise des subprimes de 2008, qui pousse les acteurs à rechercher des alternatives. Un programme de recherche transdisciplinaire est créé au collège des Bernardins, qui associe le Centre de Gestion Scientifique (CGS) de Mines Paris — PSL aux côtés de juristes, d’historiens, de sociologues et d’experts, sur la nature de la crise. J’ai eu la chance de participer à ces travaux durant plusieurs années, qui se sont révélés extrêmement féconds.

Étions-nous devant une crise des marchés financiers ou une crise de la gouvernance des entreprises ? « Très vite, comme le raconte Blanche Segrestin, qui coordonne les travaux de la Chaire Théorie de l’Entreprise — Modèles de gouvernance & création collective du CGS, nous avons abordé la question du cadre juridique des entreprises : comment ancrer des finalités autres que financières dans les statuts de l’entreprise qui puissent être opposables ? Le concept de l’entreprise à mission, doté d’un organe, placé à côté du Conseil d’administration et chargé de contrôler la démarche, était né » (3). À l’époque, cette société portait le nom de SOSE, pour Société à Objet Social Etendu, qui deviendra « société à mission » dans le cadre de la loi Pacte.

Dans un article intitulé « Le Collège des Bernardins donne des pistes pour réformer l’entreprise », publié par le quotidien La Croix du 19 novembre 2018, l’économiste Olivier Favereau témoigne : « À la fin de 2008, le Collège des Bernardins a diffusé un appel d’offres, proposant de financer une équipe de recherche pour qu’elle travaille sur le thème suivant : propriété et responsabilité de l’entreprise. La thèse selon laquelle les actionnaires ne sont pas propriétaires des entreprises était déjà sur la place publique, mais elle n’avait jamais été testée avec rigueur et vigueur. Cet appel d’offres était l’occasion de tirer ça au clair. (…) De ce projet de recherche au départ très académique sont ainsi sorties deux idées concrètes, qui ont été partiellement intégrées dans le projet de loi Pacte. Le principe de codétermination d’abord, [très peu repris dans la loi Pacte] et la qualité d’entreprise à mission, davantage reprise par le gouvernement ».

Société à mission et codétermination sont donc deux solutions sorties de la même matrice intellectuelle, en réponse aux mêmes problématiques : répondre à la crise de gouvernance et s’interroger sur la propriété et la finalité de l’entreprise.

Voici une traduction de la définition du terme “codétermination” que donne le Dictionnaire des relations sociales d’Eurofound (Eurofound’s European Industrial Relations Dictionary) : « la codétermination est une structure de prise de décision au sein de l’entreprise par laquelle les employés et leurs représentants exercent une influence sur les décisions, le plus souvent à un niveau de management élevé et à un stade précoce de la formulation des décisions. La codétermination s’exerce en parallèle et complète d’autres mécanismes de relations sociales. Elle ne se substitue pas à ces autres mécanismes, qui cherchent aussi à influencer la prise de décision managériale, comme la négociation collective ». Concrètement, elle se traduit par l’élection de représentants des salariés au sein du Conseil d’administration (ou de surveillance) et complète bien la société à mission qui, de ce point de vue, pose pour seule exigence la présence au sein du Comité de mission d’au moins un salarié.

La codétermination, née en Allemagne et en Autriche, est aujourd’hui beaucoup plus profondément implantée en Europe que la Société à mission. Il faut s’appuyer sur la première pour faire progresser la seconde. L’analyse du paysage européen (voir mon entretien avec Aline Conchon dans Metis) montre en effet que 18 pays parmi les 27 de l’UE sont concernés par une législation imposant la présence d’administrateurs salariés dans les organes de gouvernance, dont 14 avec un modèle plutôt abouti, en ce sens qu’il concerne les sociétés privées et pas seulement les entreprises publiques.

Par ailleurs, la proportion d’administrateurs salariés la plus communément retenue par nos voisins est d’un tiers (Autriche, Danemark, Hongrie, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas), soit un niveau largement supérieur à ce que nous retenons en France (un ou deux représentants selon le nombre d’administrateurs). En Allemagne, c’est cette même proportion d’un tiers qui s’applique pour les entreprises de plus de 500 salariés, mais au-delà de 2 000 salariés, la proportion des administrateurs salariés passe à la moitié (le président du conseil de surveillance ayant voix prépondérante en cas de partage). L’Allemagne compte aujourd’hui 700 grandes entreprises qui fonctionnent sur ce mode de codétermination paritaire. Parmi celles-ci, un tiers environ sont des filiales de groupes étrangers (Axa, Alstom, Vodafone,…) ce qui montre que le modèle allemand peut s’hybrider (voir dans Manegement & RSE « Administrateurs salariés : 6 opportunités en jachère »).

Une formule d’Olivier Favereau, en conclusion des travaux des Bernardins résume parfaitement la situation : « En Europe, la codétermination est la forme normale de la gouvernance ».

Un autre acquis essentiel du dialogue social à l’européenne est la création des Comités d’entreprise européens (CEE), issue d’une directive de 1994 révisée en 2009. Il s’agit d’une instance complémentaire aux instances nationales de représentation du personnel, qui permet de traiter des questions majeures liées à l’évolution des activités de l’entreprise, à sa stratégie, à ses modèles d’affaires (voir dans Metis « Les comités d’entreprise européens : échange avec Christophe Teissier »). Le CEE peut jouer un rôle essentiel lors des restructurations, en mettant en présence des représentants des salariés de plusieurs pays et des représentants de la direction au plus haut niveau. On compte aujourd’hui au sein de l’UE quelque 1 208 CEE et C-SE (comité de société européenne) actifs (source : ewcdb.eu, juin 2022). Environ 10 % d’entre eux (134) ont leur siège social en France.

L’hybridation que nous préconisons passe notamment par une réflexion sur les relations entre les différentes instances de décision (Comex ; Comité de direction), de gouvernance (Conseil d’administration, de surveillance), d’orientation (Comité de mission), de dialogue (Comité européen et CSE nationaux).

La société à mission européenne doit s’intégrer dans le cadre posé par la CSRD

La société européenne ne peut pas non plus ignorer le cadre posé par la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), qui a commencé à se déployer depuis début 2024 (voir le rapport que je viens de publier pour Terra Nova : « La CSRD : le système métrique de l’entreprise responsable »). En effet, une société à mission a besoin d’un outil de pilotage et de suivi permettant aux différents acteurs (direction opérationnelle, Conseil d’administration, comité de mission, OTI…) de suivre l’exécution des missions qu’elle s’est données sur la base d’indicateurs d’impact fiables, normalisés et comparables. Comme l’affirmait un avis de La Plateforme RSE, la CSRD vise à « intégrer l’impact au cœur de la stratégie de l’entreprise, [ce qui] nécessite notamment d’ancrer cette notion au cœur de sa gouvernance, afin de permettre sa prise en compte au plus haut niveau de l’entreprise. (…) Cet ancrage de la notion d’impact dans la stratégie de l’entreprise peut être porté par la définition d’une raison d’être ou par l’adoption de la qualité de ‘société à mission’ » (« Impact(s), responsabilité et performance globale », Avis de la Plateforme RSE, 13 février 2023).

Elle doit aussi s’intéresser aux réflexions conduites pour promouvoir les modèles de durabilité à l’échelle européenne, par exemple le « modèle durable de l’entreprise européenne », porté par Patrick d’Humières, l’Académie Durable/EcoLearn et MR21 (voir : « Définition d’un modèle durable de l’entreprise européenne, post-RSE », mars 2020 et « Un nécessaire modèle d’entreprise durable européenne », Rapport de MR21 et de la Master Class 21, septembre 2021).

Elle doit enfin tenir compte des recommandations en matière de gouvernance, élaborées par l’IFA (institut français des administrateurs) et la structure européenne dont il est adhérent comme 10 de ses homologues européens, ecoDa. Un livre blanc publié par l’IFA et ecoDa en mai 2021, intitulé « Gouvernance d’entreprise : cinq leviers pour accélérer la croissance durable et renforcer la compétitivité en Europe », fait le constat d’une convergence des règles de gouvernance observées par les principaux pays européens, grâce notamment à la présence grandissante des codes de gouvernance, qui ont tendance à adopter des principes partagés, comme le ‘comply or explain’.

Conclusion : un modèle européen pour l’entreprise en transition

Un modèle européen de l’entreprise à mission hybridé comme indiqué par cet article permettrait d’embarquer au cœur de la gouvernance des entreprises de l’Union les standards européens : économie sociale de marché, implication des travailleurs, dialogue social, écoute des parties prenantes, prise en compte de la chaîne de valeur, redevabilité, performance globale, double matérialité. Ces spécificités forment aujourd’hui la singularité européenne et la force de son modèle de développement.

Le déploiement de ce modèle, véritable « passage à l’échelle européen », permettrait aussi d’accompagner la transition du capitalisme actionnarial tel que nous le connaissons aujourd’hui en Europe vers le « capitalisme des parties prenantes ». L’Union européenne ne peut se satisfaire ni du capitalisme actionnarial américain ni du capitalisme d’État à la chinoise, deux systèmes qui consacrent la domination d’une seule partie prenante, respectivement les actionnaires et l’État. C’est à elle de tracer cette troisième voie originale.

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J’aime le débat, la délibération informée, folâtrer sur « la toile », lire et apprécier la vie.

J’ai effectué la plus grande partie de mon parcours professionnel dans le Conseil et le marketing de solutions de haute technologie en France et aux États-Unis. J’ai notamment été directeur du marketing d’Oracle Europe et Vice-Président Europe de BroadVision. J’ai rejoint le Groupe Alpha en 2003 et j’ai intégré son Comité Exécutif tout en assumant la direction générale de sa filiale la plus importante (600 consultants) de 2007 à 2011. Depuis 2012, j’exerce mes activités de conseil dans le domaine de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) au sein du cabinet que j’ai créé, Management & RSE. Je suis aussi administrateur du think tank Terra Nova dont j’anime le pôle Entreprise, Travail & Emploi. Je fais partie du corps enseignant du Master Ressources Humaines & Responsabilité Sociale de l’Entreprise de l’IAE de Paris, au sein de l’Université Paris 1 Sorbonne et je dirige l'Executive Master Trajectoires Dirigeants de Sciences Po Paris.