L’Observatoire des cadres et du management organisait le 20 juin 2024 un séminaire sur le rapport des jeunes au travail à partir de la présentation d’un travail d’enquête sur les situations d’entrée dans le monde professionnel par l’alternance. L’enquête a été réalisée par les étudiants de deux masters en Sciences sociales à l’Université Gustave Eiffel en apprentissage eux-mêmes. Ils rendaient compte de leurs conclusions en compagnie de tuteurs et d’anciens alternants. Fanny Barbier assistait à cette matinée.
Depuis longtemps, le rapport des jeunes au travail fait l’objet d’observations, de questionnements, voire de critiques. Certaines études mettent l’accent sur le fossé entre les différentes générations au travail — pointant les spécificités de la génération X, Y puis Z versus celles des plus âgés appelés boomers puis papy-boomers — d’autres appellent à la nuance montrant qu’il n’existe pas une, mais des jeunesses ou encore que les clivages entre générations n’expliquent pas toutes les lignes de fracture entre les travailleurs. Ainsi, parmi les plus récentes publications, deux mettent en avant la complexité du rapport des jeunes au travail et la prudence nécessaire pour en rendre compte. Il s’agit de l’étude réalisée par Terra Nova et l’Apec « Un portrait positif des jeunesses au travail : au-delà des mythes » ainsi que celle de Suzy Canivenc pour la chaire Fit2 « Les jeunes, des travailleurs comme les autres ».
C’est dans ce même objectif d’attraper le sujet dans toutes ses nuances qu’ont travaillé Pascal Ughetto et ses étudiants à la demande de l’Observatoire des cadres et du management. Le séminaire organisé par l’Odc le 20 juin 2024 était consacré à la présentation de ce travail d’enquête mené par les étudiants auprès de 9 étudiants actuels en alternance de deux masters en sciences sociales de l’université Gustave Eiffel (sociologie et communication), de 9 anciens étudiants alternants, de 9 tuteurs ou tutrices.
Les générations cohabitent-elles difficilement au travail ?
Première table ronde animée par Bruno Tricotet, étudiant du Master.
Il a été précisé en préambule que la population ciblée par l’enquête ne résume pas toute la jeunesse, elle n’appartient ni aux jeunes peu diplômés, particulièrement confrontés à une insertion difficile, ni aux jeunes issus des grandes écoles d’ingénieurs ou de commerce, qui ont beaucoup polarisé le débat autour de la nécessaire, ou non, bifurcation vers des emplois moins rémunérateurs au nom de l’urgence climatique.
Audrey Petermann, étudiante en alternance, chargée de développement RH chez Storengy, présente dans leurs grandes lignes les résultats de l’enquête. Ainsi, les interviewés répondent vouloir un travail qui a du sens, qu’on leur fasse confiance, que l’ambiance de travail soit agréable et responsabilisante, et même avoir un équilibre vie professionnelle — vie personnelle, mais ils ne présentent pas cela en termes de sacrifices qu’ils jugeraient inacceptables à consentir. À cet égard, deux groupes émergent : un qui énonce avec beaucoup de fermeté des aspirations qui s’opposent assez fortement à ce qu’ils estiment voir dans le comportement de leurs aînés et un autre qui marque nettement moins le clivage estimant que ce serait plus une question de personne, de personnalité, ou de situation. « Qu’eux-mêmes, d’ailleurs, ne se comporteraient pas de la même manière suivant la situation : par exemple, qu’ils ne sont pas trop engagés dans le cadre actuel qu’ils jugent, admettons, trop contrôlant, infantilisant ou autre, mais que, s’ils étaient amenés à travailler dans un tout autre climat, ils donneraient plus d’eux-mêmes et seraient prêts à plus de concessions. » En l’occurrence, ces jeunes expriment à leurs employeurs que selon les situations, ils ne feront pas de concessions et que c’est à l’entreprise de s’ajuster, avec un management plus assis sur de la confiance, une charge de travail plus équilibrée, etc.
Les tuteurs ou les tutrices interviewés, eux aussi, se partagent entre ceux qui disent voir une différence entre les générations et ceux qui ont tendance à dire que cela ne leur paraît pas évident, et que, là encore, c’est une question de personnes, d’origine, de métier, etc.
Trois anciens du Master ont ensuite été invités à prendre la parole.
Mélane Mourouvin est aujourd’hui chargé de mission GPEC dans un établissement d’enseignement supérieur et de recherche, AgroParisTech. Il a été alternant, en 2022-2023, au ministère de la Santé, sur des missions de qualité de vie au travail et santé et sécurité au travail. Pour lui « le travail doit correspondre à nos aspirations, ne pas être prise de tête, se faire dans un environnement qui nous correspond en matière de sens, de conditions de travail. Entre jeunes, on ne parle pas de son travail, mais de ses loisirs. Le travail est un moyen, mais on a à cœur de faire correctement ce qu’on nous demande de faire. C’est une valeur, mais on ne la met pas sur un piédestal. » Mélane a quitté son précédent emploi pour un autre mieux rémunéré et plus stimulant « avec des choses à faire tout le temps. Et quand on n’arrive pas à finir son boulot, c’est le problème de l’employeur : à lui de nous donner les capacités de le réaliser. » Il conclut « quitte à être obligé de travailler, autant que cela corresponde à ce que j’aime et aux études que j’ai réalisées. J’ai quand même pris le temps de faire un M2, j’ai réfléchi à ce que je veux faire d’un point de vue professionnel. »
Extraits des travaux
Le témoignage d’une ancienne alternante, aujourd’hui responsable recrutement et développement d’un CFA d’entreprise, apporte un contrepoint au thème des horaires de travail, ainsi qu’un éclairage sur les rapports intergénérationnels et les attentes à l’égard du travail.
« Je suis en totale autonomie pour gérer mes recrutements. (…) Moi, j’apprécie de travailler dans cet environnement-là. (…) [Dans un contexte où, alors que nous étions initialement quatre, je me suis retrouvée seule] ce qui est difficile, c’est de gérer la charge de travail. Là, je n’ai pas eu de week-end depuis pas loin d’un mois, je suis dans ma troisième semaine de six jours. (…) »
« En termes de rapports entre les générations, j’ai vraiment travaillé avec des personnes de tout âge, des personnes qui pouvaient être mes parents et ça se passait très bien. Et des personnes avec qui on était pas si éloignés — on avait moins de dix ans d’écart — et, pareil, ça se passait très bien. La collègue avec laquelle je m’entends le mieux, ça pourrait être ma mère. Donc non, c’est plutôt dû à la personnalité, je pense. »
« Qu’est-ce que j’attends de mon travail ? D’être stimulée, d’être dans un environnement bienveillant (…), d’avoir de l’autonomie, des responsabilités, mon périmètre d’action et qu’en fait, je fasse ma vie, quoi. »
La parole est ensuite donnée à Emma Dupont, aujourd’hui consultante dans un cabinet d’expertise. Elle a été alternante en 2020-2021, chez Orange, sur des missions diversité.
« Ce que j’attends du travail dépend de nombreuses choses. Par exemple, selon les moments, j’ai pu alterner des périodes de travail intenses et d’autres où les loisirs étaient importants. Aujourd’hui, c’est plus équilibré. Ma charge de travail ? Il faut compter deux mois pour mener une mission, 15 jours sur le terrain et le reste en écriture du rapport. Je sais aussi dire stop quand on me demande de faire trois missions de front. Je suis contente de m’ennuyer entre deux missions. Mon souhait, c’est d’avancer, monter en compétence, en autonomie, je ne vise pas un poste de DRH ayant à gérer un grand nombre de personnes, mais je suis d’accord pour prendre un poste à responsabilité. Et puis cela changera avec la vie ! ».
Bathilde Bazilique, aujourd’hui responsable pôle opérationnel et développement RH chez Storengy, ancienne étudiante du master, clôt la première table ronde. En tant que responsable des alternants de Storengy, elle est en charge de leur recrutement et de l’animation de leur communauté, tous profils confondus. « Nous accueillons aujourd’hui une génération d’étudiants qui a fini ses études à distance. C’est un nouveau schéma, qui a bousculé nos entreprises de la même façon, à tous les âges. Je constate une rupture par rapport à des attentes qui sont très fortes et plus souvent exprimées. Le salaire est abordé dès le premier entretien. Il y a 15 ans, les jeunes cherchaient une alternance, quelle qu’elle soit. Aujourd’hui, ils ont le choix. Et je dois expliquer aux tuteurs que c’est à eux de séduire les candidats. Je trouve les alternants engagés, mais ils demandent aussi à leurs tuteurs de faire en sorte qu’ils le soient. Je les trouve plus fatigués, ces dernières années. Est-ce une conséquence du Covid ? Face à certains alternants qui laissent tout en plan à 17h, je m’interroge sur notre fonctionnement. Certains expriment le fait que l’entreprise leur doit, mais eux ne sont pas tenus de donner en retour. Cela peut désorienter leurs tuteurs. Ceux qui acceptent de respecter les horaires ont en retour de fortes attentes en matière de confiance, d’autonomie, de responsabilité sur ce qu’on leur donne à faire, or ce système de don contre don ne marche pas toujours et se construit dans le temps. Leur demande très forte qu’on leur fasse confiance et qu’on leur donne les moyens de bien travailler peut parfois être mise en échec par des comportements. »
Extrait des travaux
Autre témoignage : le point de vue d’une tutrice.
« Mon alternante avait plutôt la vision du travail d’une vieille comme moi. Donc, je n’ai pas senti de différence dans l’approche de ce qu’on attend, de comment on fait le travail, de ce que c’est que le travail. »
« Par contre, ce qui me revient d’autres équipes, notamment dans notre usine, c’est que certains pensent que les plus jeunes sont moins investis, c’est-à-dire que le lien avec l’entreprise est plus distendu. Qu’est-ce que ça veut dire pour eux ? Auparavant, vous aviez un problème à l’usine, s’il fallait rester un petit peu plus, revenir ou remplacer quelqu’un, vous faisiez l’effort. Aujourd’hui, ils ressentent que c’est une relation plus basée sur le contrat actuel. “Je dois être là lundi de 8 heures à 13 heures, à 13 heures, je ne suis plus là. Mon contrat, c’est ça”. Avant, les plus anciens avaient une sorte de solidarité, de camaraderie qui allait peut-être au-delà de l’entreprise, mais qui faisait que s’il fallait venir à 13 heures, on venait parce qu’on avait besoin, et on ne se posait pas de questions. Donc ce rapport au travail est plus contractuel. Ce que les autres, les plus anciens reprochent aussi, sur l’usine, c’est moins d’envie de progresser, moins d’envie d’apprendre par soi-même. Moins d’investissement. Si je caricature, c’est ça. Moi, je ne le ressens pas. (…) »
Mais, poursuit cette tutrice : « (j)’ai l’impression que ma génération acceptait beaucoup plus l’autorité et était beaucoup plus dans le respect de l’autorité. C’était la continuation de l’école, d’un certain rôle. Aujourd’hui, le management doit être plus adapté. C’est-à-dire que nous avons des jeunes qui arrivent, qui veulent plus d’autonomie même s’ils ont beaucoup de choses à apprendre. Et il faut, avec doigté, laisser un peu de mous tout en gardant une corde de rappel pour quand il y a des petites choses à recadrer ou à réapprendre. (…) Aujourd’hui, ça serait plutôt un schéma où “Laisse-moi un peu faire, je risque de me tromper, ton rôle de manager, c’est de me rattraper à temps pour éviter de trop me tromper”. Ce qui des fois est peut-être mal compris, mal perçu ou difficile à vivre pour un manager, parce que ça demande un peu de laisser-faire, alors que la personne n’a pas toutes les billes. C’est plus rassurant pour un manager, surtout dans certaines fonctions, de vérifier que la personne a vraiment toutes les connaissances, qu’elle maîtrise les process, etc., avant de donner de l’autonomie. Des fois, si on est sur des enjeux de sécurité, c’est plus compliqué de laisser cette autonomie. (…) »
« Moi, je ne constate pas ça. Je pense que le rapport à l’autorité a beaucoup changé. Et, par ailleurs, il y a aussi des choses positives, ça induit aussi des relations plus normales. Tout n’est pas négatif, c’est aussi du plus. Toutefois, il ne faut pas oublier que dans une entreprise, il y a un lien de subordination. C’est ça qui est un petit peu compliqué. On ne fait pas ce qu’on veut dans l’entreprise. On a des consignes de travail. On a des horaires. Il y a des processus. Il y a des normes. On est dans un mouvement aujourd’hui où cherche l’autonomie et le bien-être au travail, c’est très bien, mais attention, on n’est pas à la maison, on n’est pas chez les amis, on n’est pas chez les copains, on est au travail. Il y a des choses à faire, il y a des choses à respecter. »
Quel dialogue, quelle transmission entre les générations durant l’alternance ?
Le deuxième temps de la matinée se resserre sur ces moments de découverte du monde professionnel pour les plus jeunes, d’entrée en contact avec les exigences qu’expriment les salariés déjà en place et particulièrement les managers, ou les personnes qui, vis-à-vis du jeune en alternance, incarnent le rôle de fixer des objectifs, exprimer des attentes, susciter certaines attitudes, saluer certaines réalisations, reprocher d’autres points. Quel dialogue s’établit-il entre les tuteurs ou les collègues membres de l’équipe et les jeunes ? Cela dialogue-t-il bien, ou difficilement ? Quelle transmission s’opère-t-elle entre ces générations ?
Deuxième table ronde animée par Audrey Petermann.
Que dit la recherche ? Que dit l’enquête ?
Un pas de côté est proposé avec la mention d’un sociologue en poste précisément à l’université Gustave Eiffel, Vladimir Iazykoff qui a étudié, avec Philippe Zarifian, le management des jeunes embauchés à la SNCF. Dans sa thèse, le sociologue pose la question des modèles autour desquels s’organise la transmission dans le tutorat des jeunes embauchés. Et il défend que, dans un monde autrefois majoritairement industriel, a longtemps dominé un modèle de tutorat qui demande au jeune d’observer l’ancien travailler, afin de percevoir le geste et de se préparer à répéter le geste, qui est canonique et se transmet à l’identique, de génération en génération. Dans un monde plus tertiaire, selon Iazykoff, notamment les situations de guichet et l’activité commerciale, on commence par accueillir le jeune avec de l’information et de la formation, puis on le met en position, comme n’importe quel autre salarié. Et, là, il va apprendre en se confrontant directement aux situations, pendant que les plus anciens, eux, sont sur leur propre poste.
Cela se retrouve-t-il dans l’enquête présentée par les étudiants du Master ? Oui, et non. Oui, au sens où, justement, ce modèle de l’accueil avec un premier temps où l’on donne aux alternants, de la documentation sur l’entreprise, le projet sur lequel le service travaille, où on lui dit d’aller naviguer sur l’intranet, puis, progressivement, on lui confie des missions, est très fréquemment celui qui a été exposé. Assez fréquent également, le fait que le jeune peut se trouver à devoir prendre en charge des activités sur lesquelles, à la limite, le maître d’apprentissage lui-même n’y connaît rien : le jeune peut être recruté « pour faire de la com parce que le service en a ressenti le besoin, mais que, justement, personne, dans ce service, ne maîtrise la com. » Ou alors, le tuteur maîtrise, mais n’a justement pas le temps de faire. Il donne des objectifs, il suivra, de près ou de loin, mais l’étudiant doit largement se débrouiller. D’où le fait qu’on a souvent entendu parler de besoin de l’alternant d’être autonome ou de le devenir assez rapidement.
D’où le fait également qu’on a régulièrement affaire à un modèle de suivi de l’alternant qui consiste à lui donner des tâches relativement précises et simples et à faire des points rapprochés avec lui dans les premiers temps (« est-ce que tu as bien compris, est-ce que tu rencontres des difficultés, est-ce que je dois te réexpliquer ? ») puis, au fil du temps, l’autonomie se manifestant, un espacement de ce suivi. De nombreux témoignages ont laissé entrevoir une pensée de la gradation et de l’exposition graduelle des alternants à des niveaux croissants de difficultés. Et, dans bien des cas, le sommet, c’est l’exposition à des situations d’exposition du projet et des résultats du projet en public, en réunion.
Est-ce un biais de la sélection d’interviewés, en tout cas, le suivi est de prime abord assez organisé ou reconnu comme tel, y compris par les jeunes professionnels, mais, évidemment, avec des nuances ou une palette de situations. Ainsi ont été rencontrés des cas très spécifiques, où l’alternant se trouve quasiment faire binôme avec son tuteur ou sa tutrice. Pour le meilleur et pour le pire : le meilleur quand la complicité est forte et que l’alternant se trouve être quasiment d’égal à égal avec la tutrice ; pour le pire quand la relation ne se passe pas bien et que l’alternant se trouve enfermé dans ce face-à-face. Dans d’autres cas, l’alternant peut tomber dans une équipe pas très au clair sur les missions à lui confier, qui peut manquer de missions à accomplir, un étudiant qui ne se sent alors pas très attendu ou encadré. Et, dernier élément notable, selon que l’alternance se passe dans de très grands services ou dans de toutes petites équipes, avec des bureaux séparés ou, au contraire, dans un open space ou un bureau collectif, cela structure les conditions de la transmission (dans ce dernier cas, ce n’est pas seulement le tuteur qui transmet, c’est autant l’équipe dans son ensemble.)
Table ronde
Emma Dupont revient sur son alternance chez Orange. Elle a été intégrée dans les locaux de l’entreprise avant le confinement, puis a télétravaillé 2 jours par semaine, avec 1 jour en présentiel. « C’est sur la confiance qu’a reposée la bonne relation avec l’entreprise et la qualité des missions. »
Bathilde Bazilique est ensuite interrogée sur la façon dont elle recrute et intègre les alternants : « ce que j’attends des alternants c’est un regard différent, une façon différente d’aborder des sujets. La débrouillardise est la clé. Ainsi, je donne des missions à réaliser (et non des tâches), c’est à l’alternant de savoir à qui demander la bonne information. Le rôle de l’équipe est important — la présence des autres, des fonctionnements différents, le travail en transverse — l’alternant n’est jamais isolé. Dans les situations industrielles, où le compagnonnage est important, nous devons parfois dire que nous ne réunissons pas les conditions pour accompagner les alternants, par manque de ressources (difficultés de recrutement, départs en retraite). En matière de management de ces jeunes professionnels, l’objectif est qu’on leur lâche la main à la fin de l’année de M2. Le télétravail a changé les modes de fonctionnement et les apprentissages. Après une période de travail à distance, le développement professionnel sur le terrain est beaucoup plus rapide. Aujourd’hui, où on le propose moins, cela peut devenir un sujet de tension avec l’alternant. »
Sébastien Sigiscar, directeur général délégué à l’innovation, Université Gustave Eiffel et Isabelle Druel, directrice développement et partenariats du CFA Descartes sont ensuite appelés à enrichir les échanges en tant que spécialistes de la pédagogie et de l’alternance. Sébastien Sigiscar revient sur la notion de situations apprenantes et insiste notamment sur l’importance du référentiel de compétences. « La question est de savoir comment relier un master et un référentiel de compétences. L’approche par les compétences consiste à rendre le travail visible à travers des documents écrits (le référentiel). C’est un outil utile au service des enseignants et des tuteurs. Tel un contrat, il va définir le travail : 1) reconnaître la situation de travail, et 2) valoriser le travail. Les modes d’apprentissage diffèrent selon qu’ils sont acquis à l’Université ou dans l’entreprise. Dans l’enseignement, on produit de la recherche, un esprit critique, de la capacité d’analyse : tout cela a de la valeur dans les organisations de travail. Pour transformer ces connaissances en compétences, l’enseignant doit faire un pas vers le monde professionnel. » Isabelle Druel pointe le rôle du CFA pour éviter les ruptures de contrat qui peuvent intervenir quand un jeune veut qu’on lui donne plus de responsabilités ou, à l’inverse, quand une entreprise attend de lui qu’il soit plus vite opérationnel.
Analyse et bilan du travail réalisé par les étudiants
Troisième table animée par Maxime Drouet, directeur de l’agence de communication « Madame Bovary » et professeur associé à l’Université Gustave Eiffel.
Laurent Mahieu, ancien président de la Commission des Titres d’ingénieurs (CTI), ancien secrétaire général de la CFDT Cadres, administrateur APEC, est un des commanditaires de l’enquête réalisée par les étudiants. Il salue les jeunes qui ont su mener de front leur travail d’étudiant, d’apprenant dans le monde du travail et, en même temps, le fait d’en tirer des synthèses. Il rappelle un échange lors d’un précédent séminaire de l’ODC avec Olivia Foli (voir la ressention de son livre dans Metis « Les Paroles de plaintes au travail ») qui montrait que les apprentis avaient peu de lieux à eux dans l’entreprise pour discuter de la réalité de leur situation, à part les lieux, qu’ils se créent eux-mêmes par exemple sur WhatsApp. Créer ces lieux peut être compliqué, car « le maître d’apprentissage n’a pas forcément le temps, n’a pas forcément structuré son activité pour créer des espaces de dialogue de façon régulière. » Laurent Mahieu souligne ensuite un deuxième enseignement de cette étude « comprendre dans quel milieu l’apprenti est plongé et comment il va devoir se débrouiller et essayer de dégager un certain nombre d’acquisitions. Il reconnaît l’intérêt des référentiels de compétences qui vont permettre d’avoir un support pour ce dialogue à 3 entre le tuteur pédagogique, le tuteur d’entreprise, voire à 4 avec le collectif de travail et puis avec bien sûr l’apprenti. Cela « va permettre à terme de développer dans l’entreprise cette culture de l’entretien qui ne soit pas un entretien café du commerce, mais un entretien avec un support : le support de l’autoévaluation, le support du répertoire d’activités. Et conclut-il « l’apprentissage apporte beaucoup de vertus à la qualité de la construction des situations d’apprenance dans le monde du travail, non pas seulement pour les apprentis, mais aussi pour tous ceux qui sont dans l’entreprise. »
Pascal Ughetto est ensuite invité à donner son point de vue sur le travail réalisé par ses étudiants, dont il se déclare « assez fier ». Ses points forts, bien mis en évidence tout au long de cet échange, explique-t-il sont la nécessité de la nuance, de prendre un sujet en disant à la fois qu’il existe et en même temps qu’il recouvre une palette de situations. Pascal Ughetto (1) se dit très content d’avoir eu à expérimenter cette réponse à une commande de l’Observatoire et de proposer quelque chose qui effectivement nourrit la réflexion. « Je trouve que le choix de resserrer la question autour des situations d’alternance aide finalement à renouveler le débat sur les jeunes au travail. Parler des situations évite de s’envoyer des noms d’oiseaux sur les jeunes versus les vieux, ou de substantialiser les identités des uns et des autres. Nous avons fait autre chose, nous avons montré toute une complexité qui se dessine, y compris chez les individus, aussi bien du côté des maîtres d’apprentissage que du côté des apprentis. Finalement nous montrons que le dialogue est possible et que, par contre, il demande beaucoup d’énergie et de temps. »
Plutôt que d’affirmer ou d’infirmer que des différences existent dans le rapport au travail entre les jeunes et les plus âgés au travail, et c’est notamment le cas en usine, il s’agit d’inviter le tuteur à réfléchir sur la façon dont lui-même explique ou pas les lignes jaunes à ne pas franchir. Ce qui ne se négocie pas quand d’autres limites peuvent se négocier. « D’ailleurs, poursuit Pascal Ughetto, certains rapports au travail peuvent représenter un problème en entreprise, mais est-ce une question de génération ou une question d’âge ? Les historiens ont montré que la jeunesse est une invention récente. D’une certaine manière, la jeunesse est en train de déborder sur le temps en entreprise, là où on s’attendait à des postures relevant du monde adulte. Mais cela veut dire aussi que l’on traite et intègre en entreprise des préoccupations qui sont celles de la jeunesse. Et je pense qu’on est jeune de plus en plus longtemps. Le caractère polycentrique de nos vies, le sentiment que le travail est important, comme d’autres sujets le sont, est-il l’apanage des jeunes ? »
Bénédicte Tilloy cofondatrice d’une start-up après avoir passé 25 ans à la SNCF témoigne ensuite de son expérience du travail avec les jeunes. Elle reconnaît que le travail du manager est de plus en plus dur, il doit gérer des collectifs éparpillés, tenir compte du fait que chacun aspire à être reconnu dans sa singularité au-delà de faire en sorte que la performance soit au rendez-vous. Il faut prendre soin des managers pour qu’ils prennent soin des apprentis.
Laurent Mahieu en convient. Le rôle du manager doit apparaître dans les accords sur l’apprentissage. « Il faut prendre soin du maître d’apprentissage, ce n’est pas l’homme à tout faire, c’est l’homme qui a besoin de tous les soutiens dans l’entreprise pour faire ce boulot-là. »
Conclusion
Anne-Florence Quintin, déléguée générale de l’Odc, salue « la chance d’avoir écouté des jeunes, qui formés par la sociologie, entrent dans le monde du travail et n’adoptent ni le discours des académiques (économistes, sociologues…) ; ni le discours bien rôdé des salariés expérimentés qui ont déjà adopté celui prescrit un peu mainstream sur ce qu’est le travail : engagement, sens au travail, autonomie, responsabilité. »
« On nous aurait fait croire que les jeunes étaient sans concession sur « leurs valeurs » ? « Leur quant-à-soi » de vie privée/vie professionnelle ? Leur individualisme ? Bêtise ! Ils sont sans concession sur leur volonté de faire tenir tous les registres de la vie professionnelle ensemble : leur histoire singulière, leurs relations sociales, et le ici et maintenant de ce qu’il y a « à faire ». Ceux qui ont porté la voix de la fonction RH ce matin l’ont dit : ils exigent… du dialogue ! »
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