En 2015, une jeune journaliste, Inès Léraud, part en Bretagne enquêter sur les maladies professionnelles d’agriculteurs et d’ouvriers agricoles. Des pesticides seraient en cause. Très vite une autre actualité la rattrape. Malgré les alertes multiples et les PLAV, Plans de lutte contre les algues vertes qui se succèdent depuis 2010, ces algues prolifèrent dans plusieurs baies peu profondes proches de Saint-Brieuc. Elles représentent un risque mortel pour les animaux et les hommes.
L’enquête d’Inès Léraud commence. Des portes s’ouvrent. André Ollivro, ancien syndicaliste, président de l’association Sauvegarde du Penthièvre, pays à l’est des Côtes-d’Armor, auteur en 2011 d’un livre accusateur Les marées vertes tuent aussi, l’accueille. Avec un ami du pays voisin, il a lui aussi enquêté. Il n’a pas de doute, « les algues vertes, ça pue, ça pollue et ça tue ! ». Et il n’y a pas que des sangliers, deux chiens et un cheval qui sont morts d’avoir inhalé de l’hydrogène sulfuré, H2S, ce gaz qui se forme lors de la décomposition des algues vertes et cause la mort de ceux qui marchent dessus. En 2009, un jeune chauffeur, Thierry Morfoisse, qui pour nettoyer les plages, transportait des algues vertes dans une déchetterie, est décédé après un quatrième voyage dans la journée. Ses parents tentent d’obtenir la reconnaissance de la responsabilité de l’entreprise qui n’a pas pris les précautions sanitaires qui s’imposaient pour ce travail. Il faudra attendre 2018 et l’action acharnée d’un avocat, pour qu’ils obtiennent qu’un tribunal reconnaisse que le décès de leur fils est un accident du travail, sans que le gaz H2S n’en soit explicitement rendu responsable.
En 2016, Inès Léraud songe à s’accorder une pause. Il n’en sera pas question. Le matin de son départ, elle apprend la mort de Jean-René Auffray. Il a été retrouvé allongé au beau milieu d’algues vertes pendant un jogging dans l’estuaire du Gouesnant, à l’endroit même où des sangliers et des chiens avaient été retrouvés asphyxiés. Le taux d’hydrogène sulfuré sur la plage dépasse de loin les seuils dangereux. Pourtant, l’autopsie demandée par le médecin qui a constaté le décès ne sera pas pratiquée suite à l’intervention du maire de la commune. À ce jour, un premier procès a refusé d’imputer cette mort à la présence d’algues vertes en putréfaction et a exonéré la puissance publique de toute responsabilité en raison de panneaux signalant le danger placés à quelques kilomètres de cette plage. Le procès est en appel.
D’autres portes se ferment. « Ça s’appelle l’omerta », dira André Ollivro. C’est que, si l’algue verte existe depuis toujours, sa prolifération massive est causée par l’excès de nitrates. Ils ont considérablement augmenté à partir des années 1960 avec le remembrement, la destruction des haies, la généralisation de l’agriculture intensive et la spécialisation régionale dans la production animale. La journaliste enquêteuse se heurte à la volonté des services de l’État de ne rien dire, « il n’y a rien à dire sur le rien », lui répond-on. Les positions ambigües, fuyantes, et dans certains cas la lâcheté des élus qu’elles sollicitent, ne l’aident pas plus. Un représentant de la FNSEA organise une rencontre. Il veut s’expliquer. L’agriculture intensive a sorti la Bretagne de la misère. Lui-même est fils de métayer. Il a commencé à travailler dur très jeune. Il ne peut pas accepter les menaces que cette enquête, après d’autres, fait peser sur ce qu’il a construit et qui est la marque d’une région à laquelle il est lui aussi profondément attaché. Il ne peut pas envisager d’autres voies que celle qui l’a promu, et qui accessoirement lui permet de rouler dans une superbe berline allemande. L’entretien tourne court.
Après plus de deux ans d’enquête, les radios nationales qui diffusaient les billets et interviews d’Inès Léraud suppriment son temps d’antenne. La lassitude, une intervention en haut lieu, les raisons ne sont pas très claires. C’est un choc pour la journaliste. Elle accuse le coup. Elle racontera la suite de ses « investigations engagées » dans la bande dessinée réalisée avec Pierre Van Hove Algues vertes, l’histoire interdite. Elle se vendra à plus de 130 000 exemplaires. Le film réalisé par Pierre Jolivet en est une adaptation.
Dans la veine de Spotlight, de Dark waters de Todd Haynes à propos de la pollution chimique causée par la production de téflon par l’entreprise DuPont (2019) ou plus récemment et sur un autre sujet Je verrai toujours vos visages, le film Les algues vertes allie faits documentés et fiction.
Céline Sallesse incarne à l’écran avec beaucoup de subtilités Inès Léraud. Elle informe et alerte sans se protéger en édulcorant ses propos. Elle s’engage autant qu’une journaliste peut le faire. Elle n’est ni une militante agissant au sein d’un collectif ni une héroïne solitaire, insensible et froide. Elle apparaît à la fois déterminée et fragile. Elle a besoin de l’amour et du soutien de Judith, sa compagne, professeure de philosophie, avec qui elle s’installe en Bretagne. Elle respecte les hésitations de Rosy, l’épouse de Jean-René Auffray. Porter l’affaire en justice signifierait se fâcher avec tout son entourage, « ici, on a tous quelqu’un qui travaille dans l’agro ». Elle reçoit avec beaucoup de gratitude les encouragements et les compliments de tous ceux qui sont heureux de l’entendre dire ce qu’ils peinent à exprimer et lui envient sa liberté pour dénoncer l’inaction et les dénis de justice. Au premier rang desquelles, Rolande, patronne du bistrot local et Morgane, jeune journaliste pour des médias régionaux qui la fait profiter de ses contacts. À l’occasion de leur rencontre, Inès cite Daniel Mermet : « Le journaliste national ne sait rien, mais peut tout dire. Le localier sait tout, mais ne peut rien dire ».
En ce sens le film Les algues vertes, n’est pas seulement indispensable alors que se négocient difficilement les règles pour la restauration des écosystèmes menacés, partie intégrante du Green deal européen. Il l’est aussi pour nourrir la réflexion sur le rôle de la presse dans une démocratie digne de ce nom, au moment où sa pluralité, son indépendance et son éthique sont menacées aussi bien par la propension des réseaux sociaux à préférer le clash et le fake à l’argument, que par l’appétit de Bolloré et consorts.
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