5 minutes de lecture

par François Gault, Varsovie

La vallée de la Rospuda, au nord-est de la Pologne, à proximité des frontières avec la Lituanie et la Bielorussie, est depuis des semaines au coeur d’un conflit national.

Cette rivière entourée d’une coulée de marécages et de forêts vierges est une des réserves naturelles les plus belles et les plus sauvages d’Europe. Une vallée unique aussi pour ses tourbières et ses centaines d’espèces protégées et rares : gélinotte des bois, marouette ponctuée, bondrée apivore, cerfs, loups, castors, élans, et beaucoup d’autres. Rospuda, véritable « couloir » de migrations, est classée Natura 2000 par la législation européenne. Sa diversité biologique est strictement protégée. Mais peut être plus pour très longtemps. C’est dans cette région que doit passer la Via Baltica, une autoroute reliant Varsovie à Tallin (Estonie) avec prolongement vers Helsinki (Finlande). Objectif : faciliter les communications entre la Pologne, les Pays baltes et la Scandinavie.

Le conflit porte plus précisemment sur une rocade de 17 km, intégrée à la Via Baltica. Elle contournera la ville d’Augustow, 20.000 habitants : ses habitants sont en effet excédés par les milliers d’automobiles et de camions, qui, chaque jour, traversent leur ville. Or, selon le ministère des Transports, cette rocade implique la construction d’une voie rapide à travers la Vallée de Rospuda. Le 7 février, au nom du gouvernement, le ministre de l’Environnement donne son « feu vert » et déclenche une importante vague de protestation. En première ligne : des écologistes et des Verts. En février et sous la neige, jour et nuit, ils occupent le terrain, couchant sous les tentes ou dans les arbres. Universitaires et scientifiques lancent des mises en garde. Partis politiques d’opposition s’engagent à leur tour dans la bataille. Par dizaines de milliers, des Polonais manifestent dans les grandes villes, Varsovie, Cracovie, Gdansk…150.000 autres signent une pétition nationale. Des milliers de lettres de Pologne et du monde entier arrivent au Palais présidentiel. Mais le rassemblement a aussi ses « stars » ! Le cineaste Andrzej Wajda, natif de la région, se déclare prêt à s’enchaîner aux arbres pour protéger la Vallée. Maria Kaczynska, l’épouse du Président, se joint au courant : « Nous ne pouvons pas nous comporter en barbares ! » affirme-t-elle.

Ces conflits environnementaux ne sont pas nouveaux en Pologne. Après plusieurs années de bataille, les écologistes ont réussi à empêcher la construction d’une centrale nucléaire près de Gdansk, à Zarnowiec qui fait de la Pologne est un des rares pays d’Europe de l’est à ne pas disposer de centrales nucléaires sur son territoire. Au niveau régional et local, on compte de nombreux mouvements d’opposition à des tracés de routes, déboisements de forêts, etc.. A Varsovie, par exemple, un projet de construction sur les bords de la Vistule a été stoppé par une vague de protestations.

Il faut remonter aux années de communisme pour comprendre l’importance de l’écologie dans la société polonaise contemporaine. S’il était impossible à cette époque d’appartenir à un parti polique autre que le parti au pouvoir et ses satellites, en revanche, l’adhésion à une association ou à un groupe écologiste était tolérée par les autorités. Pour certains, l’écologie a offert un espace de liberté à des citoyens qui en étaient privés dans leur vie quotidienne. Durant ce régime, les Polonais ne pouvaient pas sortir de leur pays. Or, celui-ci est composé de grandes forêts, de régions naturelles et de lacs qu’ils ont appris à aimer et à protéger. Dans la presse, il est fréquent de lire des chroniques régulières sur la nature, les oiseaux, les animaux… C’est d’ailleurs un journaliste qui a été à l’origine de la bataille de Rospuda. Les opposants actuels au projet routier ne reprochent pas aux habitants d’Augustow de vouloir dévier la circulation du centre de leur ville vers un périphérique. Et les écologistes ne revendiquent pas la supression de cette voie rapide. Ils proposent un tracé alternatif de contournement, moins cher et plus facile à construire : « De quatre à sept kilomètres d’autoroute supplémentaire » souligne Jan Winiarski, de Greenpeace Pologne. Mais, comme souvent dans ce pays, aucune concertation préalable n’a permis de négocier une solution qui apporterait satisfaction aux deux parties par manque de volonté politique.

Et l’Union européenne ? Le 12 décembre 2006, elle lance un premier avertissement : « La Commission ne peut accepter la destruction d’un patrimoine naturel de cette valeur ! » alerte Stavros Dimas, commissaire à l’Environnement. Les autorités polonaises ne répondent pas. Elles refusent de tenir compte de la directive européenne sur les habitats protégés. Le 10 février, à Varsovie, J-M. Barroso, le président de la Commission européenne, constate : « La décision des dirigeants polonais concernant Rospuda est incompréhensible ! ». Alors, la Commission saisit la Cour de justice européenne. Aux écologistes et à tous ceux qui veulent sauver Rospuda, les mises en garde de l’UE apportent aujourd’hui un grand espoir.

Pour l’instant, dans la Vallée de Rospuda, c’est la pleine saison de la nidification et des pontes. Jusqu’à l’été, les travaux sont donc suspendus. Présents sur le terrain, les bulldozers n’interviennent pas encore. Les militants veillent et sont prêts à les affronter. Un consensus sera-t-il trouvé avant juillet ? C’est toute la question. « Préserver la bio-diversité, c’est aussi préserver la survie de l’espèce humaine, répètent les écologistes et leurs alliés. On comprendra cela quand il sera trop tard … comme pour le réchauffement climatique ! ». Si le projet actuel est appliqué, on commencera par abattre 20.000 arbres dans la plus ancienne forêt d’Europe.

François Gault

Print Friendly, PDF & Email
+ posts