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par Frédéric Rey

Entretien avec Norbert Olszak, professeur de droit à l’université Robert Schuman de Strasbourg

Le syndicat allemand des constructeurs de train, en conflit avec la direction de la Deutsche Bahn, a été interdit de grève par un tribunal ce qui a suscité un débat sur les limites à apporter ou non au droit de grève, comment interprétez-vous cette décicion ?

Il s’agit d’une ordonnance de référé répondant à une procédure d’urgence qui souffrait de défaut de fond. La juge a interdit la grève pour une durée de deux mois au motif que, non seulement la société de chemins de fer, mais l’ensemble de l’économie allemande risquait de subir d’immenses dommages économiques, cela alors que nous étions au coeur de la période estivale. Il est vraisemblable que cette décision n’aurait pas tenu en appel. D’ailleurs le tribunal est revenu sur sa décision dès le lendemain. Même si le droit de grève est très encadré en Allemagne, cette décision est très surprenante. Dans ce cas présent, le recours au tribunal aurait dû, a contrario, être considéré comme un signe manifeste de mauvaise volonté de l’employeur de négocier.

Est-ce qu’une interdiction de la grève par un juge est envisageable en France ?

En 1986, une jurisprudence de la Cour de cassation avait admis l’intervention du juge des référés pour apprécier souverainement le caractère déraisonnable d’une grève entraînant un trouble illicite pour l’entreprise, mais pas pour l’économie générale. A ce moment là, un conflit opposait la direction d’Air Inter aux mécaniciens qui étaient en faveur du pilotage à trois de l’Airbus A 320 conçu pour être piloté à deux. Cette jurisprudence a été combattue puis abandonnée. Le juge ne peut pas substituer son appréciation à celle des grévistes sur la légitimité ou le bien-fondé des revendications. Cependant s’il n’y a pas de contrôle préalable, il est toujours possible de faire juger une grève abusive, animée par une volonté de désorganisation de l’entreprise au-delà de la défense de revendications légitimes. Mais la grève étant en France un droit individuel s’exerçant collectivement et pour lequel le droit ne confie aucune responsabilité au syndicat, cela suppose qu’il faudrait assigner individuellement chaque salarié gréviste. C’est donc très difficile à mettre en oeuvre. Des salariés grévistes peuvent faire l’objet de sanctions en cas faute lourde, mais cela renvoie au contentieux du licenciement.

Qu’est-ce que peut apporter la loi sur le service minimum dans les transports ?

Elle apporte quelques éléments de procédure, dans la lignée de l’accord SNCF, dans un domaine particulier mais elle ne change, hélas, pas les règles de base. La grève n’a fondamentalement de sens que si on la considère à l’instar de l’Allemagne comme un droit collectif appartenant au syndicat et non pas au salarié. Cette conception individualiste, très présente dans les origines du syndicalisme, ne fonctionne plus dans les structures capitalistes. C’est au nom d’une auto régulation du marché du travail qu’il faut penser la grève comme un droit organique et collectif. Dans cette conception, la grève est précédée d’un processus de négociation collective pendant lequel l’arrêt de travail est qualifié d’avertissement et où le dialogue social est abondant. Malheureusement, la France n’a jamais pris cette orientation. La loi sur le service minimum n’apporte aucun changement majeur. Elle peut cependant contribuer à poser les bases d’une évolution en renforçant les exigences formelles de négociation.

Propos recueillis par Frédéric Rey

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