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par Gilles Bouvaist, New York

Même si la récession n’a pas encore formellement eu lieu, les retombées du ralentissement de l’économie américaine sont bien là.

shierholz

Dans un pays où 70% du produit intérieur brut dépend de la consommation des ménages, le cercle vicieux entre baisse du pouvoir d’achat et croissance anémique a considérablement assombri l’horizon des salariés. Mais contrairement aux crises précédentes, la faiblesse actuelle des syndicats ne parvient pas à compenser l’augmentation du coût de la vie L’explosion de la bulle spéculative immobilière, liée à la crise des crédits hypothécaires à risque (« subprime »), couplée à la hausse continue du prix de l’essence et de la nourriture, étrangle financièrement les travailleurs américains.

Si le chômage -qui touche 5,7% de la population- reste relativement peu élevé au regard des chiffres européens en la matière, il ne reflète qu’imparfaitement l’impact de la crise sur le marché du travail. « Cette augmentation représente un point de pourcentage sur un an ; elle concerne donc des millions de personnes, estime Heidi Shierholz, économiste auprès de l’Economic policy institute, think tank non partisan basé à Washington. Et l’augmentation notable des demandes d’allocations d’assurance-chômage signale clairement une menace de récession. » Autre phénomène inquiétant, la montée en flèche des temps partiels subis, qui dénotent une demande moindre en main d’œuvre : le bureau des statistiques du département du Travail en dénombrait 5,3 millions en juin 2008, soit une hausse de plus d’un million sur une année, et un taux jamais vu depuis 1995.

Les salariés épongent les pertes

david card

Mais comme le remarque David Card, économiste à l’université de Berkeley, en Californie, « une des différences de la crise actuelle avec les précédentes, comme les grands chocs pétroliers du début des années 1970 et des années 1980 qui ont eu des effets énormes sur l’emploi et la productivité, c’est qu’aujourd’hui, les syndicats n’ont plus de pouvoir de négociation. Ils sont incroyablement faibles et ne sont pas parvenus à négocier des salaires plus élevés pour compenser l’augmentation du coût de la vie. Les effets des chocs économiques ont donc davantage été ressentis sous la forme de perte de pouvoir d’achat qu’en termes de perte d’emplois. Les salariés ont absorbé les pertes en devenant plus pauvres. » Selon un rapport récent du Département du Travail, les salaires restent en retard sur l’inflation pour le dixième mois consécutif. Et les derniers chiffres de l’inflation sont particulièrement mauvais : le prix des biens de consommation courants a augmenté de 5,6% entre juillet 2007 et 2008, un rythme jamais vu depuis la récession du début des années 1990. Et après ajustement au coût de la vie, les salariés américains gagnaient en juillet 3,1% de moins qu’un an auparavant.

« Moderniser le système »

La crise en cours pourrait-elle mettre un frein à la dérégulation du marché du travail ? « L’ère du « moins de régulations, moins de problèmes » est terminée, juge David Card. Il existe dans l’opinion publique une demande croissante d’intervention du gouvernement. » Pour l’instant, l’administration Bush et le Congrès ont surtout cherché à colmater les brèches en stimulant la demande. Une volonté qu’illustre le plan de relance économique de 168 milliards de dollars (environ 114 milliards d’euros) sur deux ans, voté en février et qui passe par des remises d’impôts envoyés ce printemps à des millions de familles américaines. Mais cet interventionnisme pourrait présager des changements plus profonds : « Dans les milieux d’affaire et du côté des conservateurs, l’idée d’un filet de sécurité pour les salariés a longtemps été rejetée au motif que dans une situation de plein emploi, de tels dispositifs n’étaient pas nécessaires, relève Richard Freeman, professeur d’économie à Harvard, dans le Massachusetts. Aujourd’hui, ce n’est plus vrai. C’est la raison pour laquelle nous avons vu le gouvernement intervenir de manière aussi active pour éviter une récession : nous n’avons pas les moyens de nous permettre de perdre trop d’emploi. »

« Aux Etats-Unis, seuls 30% des chômeurs peuvent se qualifier pour bénéficier des indemnités d’assurance-chômage, ajoute Heidi Shierholz. Nous devons moderniser le système d’assurance-chômage et cela se jouera en fonction de la prochaine administration. Mais la situation a tellement empiré pour les salariés à faibles revenus que le moment semble être propice à ce type de changements, notamment une assurance maladie universelle. »

L’autre grande inconnue réside donc dans le choix des Américains lors des élections présidentielles en novembre : entre un John McCain fidèle au credo reaganien d’un gouvernement fédéral minimaliste ou un Barack Obama attaché à la plateforme plus étatiste du parti démocrate.

 

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