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par Frédéric Tiberghien

Tiberghien

Pour mettre en œuvre une nouvelle politique de l’immigration, le Président de la République a demandé à une commission présidée par Pierre Mazeau de lui présenter des propositions d’ordre constitutionnel permettant en particulier d’instituer une gestion de l’immigration selon un système contraignant de quota de titres de séjour pour lequel il avait marqué sa préférence et, par la même occasion, d’unifier le contentieux des étrangers aujourd’hui éclaté entre juge judiciaire et juge administratif. Ce rapport, remis le 11 juillet au ministre de l’immigration, confirme sur de nombreux points les thèses défendues par les associations et dont le gouvernement n’a guère tenu compte jusqu’ici.

La commission souligne d’abord que sur plusieurs types de migration le gouvernement ne dispose que d’une marge de manœuvre très réduite car sont en cause des droits constitutionnellement ou conventionnellement protégés : le droit d’asile, le droit au regroupement familial ou le droit de mener une vie familiale normale, le droit au mariage.

Même si le gouvernement a encore restreint l’ampleur de ces droits en 2006 et 2007 par deux lois, en jouant sur tous les paramètres possibles et imaginables (durée de résidence, ressources, caractéristiques du logement…), sa marge de manœuvre est désormais limitée. Et la commission Mazeau rappelle qu’il n’est pas possible, selon la Cour de Luxembourg, d’instaurer au sein de l’UE une politique de quotas (décision de 2007), dont tout le monde sait au demeurant qu’elle n’a jamais fait la preuve de son efficacité dans aucun pays.

La commission souligne aussi l’irréalisme d’un objectif tel que celui de porter de 5 à 50 % la part de la migration économique dans la migration totale. Après bien d’autres, elle note en effet que la démographie et la situation du marché de l’emploi ne le justifient pas.

Pourquoi faire venir une main d’oeuvre supplémentaire quand elle est déjà là ?

Mais si l’on veut néanmoins y parvenir, deux voies permettent de l’atteindre rapidement selon le SSAE (Soutien, Solidarité et Actions en faveur des Emigrants) : d’une part, la prise en compte des membres de la famille lors du regroupement familial car ils ont tous vocation à se présenter tôt ou tard sur le marché du travail ; d’autre part la régularisation des étrangers en situation irrégulière lorsqu’ils sont titulaires d’un contrat de travail.

Sur ce dernier point, une politique plus transparente, affichant des critères clairs et précis, serait préférable aux régularisations octroyées assez arbitrairement lorsque les intéressés se mettent collectivement en grève avec l’appui de leurs employeurs. Pourquoi donc vouloir à tout prix faire venir une main d’œuvre supplémentaire lorsque la ressource est déjà là, au travail ?

La commission Mazeau relève aussi que le contrôle des flux migratoires est pratiquement impossible à atteindre et que la seule voie réaliste est celle des accords négociés avec les pays d’origine. Le ministre de l’immigration en a immédiatement déduit un satisfecit à l’égard de sa politique, le seul d’ailleurs qu’on pouvait tirer du rapport. Le SSAE s’est toujours montré dubitatif à cet égard.

Car dans la division internationale du travail qui caractérise aujourd’hui la mondialisation, les pays en développement jouent sur leur atout principal, le bas coût de leur main d’œuvre, selon deux modalités complémentaires : en attirant l’investissement privé direct et en exportant leur main d’œuvre sous forme de flux migratoires.

La maîtrise de l’immigration relève d’un nouveau voeu pieux

Il n’y a donc aucune raison sérieuse pour que ces pays renoncent à leur avantage compétitif en se lançant dans un autocontrôle des flux migratoires. La maîtrise concertée de l’immigration relève plutôt d’un nouveau vœu pieux donné en pâture à l’opinion publique et d’une utilisation des rapports de force dans le cadre bilatéral. La France, qui se veut dans beaucoup de domaines la championne du multilatéralisme, a ici choisi le cadre bilatéral pour imposer à ses interlocuteurs des concessions en la matière. Dans les accords déjà signés, elles sont maigres et ne résisteront sans doute pas au temps : les flux migratoires échappent autant aux pays d’origine que de destination.

Sur l’unification du contentieux des étrangers, la commission rappelle de nombreux éléments de bon sens, en particulier la nécessité d’entendre les intéressés avant de prendre une décision défavorable les concernant. Elle critique aussi la création catastrophique de l’obligation de quitter le territoire français. C’est une manière élégante de critiquer les changements à répétition de la législation sur l’entrée et le séjour des étrangers.

De ce point de vue, l’annonce par le ministre de l’immigration d’un nouveau projet de loi d’ici la fin de l’année ne fait que renforcer les travers soulignés par la commission : une approche exclusivement juridique de la question des migrations. Un nouveau rapport pour un gouvernement autiste ?

Frédéric Tiberghien
Président du SSAE (Soutien, Solidarité et Actions en faveur des Emigrants)

Cette question et plus largement la gestion des flux migratoires sera débattue dans le cadre d’un colloque qui se tiendra le jeudi 25 septembre « le droit à la mobilité : quelles horizons pour penser les migrations » au toit de la grande Arche.

Pour plus d’informations : www.ssae.net

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