Une belle et saine polémique a salué la sortie du film Welcome. Elle n’a pas opposé entre eux les « professionnels de la profession ». Elle n’a pas opposé non plus les tenants de la raison d’Etat pour une immigration choisie aux adeptes de la compassion (de préférence lointaine et médiatisée). Elle n’avait rien à voir avec le choc des civilisations.
D’ailleurs, le personnage central du film de Philippe Lioret n’est pas Bilal, jeune Kurde irakien pourtant « plein de vie, de courage et d’espoir » pour reprendre les mots justes de Jacques Barrot, commissaire européen à la justice et aux affaires intérieures. Ce ne sont pas non plus les militants dévoués des associations qui préparent et distribuent les repas ou rechargent les téléphones portables. Ce n’est pas la police. L’intelligence de Philippe Lioret est d’avoir concentré son propos sur Simon. Simon, c’est vous et moi. Un Français avec son lot de problèmes et sa part de confort. Ses rêves envolés, sa solitude, mais aussi son gagne pain assuré et son indifférence aux autres. Il n’aide pas Bilal par humanisme (entendre compassion). Il ne l’aide pas par idéologie (entendre militant politique irresponsable). Au fond Bilal et Simon ont tous les deux besoin d’aide. Et d’amitié. Au bout du compte, c’est plutôt Bilal qui va aider Simon. A la fin de l’histoire l’un est mort, l’autre a retrouvé une meilleure idée de lui-même et un peu d’entrain. Il commence à penser qu’il pourra vivre avec ses peines de cœur, et peut-être même après, quand elles se dissiperont.
Du coup, les débats se sont déplacés. Les politiques restrictives en matière d’immigration sont toujours justifiées par deux affirmations. La première prétend que ces migrants, surtout s’ils sont clandestins, sont de pauvres bougres, incultes, analphabètes sans doute, inadaptés à notre monde. Juste bon à devenir les clients des services sociaux, des œuvres charitables et des services de lutte contre la délinquance. La deuxième a joué un bien grand rôle lors des campagnes électorales récentes. Elle postule un lien entre immigré, problème, menace, peur et demande de sécurité (entendre de police, de caméras, de prisons). Par nature si on peut dire, les étrangers, quel que soit leur statut et leur citoyenneté, constituent une intrusion dont il faudrait se protéger. A la fin le sophisme est parfait. L’Etat doit restreindre les « flux migratoires », il doit choisir les bons immigrés, afin de garantir que tous ne soient rejetés ! Ce film dit le contraire. Bilal sait qu’il est originaire de Mossoul. Il y est connu. Et reconnu comme excellent footballeur. En venant à Calais, il sait ce qu’il veut. Il a de l’ambition. Il est amoureux. Il est fort et courageux. Pas voleur. Sympathique en plus. Simon, lui, est indifférent au sort des migrants en général. Comme il est indifférent au sort de beaucoup de ses contemporains. A aucun moment il n’a peur des étrangers. Il ne comprendrait pas non plus qu’ils aient peur. Il traite simplement d’égal à égal avec eux.
Merci monsieur Besson
Monsieur Besson, ministre français de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, a compris le danger. Si ces migrants sans papiers ne sont pas réductibles à la « misère du monde » que le cœur voudrait accueillir mais que la raison conseille de rejeter, si nous nous sentons plus menacés par les aboiements de notre voisin de palier que par ces étrangers, alors les justifications de sa politique s’effondrent. En politicien professionnel, il sait que la meilleure défense est l’attaque. D’où cette attaque, non pas contre le film, mais contre le cinéaste lui-même accusé de confondre les tracasseries de la police en 2009 avec les rafles de la police de Vichy et cette solidarité ordinaire avec l’action des justes en 1943. Certes une garde-à-vue de quelques heures ce n’est pas une rafle. Sont-elles pour autant justifiées ? Et tellement sûr de lui, le ministre n’a pas compris que, si Simon n’est pas, au sens historique, un Juste, il en perpétue la mémoire. Il les honore mieux que nos musées et nos commémorations. Il n’a pas compris que nous allions être très nombreux à penser, qu’à sa mesure, il fait ce que nous aimerions faire.
« Elle est à toi cette chanson, toi l’Auvergnat, qui, sans façon, m’a donné quatre bout de bois quand dans ma vie il faisait froid, … Elle est à toi cette chanson, toi l’Etranger qui, sans façon, d’un air malheureux m’a souri lorsque les gendarmes m’ont pris… » chantait Georges Brassens. En cette période où ceux qui ont une responsabilité publique ont plus que jamais recours aux considérations éthiques pour simplement tenter de maintenir ce qui reste de cohésion sociale, il y a quelque chose de joyeux à préférer définitivement l’hospitalité à la délation. La liberté d’aider ne doit pas être un délit. Il a fallu, dans le journal Libération du 19 mars, soit une semaine après cette polémique, que Jacques Barrot propose que ces clandestins soient considérés comme les demandeurs d’asile et que l’effort d’accueil soit réparti entre la France et le Royaume-Uni. Pour une fois que la solidarité l’emporte sur la peur et pour une fois que la Commission Européenne propose des solutions proches des réalités du terrain, cela mérite bien d’être salué ! Quant à monsieur Besson, il me revient à l’esprit cette loi physique : quand on crache en l’air, il arrive que cela vous retombe dessus. Merci Monsieur Besson. Welcome méritait cette publicité.
PS : Welcome est sorti en Belgique et en Suisse avec des critiques très favorables. A notre connaissance les autres pays européens attendent.
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