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par Jean-Claude Delgenes, Directeur Technologia

Un article de METIS a fait référence dernièrement à des autopsies psychiques que le cabinet Technologia aurait conduites. Etant donné l’importance de ce débat, nous vous serions très reconnaissants de bien vouloir porter à la connaissance de vos lecteurs les précisions suivantes, en application de l’article 13 de la loi du 29 juillet 1981 sur le droit de réponse.

Première précision : contrairement à ce qui est écrit ici et là, Technologia n’a jamais eu recours à une autopsie psychique, qui se base sur une exploration de la vie privée, sur un accès au dossier médical voire même sur des résultats d’analyses biologiques post mortem. Cette démarche étant par ailleurs encadrée par un code déontologique imposée par l’INSERM. Ce terme d’autopsie psychique est donc totalement inapproprié pour caractériser une démarche qui a consisté à analyser les conditions de travail et le parcours professionnel des salariés décédés. Nous n’en avons pas mené hier chez Renault et nous n’en menons pas aujourd’hui chez France Telecom.

Notre intervention au sein du centre d’ingénierie de Renault à Guyancourt a répondu à un cahier des charges très précis qui a été élaboré par l’un des CHSCT de l’entreprise. Ce dernier nous avait donné comme mission d’expertiser l’ensemble des risques psychosociaux sur le Technocentre. La direction s’étant associée à cette démarche. Cette demande a conduit à l’élaboration par notre cabinet d’un rapport et d’un plan de prévention ambitieux, remis à la fois à  la direction et aux représentants de tous les syndicats présents sur le site. Le travail d’analyse de Technologia a été par ailleurs décliné pendant plusieurs mois de manière opérationnelle dans le cadre d’une commission paritaire dans laquelle se trouvaient la direction, les services de santé au travail et toutes les organisations syndicales du centre d’ingénierie.

Dans le cadre de cette mission centrale, le CHSCT nous a demandé de développer un volet spécifique et « d’analyser de manière approfondie les suicides de nos collègues afin de déterminer et de comprendre au mieux les facteurs professionnels qui ont pu éventuellement conduire à chacun de ces actes. »

 

Pour répondre à cette question posée par le CHSCT, qui souhaitait connaître les éventuels facteurs de risques professionnels ayant conduit à un passage à l’acte suicidaire de certains salariés, une partie de notre travail a consisté à analyser trois cas de suicides. Cette analyse complétant l’autre volet de recherche sur les facteurs de risques organisationnels et managériaux.

Notre cadre méthodologique a été validé par le CHSCT. Il prévoyait une série d’entretiens réalisés avec des collègues de travail et des responsables ressources humaines des salariés décédés afin d’avoir une vision approfondie des conditions de travail, du parcours professionnel et de l’intégration au collectif de travail. Les entretiens ont tous porté sur la vie professionnelle ou sur le discours du salarié à propos de son travail et de son lien au collectif de travail. Chaque personne rencontrée connaissait la finalité de la rencontre avec l’expert CHSCT et le mandat du CHSCT, chacune s’est donc exprimée pour que l’expert rende compte de ce qu’il avait entendu ou compris.

Parallèlement, nous avons procédé à une étude de documents professionnels et, notamment, des échanges écrits entre le salarié et son entourage professionnel et à des comptes-rendus des entretiens d’évaluation. Nous avons recueilli le point de vue des médecins du travail sur les risques liés aux conditions de travail dans les entités où travaillaient ces salariés, sans jamais aborder le dossier médical individuel.

Enfin, l’idée d’une rencontre avec les familles a été évoquée lors des réunions avec le CHSCT. A cette époque, aucune des familles n’avait été reçue par la précédente direction de RENAULT, cela plusieurs mois après la survenance des drames. Les parents et proches des victimes avaient été accompagnés par des représentants du personnel qui se sont proposés alors pour établir le lien avec les familles. Au cours de ces entretiens dont la finalité était explicite, nous avons exploré auprès de la famille, le discours du salarié sur son travail, la souffrance et les difficultés exprimées par rapport à la vie professionnelle. Quel que soit l’interlocuteur, nous nous sommes toujours strictement tenus à l’investigation de la dimension professionnelle et il était clair que ses propos contribuaient à la rédaction d’un rapport final synthétique à usage du CHSCT.

Seconde précision : Afin de respecter la confidentialité que nous avions posée comme condition préalable à notre travail nous nous étions donné dès le départ un cadre strict pour mener ce volet de notre mission. Il avait donc été prévu en accord avec toutes les parties que nous présenterions simplement oralement et de manière synthétique les résultats de cette partie de notre analyse. Nous avions demandé et il avait été accepté par tous de ne prendre aucune note. Chacun avait accepté au préalable que cette partie de la réunion ne fasse pas non plus l’objet d’un compte-rendu. C’est à notre grande surprise que l’Inspection du travail, considérant que notre restitution participait à la manifestation de la vérité, nous a demandé de lui remettre nos notes. Nous avons refusé en cours de séance de remettre ce script. A la fin de la réunion, l’inspectrice du travail a renouvelé sa demande et comprenant tout a fait notre retenue a demandé au Procureur de la République de lancer une réquisition pour se procurer ce script. Nous avons expliqué ces faits au cours d’une réunion de la Commission Paritaire qui suivait nos travaux en aval de l’expertise, où étaient présents tous les syndicats et la direction. Personne alors ne nous a fait de remarque. Ces faits sont ressortis à l’occasion du procès et des élections sur le Technocentre. Pour nous une chose est sûre, nos travaux élaborés dans le cadre d’une démarche de prévention ont été utilises dans un autre cadre qui est celui du champ judiciaire. Croyez bien que nous le regrettons.

Il n’y aurait même pas dû avoir une présentation orale de ce script comme semble le reprocher votre article… Mais comment alors éclairer les représentants du personnel sur l’impact de l’organisation du travail sur l’individu ? Comment pouvoir apporter des solutions efficaces s’il n’est pas possible d’expliquer les facteurs professionnels pouvant  être facteurs de risques ?

 

Notre travail tente de rendre compte de ces complexités. Il ne se conçoit que dans le cadre d’une restitution expliquée et commentée aux acteurs directement concernés.

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