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par Claire Cauvin

Usagers désabusés, agents sous pression, systèmes informatiques défaillants, managers déboussolés, radiations abusives… Pôle emploi est la nouvelle appellation du service public français de l’emploi depuis la fusion en 2009 entre l’ANPE (opérateur public de placement) et les ASSEDIC (opérateurs paritaires d’indemnisation du chômage). Gaël Guiselin, pseudonyme d’un conseiller de l’opérateur, en dresse un portrait sans concession, dans un ouvrage écrit en collaboration avec la journaliste Aude Rossigneux.

 

pole emploi

En 132 pages, le livre veut témoigner du quotidien compliqué de l’opérateur, au « carrefour des dysfonctionnements », confronté à la fois à la réorganisation inhérente à la fusion et aux effets de la crise économique sur l’emploi. « L’emploi va mal, et Pôle emploi ne se porte pas tellement mieux », écrit Gaël Guiselin, ex agent ANPE. « On a regroupé à la va-vite le placement – ANPE – et l’indemnisation – Assédic – en jurant la main sur le coeur que tout s’arrangerait. Ce n’est pas vrai, loin s’en faut. »

L’un des dysfonctionnements pointé par le livre est le « malaise » des salariés de Pôle emploi, à tous les niveaux de la hiérarchie. « Au moment de la fusion, j’ai vu l’effectif des conseillers de l’indemnisation passer de six à un en l’espace de trois semaines sur mon lieu de travail », rapporte l’auteur. « La directrice a changé d’agence, déboulonnée par la refonte de l’encadrement qui veut limiter à un seul le nombre de responsables par site. Un par un, les agents de l’indemnisation ont été mis en arrêt maladie. Fatigués de recevoir à la chaîne les chômeurs pour les inscriptions, épuisés de gérer les demandes internet, incapables de liquider les dossiers. » Et de rappeler qu’au moment de la fusion, le gouvernement s’était engagé à ce qu’aucun conseiller ne traite pas plus de 60 dossiers à la fois : « À l’heure où j’écris ces lignes, chacun d’entre nous en a en moyenne 130 sur les bras, moi 198. Dans certains bassins d’emploi sinistrés, le chiffre dépasse les 350 demandeurs d’emploi par agent. »

De même « l’espace de travail est une denrée rare », et les conseillers ne disposent jamais de bureau fixe. Dans certaines agences, la pénurie de postes de travail complique ainsi le travail des agents,réduits à effectuer une « transhumance » entre les différents bureaux avec leurs dossiers en cours et leur matériel. Si cette situation dégrade les relations de travail entre les salariés de Pôle emploi, elle nuit également au service rendu aux demandeurs d’emploi, privés de toute « forme de confidentialité » et du calme que nécessitent parfois les situations.

La machine à radier

 

« Plus le taux de radiation des demandeurs d’emploi est élevé, meilleure sera la réputation de l’agence », estime l’auteur, qui déplore que Pôle emploi soit devenu une « machine à radier » les chômeurs inscrits sur ses listes. Est notamment rapportée une anecdote sur une directrice d’un site parisien, pour laquelle toute absence à une convocation vaut motif de radiation et « aucune excuse n’est admise » : « Ni la gastro du petit dernier, ni l’enterrement du grand-père, ni la jambe de plâtre. »

Quelques pages plus loin, l’auteur rapporte la visite d’une mère de famille venue défendre son fils, radié faute de s’être présenté à un entretien « tout simplement parce qu’il avait trouvé un travail pour quatre mois ». Après vérification de son dossier, il apparaît que le fils avait informé l’opérateur de sa situation et que son dossier était en ordre. « Dans la mesure où cet homme n’avait qu’un contrat de quatre mois, [on] aurait pu se contenter de le placer dans une autre catégorie et de le maintenir inscrit de façon à ce qu’il ne soit pas obligé de reprendre toutes les démarches à zéro à la fin de sa mission. Sauf que changer de catégorie c’est bien, mais radier, c’est beaucoup mieux », ironise Gaël Guiselin, avant d’ajouter que la mère du demandeur d’emploi en question avait elle-même été radiée abusivement pendant un arrêt-maladie.

Absurdité

Quant au service rendu aux demandeurs d’emploi, il tourne parfois au « grand n’importe quoi » : documents perdus lors de leur transfert vers les centres administratifs, chômeurs contraints de téléphoner au 39 49 pour parler à un agent qui se situe à cinq mètres d’eux, usagers renvoyés à un site géographiquement plus éloigné que leur ancienne agence, accumulation des dispositifs d’aides, indemnisé recevant deux lettres avec des allocations différentes, etc. « L’absurdité, nous la croisons tous les jours au guichet. Nous en sommes parfois même responsables. La faute aux consignes que l’on nous somme d’appliquer », juge Gaël Guiselin.

Malgré cet état des lieux critique, l’auteur salue l’action de certains conseillers qui « se faufilent entre les mails des filets administratifs pour aider les chômeurs et slaloment entre les réglèments pour ne jamais sortir du champ légal ». « Liquider en douce les courriers anonymes » dénonçant certains inscrits, intervenir personnellement auprès d’un employeur, aider les demandeurs d’emploi en dehors des heures de travail, leur rédiger des lettres types pour contester une radiation, les recevoir 30 minutes ou lieu de 20… sont autant d’actes de « résistance », estime-t-il. Le livre évoque notamment la méthode des « portefeuilles dormant », composés de chômeurs « qui ne peuvent pas ou non aucun intérêt à chercher un emploi », comme les femmes enceintes ou les seniors bientôt en dispense de recherche d’emploi. Les conseillers les « gardent au chaud en hibernation » plutôt que de les radier.

Gaël Guiselin et Aude Rossigneux, Confessions d’une taupe à Pôle emploi, Éditions Calmann-Lévy, 132 pages, Calmann-Lévy

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