Très fière de son taux de croissance positif, la Pologne se berce-t-elle d’illusions quant à sa gestion de la crise ? Dans les faits, les salaires ont parfois été amputés de 40% et l’accord national sur l’emploi de mars 2009 a été malmené. L’Etat fait le minimum syndical.
Profitant d’une croissance de 1,7% en 2009, la Pologne avait pris des mesures d’austérité drastiques dès 2008, dans l’objectif de limiter son déficit public pour rejoindre au plus vite la zone euro. Cette croissance n’aurait pas été possible sans l’aide de l’Union explique Stéphane Portet de S.Partner, qui intervenait lors des Entretiens de l’IRES au Conseil Economique et Social. « En 2009, la Pologne a gagné 1,5 point de PIB en touchant les Fonds européens de cohésion destiné au financement d’infrastructure et à l’investissement dans le capital social ». Le pays est le plus grand bénéficiaire de cette manne, qu’il a choisi d’affecter à l’aide à la création d’auto-entreprise, à la formation et au reclassement.
Malgré ces fonds et des coupes budgétaires importantes, le déficit public a doublé, passant de 3,6 à 7% du PIB. Les prestations sociales ont fondu de 9,2 % en valeur nominale – de 1,8 % a 1,5 % du PIB – finançant ainsi 2 des 4,7 milliards de la réduction du déficit budgétaire. Mais la baisse des impôts (exemptions d’impôts et TVA) et des taxes sociales représente un manque à gagner de plus de 35 milliards de zlotys depuis 2007. L’équivalent du bouclier fiscal français permet à 5 % des plus riches d’économiser 5 milliards de zlotys. De quoi alimenter la grogne sociale.
Chômage en hausse
Le nombre de demandeurs d’emplois a brusquement augmenté en janvier (passant de de 8,5% à 12,5%) entre septembre et janvier 2010. Stéphane Portet explique que » beaucoup de Polonais ont attendu la revalorisation de l’indemnisation-chômage du début de l’année 2010 pour s’inscrire « . Elle a augmenté de 25% pour les trois premiers mois, puis le taux d’indemnisation baisse graduellement sur les 9 derniers.
Cette hausse intervient après de nombreux plans sociaux (Swedwood, le producteur de meubles pour IKEA, Sopolfam, sous-traitant de Chantelle, les chantiers navals de Szczecin et de Gdynia). Les secteurs les plus touchés sont le bâtiment, l’industrie lourde et manufacturière orienté vers l’export ou sous-traitant, ainsi que les transports dans les régions à forte densité industrielle comme la Silésie et le nord-ouest de la Pologne et les régions proches de la frontière ukrainienne au sud-est.
2010 débute sur des annonces d’ampleur similaire. Sews Polska, producteur de câbles automobiles ferme sa chaîne d’assemblage de Rawicz pour délocaliser en Tunisie. Sur les 1 200 employés, seulement 300 vont être transférés sur un autre site polonais à Leszno. L’opérateur national de téléphonie TP SA va licencier 1 980 salariés du siège et des filiales du pays au cours de l’année.
Autre indicateur de mauvaise santé économique, l’emploi salarié a chuté de 2,5%. L’auto-entrepreneuriat déjà très développé compte à présent 3 millions d’individus, mais le flou persiste sur les éventuelles compensations qu’ils ont pu percevoir suite à l’arrêt de leur activité.
Salaires au plus bas
En 2008, les salaires ont baissé de 10 à 40%. Certes depuis 2004, ils avaient augmenté de 20%, mais à présent en cas de ralentissement économique, il peut être abaissé au niveau du salaire minimum (environ 200€ par mois) et l’entreprise peut demander à l’Etat d’en verser 50% (moins de 50% des salaires sont indexés sur des conventions collectives; ECS 2009)
Un employeur peut proposer à ses salariés un aménagement de leur temps de travail et de leur salaire. » S’ils refusent, il peut les licencier sans indemnités « , écrit S. Portet. Certains n’ont pas hésité à invoquer le paquet anti-crise (de juillet 2009) pour mettre en place des licenciements sans indemnités. Si le chômage partiel a été parfois mis en place, alors que le droit du travail prévoyait jusqu’alors seulement le dispositif dit du « temps d’attente », les solutions proposées par les employeurs ont souvent été beaucoup plus radicales. La mise en congé d’office a presque toujours été la règle (cela fut aussi vrai pour les grands groupes ArcelorMittal, Volkswagen, Opel), sur la base de la liquidation des jours dus et de l’anticipation des jours de congés à venir (tout ou partie), » l’anticipation pouvant concerner aussi les années futures ! « , écrit Stéphane Portet dans la chronique internationale de l’IRES n°121- novembre 2009.
Mobilisation syndicale
» Début 2009, les syndicats de salariés (Solidarnosc, OPZZ et FZZ) et d’employeurs (Business Center Club, Lewiatan – Business Europe, Confédération des employeurs polonais KPP) se sont fortement mobilisés pour rompre l’apathie politique. Tous en appelleront au gouvernement pour mettre en place un plan anti-crise. Pour la première fois, la mobilisation s’est faite non pas sur les salaires ou les indemnités, mais sur la défense de l’emploi et des emplois de qualité « .
Le plan anti-crise du gouvernement ne prévoyait jusque là qu’une seule mesure sociale avec la constitution d’une « réserve de solidarité sociale » pour les ménages vivant en dessous du seuil de pauvreté et les investissements dans des projets à caractère social. Cette réserve, d’un montant de 1,14 milliard de zlotys, est financée par une augmentation de la taxe sur les alcools et sur certaines catégories de véhicules.
Les organisations syndicales demandent la mise en place d’un système de chômage partiel, la limitation du recours aux CDD et la reconnaissance des paquets sociaux comme éléments constitutifs du droit du travail et donc du contrôle des tribunaux du travail.
Le 13 mars 2009, les partenaires sociaux signent le deuxième pacte national de l’histoire de la Pologne post-communiste après celui de 1993 concernant la transformation des entreprises d’Etat. Cet accord énonce treize grands principes dont la mise en œuvre est confiée au gouvernement. » C’est un accord historique, la première preuve d’autonomie du dialogue social depuis 15 ans « , explique Anna Kwiatkiewicz de BPI Polska. » Même si les organisations syndicales sont absentes de plus de la moitié des entreprises polonaises et qu’on ne compte que quelques centaines de comités d’entreprise dans les entreprises sans syndicat « .
« Mais l’accord a été démembré par l’Etat lors de sa mise en place, critique S. Portet. En partie parce que les organisations syndicales n’ont pas de représentants politiques« . Anna Kwiatkiewicz confirme que « C’est loin des attentes des partenaires sociaux, le processus est lent, trop bureaucratique, donc peu d’entreprise y ont recours« . Le dispositif concerne les entreprises qui ont des « difficultés financières temporaires » – 25% de baisse de leur production, ce que nombre d’entreprises considèrent comme un niveau trop élevé. Entre août 2009 et mi-février 2010, 113 entreprises ont déposé des dossiers de demande de fonds publics pour les aider à payer une partie des salaires. 87 ont demandé un certificat qui confirme leurs difficultés financières. La compagnie doit avoir ce certificat pour devenir admissible à l’aide apportée dans le cadre du paquet anti-crise.
« La résilience des entreprises polonaises tient à leur réticence à prendre des crédits à l’investissement (bonne trésorerie et peu ou pas endettée) et au manque de confiance dans les produits financiers sophistiqués (les fonds de pension sont peu accessibles en Pologne), explique Anna Kwiatkiewicz. Elle tient également à leur capacité d’organiser de manière informelle, semi-formelle ou formelle avec leurs employés les moyens de protéger l’emploi – dans chaque entreprise, cela a été fait individuellement« . Ainsi, les réponses sont fondées sur des « intérêts réciproques et la confiance mutuelle ». Le paquet anti-crise ? » Je doute que ce soit vraiment une solution durable, par contre la culture d’arrangements contractuels plus souples avec des mesures de protection parallèle pourrait s’imposer avec le temps « .
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