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Qui sont les élus aux comités d’entreprise en France et en Europe ? Qui ou que représentent ils ? Réponses dans l’article de Christian Dufour et Adelheid Hege ainsi que dans l’étude d’Astrées.

 

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Dans le monde des entreprises et du travail, les Comités d’entreprise jouent un rôle relativement important : il y en a 30 000 en France. Visibles aux yeux des salariés par leurs activités sociales, sportives et culturelles, ils sont aussi le point de passage des informations et le lieu de discussions sur la vie de l’entreprise : sur l’emploi, sur la formation, et surtout sur les ré-organisations nombreuses et les restructurations tout aussi nombreuses.
Mais qui sont les élus au Comité d’entreprise ? C’est à cette question que répond de manière informée, subtile et sans langue de bois, le papier de Christian Dufour et Adelheid Hege paru dans la revue de l’Ires n° 59 « comités d’entreprise et syndicats, quelles relations ? ».
Le Comité d’entreprise, comme son grand frère le Comité d’entreprise européen, peut-il quelque chose par rapport aux délocalisations, aux fermetures de sites ou aux évolutions de la sous-traitance et des formes d’emploi qui ne résument plus depuis longtemps au CDI et à l’emploi à vie dans une seule entreprise ? C’est à cette question que répond l’étude d’ASTREES tout en proposant des pistes nouvelles, à partir de nombreux travaux et d’une expérience concrète de formation des membres de ces fameux Comités de groupe européens.

 

L’étiquette syndicale, une marque

Alors qu’il y avait en France de plus en plus d’élus non syndiqués dans les CE dans années 1980, le mouvement s’inverse à partir de 1990. Re-syndicalisation ? En y regardant de plus près on voit qu’elle provient en grande partie d’une progression de l’abstention, de l’insertion des petits établissements dans des groupes de plus ou moins grande taille, plus favorables à la présence syndicale. Une enquête qualitative auprès des membres des CE montre surtout qu’il s’agit d’une re-syndicalisation « instrumentale ». Une affiliation syndicale, ça fait plus sérieux ! « L’étiquette syndicale vaut symbole en même temps qu’avertissement à l’adresse de l’employeur (et des salariés) signalant l’entrée en scène d’une équipe qui se veut plus pugnace que ses prédécesseurs ».
Les élus ainsi « pseudo-syndiqués » se sentent très faiblement concernés par les projets et le positionnement de l’organisation dont ils se revendiquent. C’est une « marque ». Peu ou pas de contacts avec les unions départementales ou la branche. Pas de « section syndicale » : « on est syndiqués pour des raisons pratiques, on n’est pas attachés plus que ça à la confédération ». D’ailleurs on peut zapper, en changer si besoin est.

Peu de différences entre les modes de fonctionnement des CE avec les élus syndiqués et des CE sans. Si ce n’est que ces derniers, non syndiqués, sont souvent très critiques à l’endroit des « DS », les Délégués Syndicaux », désignés de l’extérieur et réputés « se protéger ». Dans tous les cas, leur horizon c’est leur établissement, ou leur entreprise: on est dans de la représentation de proximité.
On peut évidemment se demander pourquoi les organisations syndicales ne s’impliquent pas davantage auprès de ces CE et de leurs élus syndiqués pour l’occasion, et qui se sont revendiqués de leur étiquette. D’une marque on pourrait, avec un peu de peine, faire une appartenance.
Mais ceux qui jouent un rôle dans les syndicats sont occupés à d’autres choses : ils ne sont plus des syndicalistes mais des partenaires sociaux. Ils se réunissent, ils « siègent », ils « gèrent », ils « représentent leur syndicat »…pourrait-on ajouter.

 

Les représentants des CEE représentent leur organisation ou leur pays

Les auteurs de l’étude ASTREES « Comités d’entreprise européens et comités d’entreprise : une refondation nécessaire » ont fait cette expérience, côtoyant plus de 350 membres de CEE (Comités d’entreprise européens) pour les former : « nous n’avons jamais rencontré de Comités dont les membres se positionnaient comme représentant collégialement l’ensemble des travailleurs de l’entreprise ». Ils représentaient « leur » organisation, ou parfois « leur » pays…
Un grand nombre sont syndiqués, mais dans certains pays (Roumanie, Bulgarie), des membres de CEE ne le sont pas : ils sont alors suspectés par leurs collègues syndiqués… Loin des réalités quotidiennes de travail dans chaque pays, ils expérimentent aussi durement la difficulté d’infléchir les décisions des entreprises : plusieurs exemples sont cités, de la fermeture de l’usine Renault de Vilvorde à la délocalisation de celle de Nokia d’Allemagne en Roumanie. C’est en fait par le biais des grandes Fédérations syndicales européennes (la FEM en premier lieu, Fédération européenne de la métallurgie) que se constitue peu à peu un espace européen de négociation, à présent relayé par certains Comités. En témoigne l’accord Schneider-Electric sur l’anticipation des mutations.

 

Ils expérimentent aussi la difficulté d’articuler ce travail au niveau européen avec celui des instances (déjà bien nombreuses) au niveau national. Comment une représentation de représentation pourrait-elle bien fonctionner alors que déjà le CE lui-même peine à assurer ses fonctions ? Qui représente qui ? Alors que les frontières de l’entreprise sont de plus en plus difficiles à définir : qui est l’employeur dans des configurations de groupes complexes, de relations de co-traitance et sous-traitance, de prestations de services croisés ? Faut-il au risque de complexifier encore un peu le jeu inventer de nouvelles représentations plus adéquates aux nouvelles configurations productives ? Les auteurs citent les « Collèges interentreprises de sécurité, de santé et de conditions de travail » dans le secteur du BTP et appellent à des recherches et expérimentations sur ce que pourraient être les droits collectifs de communautés de travail et de « business networks » protéiformes.

Beau chantier ! Mais en fait la recherche du bon périmètre de représentation s’apparentera toujours un peu à une fuite en avant – l’espace des entreprises aujourd’hui n’est pas l’Europe, mais le monde – si l’on perd de vue l’attention permanente à la relation entre celui qui représente et ceux qui sont représentés…

 

PS : il faut lire les deux documents commentés ici car ils sont très riches !

Christian DUFOUR, Adelheid HEGE, « Comités d’entreprise et syndicats, quelles relations ? » Revue de l’IRES, n°59, 2008/4

– Christophe TESSIER, Claude Emmanuel TRIOMPHE, Mirella BAGLIONI, « Comités d’entreprise européens et comités d’entreprises : une refondation nécessaire », ASTREES, Note n°3, juin 2009

 

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.