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par Emmanuelle Champion, Montréal

Depuis quelques années, on assiste au Québec à un développement considérable de politiques d’approvisionnement responsable (PAR) tant par des entreprises privées que par des organisations non gouvernementales (ONG), des universités et des syndicats. Cette tendance devrait s’accroître puisque le gouvernement québécois incite, dans le cadre de sa stratégie de développement durable, les ministères, les unités administratives et les entreprises d’État à se doter d’un tel instrument, afin d’encadrer le processus d’acquisitions de l’appareil étatique dans son ensemble. Quels en sont les instruments et les acteurs ? Quels effets d’entraînement ?

 

achats responsables

Les politiques d’approvisionnement responsable (PAR) désignent « un mode d’approvisionnement qui intègre des critères sociaux et environnementaux aux processus d’achat des biens et services, comme moyen de réduire l’impact sur l’environnement, d’augmenter les bénéfices sociaux et de renforcer la durabilité économique des organisations, tout au long du cycle de vie des produits » (Sustainability Purchasing Network). Plusieurs entreprises au Canada et au Québec, oeuvrant dans des secteurs très diversifiés, sont actuellement engagées dans le développement, voire la mise en œuvre, d’une PAR. Cette pratique s’est en effet répandue au-delà de l’industrie du textile et des équipements de sport, dont les entreprises ont été les premières ciblées par le mouvement international anti-sweatshop.

 

C’est ce que révèle une récente recherche réalisée par la Coalition québécoise contre les ateliers de misère (CQCAM) qui s’intéressait aux pratiques d’approvisionnement d’une trentaine d’entreprises actives au Québec dans les secteurs du spectacle et du divertissement (Cirque du Soleil, le Club de hockey Canadien, Spectra), des télécommunications (Bell Canada, Telus, Roger, Vidéotron), de l’exploitation minière et de la métallurgie (Alcoa, RioTintoAlcan), de l’exploitation gazière et pétrolière (Gaz Métro, Ultramar, Esso, Petro Canada), de la distribution alimentaire (Metro, Sobeys, Loblaw), de la grande distribution (Wal-Mart, Costco, Sears, HBC), de la vente au détail d’équipements de plein air (MEC, La Cordée, Le Groupe Forzani) et de la vente au détail de produits d’ameublement et de quincaillerie (RONA, Canadian Tire, Home Depot, Ikea). Dans la continuité des recherches conduites par Ethical Trade Action Group (ETAG) et Oxfam Hong-Kong sur l’industrie du textile, cette étude consistait à évaluer les informations transmises par ces entreprises sur leurs pratiques d’approvisionnement. Les résultats de cette recherche indiquent que plusieurs de ces entreprises se sont engagées dans la voie de l’approvisionnement responsable et qu’elles se basent sur une variété d’outils de mise en application.

 

Catalogué

Mountain Equipment Coop (MEC), qui fait figure de leader en la matière, applique pour sa part un code de conduite à l’intention de ses fournisseurs selon le modèle Fair Labor Association (FLA). Pour sa vérification, MEC a recours à des auditeurs indépendants, notamment des ONG localisées sur les lieux de production. MEC se distingue par ailleurs par la très grande transparence entourant l’application de son code puisque les infractions survenues sur les lieux de production sont détaillées sur son site internet.

 

Alcoa, troisième producteur mondial d’aluminium, qui détient au Québec trois alumineries, se distingue par le développement d’une politique de développement durable qui s’appuie sur l’éco conception et des programmes de réduction des gaz à effets de serre. Pour encadrer cette politique, la direction d’Alcoa a créé le Comité consultatif sur le développement durable qui implique, entre autres, la Fédération de la Métallurgie-CSN.

 

Le Cirque du Soleil a adopté en 2008 une PAR qui cible l’ensemble des Conventions de l’OIT et la protection de l’environnement et dont la mise en application a été confiée à un comité mixte composé d’employés. Pour le rendre opérationnel, le Cirque du Soleil offre un programme de formation à ses usagers et évalue actuellement ses plus gros fournisseurs en administrant un questionnaire de développement durable. Le Cirque du Soleil prévoit à moyen terme de réaliser des audits chez certains de ses fournisseurs.

 

Loblaw, une des plus importantes entreprises de grande distribution au Canada, applique une politique en matière d’approvisionnement responsable en produits de la mer durables pour laquelle des ONG (dont Greenpeace) ont été consultées. Loblaw fait également la promotion des fruits et légumes locaux et offre une gamme encore limitée de produits équitables. Depuis 2006, l’entreprise met également en œuvre un programme de responsabilité sociale avec ses fournisseurs. Pour son opérationnalisation, ce programme s’appuie sur un nouveau contrat d’approvisionnement standard à l’intention des fournisseurs et des contrôles sont réalisés chez certains de ses fournisseurs par des auditeurs privés.

 

Ainsi, cette recherche indique que les entreprises les plus avancées en matière d’approvisionnement responsable sont en relation plus ou moins formelle avec des ONG. Certaines entreprises, notamment Alcoa, le Cirque du Soleil et Bell Canada, ont par exemple joint l’Espace de concertation sur les politiques d’approvisionnement responsable (ECPAR), dont la vocation est d’établir le dialogue entre des gestionnaires et des acteurs de la société civile, afin d’enrichir ce mécanisme, notamment sur les aspects sociaux qui demeurent faiblement développés par rapport à l’environnement.

 

D’autres organisations au Québec sont également engagées dans ce processus. Depuis 1995, l’Université de Sherbrooke applique une PAR pour l’acquisition de biens, de services, de travaux de construction et de rénovation. L’Université de Sherbrooke a constitué un fichier des fournisseurs qui appliquent par exemple un système de gestion environnementale et respectent les droits fondamentaux du travail. Des ONG et syndicats tels que Amnisty international, le Syndicat des employées et des employés de bureau (SEPB) et la Confédération des syndicats nationaux (CSN) encadrent par une PAR leurs achats de fournitures, d’équipements de bureau et de services.


« Les ateliers de misère »

La diversité d’acteurs que cette pratique regroupe à présent, s’explique en partie par l’important travail de sensibilisation réalisé par la Coalition québécoise contre les ateliers de misère (CQCAM). Depuis sa création en 2003, ce collectif qui réunit une trentaine de syndicats et d’ONG oeuvrant dans le domaine de la solidarité internationale et de la consommation responsable, fait activement la promotion de l’approvisionnement responsable auprès des grands donneurs d’ordre au Québec. Aussi, la CQCAM conçoit la notion d’atelier de misère de façon large, ce qui lui permet de s’adresser à des organisations de divers secteurs économiques pour leur proposer la mise en application d’une PAR selon les standards qu’elle promeut. Par ailleurs, la CQCAM a la particularité de s’appuyer sur les syndicats pour ouvrir le dialogue avec les entreprises sur leurs pratiques d’approvisionnement. Un Comité intersyndical, initié par la coalition discute avec la direction de Bombardier Aéronautique et de Bombardier Transport, de l’application d’un code de conduite et de l’implication éventuelle des syndicats locaux pour sa mise en œuvre.

 

A l’avenir, les pratiques d’approvisionnement responsable devraient se multiplier alors que 150 ministères, organismes et entreprises d’État planifient la mise en application d’un tel mécanisme pour répondre aux exigences de la Loi sur le développement durable. Dans sa stratégie de développement durable 2008-2011, le gouvernement demande en effet à ce que ces organisations se munissent d’un Plan quinquennal d’action au sein duquel se retrouvent les pratiques d’approvisionnement responsable. Bien que ces exigences concernent uniquement le secteur public, celles-ci conduiront à un effet d’entraînement sur les entreprises privées par le biais des chaînes d’approvisionnement. Il sera donc intéressant de surveiller le développement de cette pratique au Québec, notamment en ce qui concerne l’intégration du volet social sur lequel les ONG et les syndicats se mobiliseront pour enrichir le contenu.

 

Emmanuelle Champion est sociologue. Doctorante en Administration, Chaire de responsabilité sociale et de développement durable (CRSDD) de l’UQAM (Université du Québec à Montréal) et Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail (CRIMT-HEC).

 

Rapport de recherche sur les politiques d’approvisionnement responsable de la Coalition québécoise contre les ateliers de misère (2010).

 

Rapport de recherche de l’Espace de concertation sur les politiques d’approvisionnement responsable (2009).

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