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par Courrier du Danemark

Le nombre important de contre-vérités avancées sur nos partenaires européens a de quoi faire peur. Le phénomène traduit un manque de rigueur d’autant plus gênant que la situation économique actuelle exige un renforcement de la coordination entre les Etats membres de l’UE et donc un approfondissement de la connaissance du contexte économique prévalant dans chacun d’entre eux.

 

greve danemark

Après l’existence d’un soi-disant bouclier fiscal en Allemagne (supprimé en 2006), c’est au tour du Danemark de faire l’objet d’une nouvelle affirmation à l’emporte pièce. C’est que le pays serait, selon Philippe Askenazy, Directeur de Recherche au CNRS, le premier « gréviculteur » de l’Union Européenne au cours de la décennie 1998-2008. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter les statistiques avancées par Eurostat: le nombre de jours perdus pour 1000 travailleurs n’a jamais été supérieur à 193 en France (en 2003), alors qu’il a atteint 1254 jours en 1998 et 682 jours en 2008 au Danemark.

Mais d’une analyse un peu plus approfondie des données avancées, il n’en est point. Sans doute parce que ces dernières contribuent, sans effort aucun, à remettre en cause l’image d’une France « pays de la grève », image sans doute accentuée par la dernière coupe du monde de football. Cela s’appelle le benchmarking inversé, une spécialité bien française selon laquelle il vaut mieux éviter de se comparer à un autre pays lorsque la comparaison est susceptible de mettre en lumière nos carences et nos retards.
Dans cette logique, le Danemark n’est ces derniers temps cité dans la presse que sous un angle folklorique. Avant cet article faisant du pays le premier « gréviculteur » de l’UE, l’ensemble de la presse quotidienne française nous avait ainsi fait la grâce de nous informer, au printemps dernier, du débrayage, pendant 5 jours, des employés d’un dépôt de production de Carlsberg, qui protestaient contre la diminution de leur allocation quotidienne gratuite de bière…

Il faut dire que les Danois ont un rapport si passionnel avec les mouvements sociaux que pendant la durée d’application des conventions collectives, qui couvrent 85% du marché du travail et qui sont renégociées en moyenne tous les trois ans, la grève est tout simplement interdite. Une caractéristique qui, combinée à l’intervention automatique d’un conciliateur en cas d’enlisement des négociations, laisse donc peu d’opportunités aux organisations syndicales d’aller jusqu’au conflit.
C’est ainsi que le dernier grand conflit dans le secteur privé remonte à 1998. Avant 1998, il y avait eu 1961, 1973 et 1985. Soit en moyenne un conflit tous les 12 ou 13 ans, ou encore un conflit pour trois à quatre convention collective renégociée…A ce rythme effréné, les Danois ont l’avantage, puisque la fréquence des grèves est strictement encadrée, d’en connaître à l’avance les risques d’éclatement. Autrement dit, les désagréments de mouvements de grève intempestifs du type de celui déclenché cette semaine en France par les aiguilleurs du ciel n’existent tout simplement pas…
Dans un pays où le taux de syndicalisation atteignait 69% en 2009, les organisations syndicales danoises sont de plus contraintes de faire preuve d’un minimum de responsabilité. Le conflit vécu en 2008 dans le secteur public (grève des infirmières et des éducateurs) a ainsi coûté près de 135 millions d’euros aux organisations concernées en raison du recours par les employeurs au « lockout », qui les oblige alors à verser une allocation, y compris aux non-grévistes, d’un montant équivalent à celui des allocations chômage (100 euros par personne et par jour). Si les organisations syndicales françaises, qui ne représentent que 7% des salariés, avaient les mêmes devoirs, gageons que la France ferait bien mieux que d’être dans la moyenne UE…

Enfin, à considérer que le Danemark est effectivement le premier « gréviculteur » de l’Union Européenne, son système de négociation collective est également aux avant-postes en termes d’avantages accordés à la main d’oeuvre couverte par les conventions: niveau des salaires, congés payés, congés maternité, congés parentaux, retraites, formation continue…
Moralité, plutôt que de se contenter d’être dans la moyenne, mieux vaudrait accorder un peu plus d’attention, au cours de l’été, à une série d’informations passées inapercues mais qui traduisent pourtant un certain malaise: dégradation de la note de la dette souveraine francaise de trois rangs par une agence de notation chinoise, disparition du pays du Top 10 dans le cadre du Global Sovereign Credit Risk Report réalisé par CMA au mois d’avril. Sans oublier le classement réalisé chaque année par DI (confédération des entreprises danoises) et basé sur la prise en compte d’une batterie de critères mesurant l’insertion d’un certain nombre de pays dans la mondialisation et qui place le Danemark en 5ème position et la France en 27ème.

 

 

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