Les syndicats ne peuvent plus se permettre de jouer au chacun pour soi, il faut multiplier les actions syndicales concrètes et paneuropéennes, selon Frédéric Imbrecht qui est devenu le premier animateur de l’Activité Europe à la Confédération générale du travail (CGT) en 2010, à la suite d’un parcours professionnel et syndical au sein d’EDF – GDF. Entretien
La CGT s’est affiliée à la Confédération Européenne des Syndicats en 1999 seulement. Pourquoi ce rapprochement si tardif ?
La CGT a déposé sa demande d’adhésion dans les années 80, certes en retard par rapport aux autres syndicats français, mais il a fallu attendre que ceux-là donnent leur accord pour que la CES valide notre adhésion. La CES a fini par passer outre le désaccord dogmatique de Force Ouvrière. Elle a en fait admis que tout le syndicalisme français n’était pas totalement représenté en son sein, sans la CGT.
Le débat autour de l’Europe a longtemps été controversé au sein de la CGT. Mais la question n’est plus maintenant pour nous de savoir si on est pour ou contre l’Europe, mais comment on se positionne et comment on intervient en Europe.
Quelle place a pris la CGT en 12 ans ? Quel bilan tirez-vous de ces 12 ans d’action syndicale au niveau européen ?
Nous avons au total plusieurs centaines de militants dans toutes les instances et collectifs au niveau européens : dans presque tous les comités de dialogues sectoriels de la CES, dans les Comités d’entreprise européens, les fédérations européennes, les comités syndicaux interprofessionnels, au Conseil économique et social européen (CESE).
Comment s’articulent les différents niveaux : européen et national ?
Pour schématiser, l’Europe est le niveau de la coordination politique et économique. Tout ce qui est social est renvoyé au national. Les syndicats ont longtemps été d’accord avec cette conception. Car une négociation a du sens quand existe la proximité des acteurs et des mobilisations pour peser.
Quand interviennent les politiques coordonnées d’austérité à l’échelle de toute l’Europe, les syndicats ne peuvent plus se permettre de jouer au chacun pour soi, comme le font les gouvernements, car tous les pays ne vivent pas la crise de la même façon. Il faut renforcer la CES et se donner les moyens de créer un nouveau cadre interprofessionnel à dimension européenne.
Comment gérez-vous les contradictions entre partenaires européens ? Quels sont les obstacles à la création d’un véritable mouvement européen ?
En réalité, il faut beaucoup s’écouter les uns les autres pour que les incompréhensions ne deviennent pas des désaccords. Ce n’est pas qu’une question de langue. Il faut surmonter les incompréhensions qui viennent d’histoires sociales, culturelles et institutionnelles très différentes. Les approches sont souvent diverse, voire divergentes sur la forme. Par exemple les pays Nordiques régulent par convention qui ne bénéficie qu’aux seuls syndiqués ce qui explique entre autre le plus fort taux de syndicalisation comparé à la France. Tandis que les Français passent par la loi ou des accord collectifs couvrant tous les salariés du champ concerné, qu’ils soient syndiqués ou non.
Dernièrement nous avons beaucoup débattu sur le dumping social. Le mouvement syndical doit se coordonner à tous les niveaux : national et européen, interprofessionnel, professionnel, branche, et entreprise pour permettre de concrétiser une Europe Sociale.
Prenons le chantier du réacteur nucléaire EPR à Flamanville. Nous ne savions même pas combien gagnaient nos collègues Polonais ou Roumains qui y travaillent ! Tout est mis en œuvre par Bouygues pour empêcher de rencontrer et de discuter avec ces salariés qui subissent d’énormes pressions et du chantage au renvoi pur et simple dans leur pays au cas où ils s’expriment.
Comment faites-vous justement dans ce cas précis ? Qu’est ce qui a changé depuis l’expérience des Chantiers de l’Atlantique où la même question des travailleurs détachés s’était posée ?
Les 27 et 28 avril dernier, nous avons organisé une initiative syndicale unitaire sur le chantier de Flamanville, syndicats français, mais aussi roumains et polonais avec l’appui de la Fédération Européenne de la CES du secteur. Nous avons diffusé des tracts dans les différentes langues parlées sur le chantier pour aboutir à une première rencontre avec ces salariés (150 participants) qui a été suivi d’une conférence de presse. Nous avons pu découvrir l’ampleur du dumping social opéré par les donneurs d’ordres que sont Edf et Bouygues. Nous en sortons avec des revendications communes. C’est le début de l’organisation d’une action syndicale concrète et paneuropéenne sur un même site de travail.
Quelles seraient à votre avis les trois améliorations à apporter au syndicalisme européen ?
Admettre que chacun dans son pays, nous n’avons pas d’avenir de progrès social, que l’échelon européen est un espace qu’il faut occuper au même titre que l’espace national pour lui donner la dimension sociale qu’elle n’a pas. Sinon l’Europe sera durablement rejetée par les salariés et ce sont les forces nationalistes et d’extrême droite qui progresseront. Le danger de fragmentation de l’Europe est véritable, si l’on poursuit sur la voie actuelle d’austérité européenne. Enfin, toutes les cultures syndicales ne se fondront pas en une seule mais qu’elles doivent nourrir une posture syndicale indépendante des partis et institutions politiques.
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