« En Suède, les débats politiques autour de l’immigration s’appuient sur des faits et non des peurs. Les syndicats sont d’accord pour accueillir de nouveaux arrivants, si nous sommes certains qu’ils seront traités comme des Suédois » affirme Samuel Engblom, juriste et syndicaliste au sein du TCO (la confédération des employés), où il est notamment responsable de la question des migrations professionnelles.
Selon l’indicateur européen MIPEX (Migrant Integration Policy Index), la Suède a le marché du travail le plus intégrateur pour les migrants. Elle obtient le score maximal (100) et le premier rang de tous les pays européen (lien). « Le Mipex décrit la situation officielle qui est celle d’une politique généreuse, précise Samuel Engblom. Mais, ce petit résumé n’entre pas vraiment dans le détail de la problématique ».
50 ans d’immigration
Deux chiffres reflètent la situation actuelle. Sur les 9,2 millions de Suédois, 1,2 millions sont nés à l’étranger (13.8%) et 547 000 sont étrangers (UE et non-UE) soit 3.2% de la population (Eurostat 2009). C’est le résultat de 50 ans d’immigration et d’intégration à la suédoise. Entre 1949 et 1971, la Suède a fait venir des travailleurs des pays voisins (Finlande surtout) et du Sud de l’Europe (Italie et Yougoslavie), ce qui lui a permis d’augmenter le nombre de cotisants et de développer son service public.
Au début des années 70, face la montée du chômage, les politiques d’accueil sont devenues plus restrictives. Les migrations s’effectuent par le rapprochement familial (Turquie, Serbie, Monténégro) ou la demande d’asile depuis le Moyen-Orient (Irak, Iran, Turquie), l’Afrique (Somalie, Éthiopie) et l’Amérique Latine. Le gouvernement suédois affrète des charters pour Rio de Janeiro qui ramène des exilés argentins, chiliens, et uruguayens.
À partir de 1990 arrivent des réfugiés d’ex-Yougoslavie. L’entrée de la Suède dans l’UE en 1995 instaure la liberté de circulation des citoyens européens. Au nom de l’égalité de traitement, toute entreprise suédoise peut publier une offre d’emploi sur le réseau européen EURES et recruter un Européen. Beaucoup d’Allemands tentent leur chance.
En 2005, la Suède ne pose pas de restriction à l’arrivée de ressortissants des 10 nouveaux États membres, attirant surtout Polonais et Lituaniens.
Les nouveaux arrivants viennent donc aujourd’hui principalement de Finlande, d’Irak et de Pologne (Eurostat 2010). Les deux premiers fournissent plutôt des migrants qualifiés : des ingénieurs européens, des informaticiens indiens, et parmi les réfugiés politiques irakiens, des médecins, ingénieurs et universitaires. La ville de Södertälje, au Sud de Stockholm a accueilli plus de réfugiés irakiens que toute l’Amérique du Nord !
Les arrêts de la CJCE, une épine dans le pied…
Les Polonais viennent travailler dans le bâtiment et le transport. « À l’instar des Lituaniens, ils travaillent le plus souvent pour des entreprises étrangères sous le statut de travailleur détaché. Ils ne sont pas soumis aux mêmes règles sociales comme on le sait depuis les arrêts Laval et Viking (2007), regrette M. Engblom. Personne ne sait leur nombre exact, car la liberté de circulation leur permet d’aller et venir ». Ils échappent également au contrôle des syndicats, dans un pays où 80% des travailleurs sont syndiqués. L’interprétation de la directive Bolkenstein par la Cour de Justice Européenne est une véritable épine dans le pied, car les partenaires sociaux sont impuissants « face à ce dumping salarial, dit-il. Récemment, la Commission européenne a autorisé le gouvernement à abolir l’obligation pour les prestataires de services d’avoir un représentant en Suède. Cela va causer de gros problèmes pour le modèle suédois, car il sera très difficile de négocier avec des prestataires étrangers ».
Traditionnellement, le secteur agricole aussi est demandeur en main d’œuvre étrangère saisonnière. Les exploitations forestières du Nord du pays recrutent par exemple des Thaïlandais, pour la cueillette de baies sauvages, dont les conditions de travail sont régulièrement dénoncées par les organisations syndicales comme du travail esclave. De nouvelles règles permettent de s’assurer que les salaires sont versés aux migrants.
Enfin, avec la crise, des migrants peu qualifiés arrivent d’Espagne, du Nord de l’Afrique et rejoignent les Latino-Américains (souvent sans-papiers), qui trouvent du travail dans la restauration, l’hôtellerie et les services de nettoyage, où l’affiliation syndicale est plus faible qu’ailleurs.
…pour la régulation syndicale
Les partenaires sociaux sont traditionnellement très impliqués dans l’encadrement et l’insertion professionnelle des migrants. En tant qu’expert et syndicaliste, Samuel Engblom a participé aux débats « très constructifs » qui ont accompagné la réforme des lois sur l’immigration en 2008. La stratégie d’intégration 2008-2010 a pris en compte les mauvais scores d’intégration des nouveaux arrivants, en particulier les réfugiés et les femmes, qui mettaient du temps à trouver un travail.
Pour y remédier, la loi d’intégration sur le marché du travail adoptée fin 2009 permet aux migrants d’apprendre le Suédois, de trouver ou de créer un emploi qui corresponde à leurs qualifications. 100 millions d’euros, sont consacrés à promouvoir la responsabilité individuelle de chaque nouvel arrivant avec un soutien professionnel. La loi a également supprimé les dispositions particulières concernant le travail saisonnier.
La demande de permis de travail s’effectue depuis 2008 auprès de l’Autorité de l’immigration avant même l’entrée sur le territoire. Les Suédois, les citoyens européens, suisses, islandais et norvégiens, ainsi que les étrangers vivant déjà en Suède sont prioritaires (High Skilled Immigration Policies in Europe – DIW janvier 2011). Chaque demande de permis de séjour et de travail est examinée au cas par cas par les partenaires sociaux, qui vérifient que le futur contrat de travail et les conditions de rémunération sont conformes aux règles en vigueur en Suède.
Les personnes qui ont demandé l’asile politique sont autorisées à travailler même si leur demande d’asile est en instance. S’ils n’obtiennent pas le statut de réfugié en dernière instance et s’ils travaillent depuis 6 mois, même sous contrat à durée déterminée (pour au moins 12 mois), ils peuvent demander à passer sous statut de travailleur étranger.
Un étranger qui travaille ou non, peut adhérer à un syndicat. Dans les faits, peu de migrants le font, car ils travaillent en général dans des secteurs peu couverts (notamment la restauration, l’aide à domicile et le nettoyage). Les syndicats sont ouverts à leur affiliation, mais souvent réticents à représenter des personnes qui s’adressent à eux seulement lorsqu’ils ont des problèmes avec leur employeur. « À Stockholm, des centrales syndicales ont créé un centre dans le but de sensibiliser les immigrés en situation irrégulière, rapporte Engblom. Plusieurs syndicats ont même modifié leurs règles d’affiliation pour les représenter sans qu’ils aient à demander une affiliation prioritaire. Car refuser à des illégaux la défense de ses droits, arrange bien les personnes qui les exploitent ».
Au fond, les syndicats se sont pris au jeu de l’intégration des migrants dans la démocratie sociale suédoise. « Les syndicats en tirent des bénéfices évidents. Primo, les syndicats sont organisés sur l’affiliation de leurs membres. Sans une organisation dense et une présence sur les lieux de travail, le syndicat ne peut pas remplir sa mission. Secundo, si les syndicats ne gèrent pas l’organisation des travailleurs étrangers, les entreprises risquent de les utiliser pour réduire leurs coûts, tirant vers le bas tous les accords collectifs, demandant des salaires plus bas sous prétexte de compétitivité. La mission des syndicats pour promouvoir le travail décent et l’égalité de traitement quelque soit l’origine est immense » conclut le syndicaliste.
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