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par Salima Benhamou du Centre d’analyse stratégique

On ne peut pas dire que les entretiens d’évaluation passent inaperçus, surtout en ces temps de crise des  modèles de management ! Parfois jeté en pâture par les uns ou porté au pinacle par les autres, il semble difficile de se faire une idée sur cet outil managérial très prisé par ailleurs par les entreprises françaises. On a vu se développer toute une jurisprudence autour des entretiens d’évaluation, la Cour de Cassation allant jusqu’à établir un lien entre entretien d’évaluation et santé mentale des salariés (arrêt Mornay).

 

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Les critiques sur l’entretien d’évaluation

L’entretien d’évaluation, outil de gestion managériale qualifié de subjectifs par opposition à d’autres dits « objectifs » comme le résultat économique, vise à évaluer le travail du salarié en fonction d’objectifs fixés par la hiérarchie. Cet outil repose principalement sur l’appréciation du manager de proximité (l’évaluateur) qui peut évaluer le travail du salarié en s’appuyant sur des critères quantitatifs et qualitatifs (y compris comportementaux). Pour les DRH, l’entretien d’évaluation est l’outil privilégié pour accompagner la fixation de la rémunération individuelle mais aussi pour mieux gérer les compétences et la formation. L’entretien d’évaluation peut améliorer la participation des salariés à travers un dialogue sur la fixation d’objectifs et la prise en compte des attentes et des besoins du salarié.  

 

Mais du côté des représentants du personnel, il fait l’objet de certaines critiques liées principalement aux critères eux-mêmes (manque de transparence et d’objectivité, de précision, critères difficilement mesurables et objectifs inatteignables). Ces problèmes favoriseraient alors la dégradation des conditions de travail et pourraient même conduire à faire de l’entretien d’évaluation un moyen de pratiquer des discriminations déguisées. D’autres types de critiques, provenant d’autres acteurs (consultants RH, de psychologues, psychanalystes) dénoncent dans l’entretien d’évaluation une pratique managériale de « domination » au service de l’employeur, qui se cacherait derrière une myriade d’indicateurs d’objectifs pour maximiser la performance et contrôler les salariés, au détriment de leur bien-être.

 

Les limites de ces critiques

Même si des opinions divergentes, aussi légitimes soient-elles, existent sur les entretiens, elles n’en comportent pas loin des limites importantes qui ne permettent pas d’établir un constat général et objectif.

 

La première d’entres elles portent sur l’absence de prise en compte dans le débat de la perception des deux principaux acteurs : les salariés « évalués »  et les « évaluateurs ». Ce sont eux qui vivent au quotidien les relations managériales et sociales et qui les incarnent, qui se retrouvent à un moment dans l’année face à face pour faire un bilan. Par ailleurs, l’opinion des DRH ou des IRP sur l’entretien d’évaluation peut contenir des biais de subjectivité. Les premiers le considèrent au regard de son efficacité organisationnelle. Les seconds peuvent le voir comme un outil managérial contribuant à l’individualisation croissante de la relation salariale (notamment sur la fixation des rémunérations), pouvant même les concurrencer.

 

La seconde limite réside dans le risque de généralisation à toutes les entreprises du lien entre entretien d’évaluation et dégradation du bien-être à partir de cas d’espèces portés devant les tribunaux. 

 

La troisième limite, corollaire de la deuxième, tient à la systématisation du lien entre évaluation et santé mentale. En effet, le stress, voire le mal être au travail résulte généralement d’un ensemble de facteurs et non de la seule mise en place de l’entretien d’évaluation.  Il convient donc de « contrôler » le plus possible l’ensemble des facteurs qui peuvent influencer le bien-être ou le stress au travail, comme les caractéristiques des entreprises (organisation du travail, l’utilisation aux nouvelles technologiques, les relations d’interdépendance du travail interne et externe, changement de direction, rachat de l’entreprise….) mais aussi les caractéristiques des salariés (âge, expérience, CDD/CDI, classe socio-professionnelle, sexe, etc). Ainsi, établir un lien direct entre entretien et bien-être et le généraliser à toutes les entreprises relèvent d’une analyse d’une extrême complexité dont la seule observation de cas d’espèces et de retour d’expériences ne peut rendre compte.

 

Une autre approche pour tester le lien entre évaluation et bien-être

Analyser les effets de l’entretien d’évaluation à partir de la perception directe des salariés « évalués » sur un échantillon le plus large possible peut contribuer à établir un diagnostic objectif et aller au-delà des cas d’espèces.

 

 

Une étude récente du Centre d’analyse stratégique a montré tout d’abord que la grande majorité des salariés « évalués » trouvent que les critères fixés sont précis et mesurables (90% des salariés). D’autre part, les salariés évalués tirent en moyenne (après contrôle des biais de sélection) plus de satisfaction sur le plan de la rémunération que sur celui de la reconnaissance de leur travail que les salariés non évalués. Enfin, s’agissant du stress, cet effet ne proviendrait pas spécifiquement de l’entretien d’évaluation lui-même mais transiterait par les caractéristiques organisationnelles des entreprises. Cette étude met en effet en évidence que ce sont principalement les changements dans l’organisation du travail auxquels font face plus fréquemment les salariés évalués que les salariés non « évalués » qui augmentent la probabilité de se sentir stressé. En effet, les changements d’organisation du travail sont un important facteur favorisant la mise en place d’entretiens d’évaluation. Autrement dit, les salariés évalués évoluent plus fréquemment dans un contexte organisationnel plus générateur de stress que les salariés non « évalués ».

 

On constate donc que l’entretien ne joue pas négativement sur le bien-être. Bien au contraire, il tendrait même à l’améliorer. Soulignons toutefois que ces résultats ne sont vrais qu’en moyenne et il existera toujours des dérives et des cas d’espèces où certains salariés peuvent être discriminés, ou évalués sur la base de critères imprécis ou biaisés. Il s’agit donc de conforter l’entretien en apportant des améliorations et en limitant les contentieux.

 

Comment éviter les dérives potentielles de ce dispositif ?

L’essentiel est d’abord de respecter la jurisprudence et des articles du code du travail relatifs à l’évaluation des salariés (critères comportementaux en lien direct avec l’activité professionnelle, objectivité et transparence des critères, informer en amont les salariés sur ces techniques…). Il existe cependant un flou juridique, soumettant l’employeur à une insécurité juridique en matière de procédures de consultation, qu’il conviendrait de clarifier (saisine du CHSCT par le CE sans obligation systématique).

 

D’autres améliorations sont envisageables pour accroître la transparence et surtout la légitimité de ce dispositif aux yeux des acteurs (améliorer la formation des managers sur la pratique des entretiens et sur la conduite du changement…)  

 

On peut aussi s’interroger, malgré l’existence d’un encadrement juridique sur l’évaluation, si les contentieux initiés par les IRP ne sont-ils pas le symptôme d’un problème de confiance et de dialogue social entre l’employeur et les représentants des salariés, notamment en ce qui concerne la mise en place de politique de gestion des ressources humaines en lien avec l’évolution de l’organisation de l’entreprise (méthodes de travail, technique de contrôle, changement de direction et de la politique RH…) ?

 

Salima Benhamou est économiste du travail au Centre d’analyse stratégique

 

S .Benhamou et M-A Diaye : « Pratiques de gestion des ressources humaines et bien-être au travail : le cas des entretiens individuels d’évaluation en France »., La Note d’analyse du Centre d’analyse Stratégique, septembre 2011, n° 239. Lien internet : http://www.strategie.gouv.fr

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