Au printemps dernier, le gouvernement de coalition de David Cameron a promis de « dénationaliser » le service de santé publique (National Health Service – NHS) sans sabrer dans son budget. Suite à d’intenses débats, le projet de loi « révolutionnaire » sera quelque temps en suspens à la Chambre des Lords.
La réforme du NHS doit permettre économiser 20 milliards de livres en 4 ans, qui y seront en principe réinvestis. Pour le moment, 60% du budget du NHS (sur les 120 milliards annuels) va à la rémunération du personnel. Soit 1,7 millions de personnes au Royaume-Uni, dont 1,3 en Angleterre, car l’Ecosse, l’Irlande du Nord ont leurs propres structures de santé.
En Grande-Bretagne, le système de santé est encore largement public. Il mobilise 20% des dépenses de l’État. « Le privé s’occupe des petites opérations à faible risque, qui paient bien (cataracte, hernie, etc), mais sa présence est très limitée » explique Guy Collis du syndicat UNISON. Si les prestataires privés ne sont pas légion, les assurances privées ont gagné du terrain depuis les années 2000, malgré leur coût (400£ par mois), car le souscripteur peut voir son délai d’attente réduit, et choisir l’hôpital public où il se fera hospitaliser.
« Le gouvernement répète que le NHS ne sera pas privatisé », dit avec scepticisme Greg Thompson, autre syndicaliste de UNISON. Même la puissante British Medical Association dénonce le dumping en matière de santé et une privatisation déguisée. Cette association de médecins redoute les effets de cette réforme, qui s’attache à réduire les coûts et non à accroitre la qualité. La majorité s’est trouvée divisée, ce qui a suspendu le processus législatif. Chiffrée à 1,3 milliard, la restructuration en coûtera plus de 3,5 dénoncent l’opposition et le TUC.
« Comme il est impossible de privatiser le NHS, on introduit la concurrence, explique le professeur Jean-Paul Revauger, lors d’une conférence du Centre d’Analyse Stratégique. Des classements permettent aux patients de faire leur sélection. C’est une politique traditionnelle car la société britannique est une société-sélection et de libre-concurrence ». Le mot de privatisation a été définitivement vicié lorsqu’en juin, le groupe privé Southern Cross qui possède 751 maisons de retraites a fait faillite, menaçant de laisser 31 000 personnes âgées sans soin.
À la Chambre des Lords, la discussion s’est donc éternisée, alors que le gouvernement espérait en venir à bout rapidement. A la date de notre entretien le 8 décembre, les Lords en sont au 50ème article, sur 303 selon Guy Collis. La lecture s’est accélérée, mais elle sera bientôt suspendue jusqu’à mi-janvier pour discussion. En mars, le projet devrait revenir au parlement pour le vote final. Ce sera la course contre la montre, car en avril, commence la nouvelle période de législation, et le sujet doit être évacué avant. « Depuis un an, nous avons utilisé tous les recours possibles pour retoquer ce projet de loi qui doit révolutionner le NHS, ajoute-t-il. Nous faisons tout notre possible pour que les Lords le rejette ou au moins en retirent les pires mesures ».
Grogne des patients, épuisement des soignants
Les Britanniques sont très attachés à leur système de santé universel et gratuit. Le gouvernement de coalition de David Cameron propose un retour aux principes de la réforme de John Major de 1991. Le principal argument est d’offrir une meilleure efficacité du service, qui soit adapté aux besoins de la population locale. Ainsi, les autorités stratégiques de santé et les 150 organes administratifs locaux (PCT) seront remplacés par des groupements de médecins constitués en 250 consortiums. En fonction des besoins locaux et des objectifs de soins, ils mettront en concurrence hôpitaux publics et structures privées pour fournir des services au meilleur prix. Mais rien n’assure que la totalité du parcours de soins sera toujours gratuit. D’où la grogne.
La réforme Major n’avait pas résolu les difficultés chroniques d’un système en manque d’investissement, précise Florence Lefresne de l’IRES dans un article paru en juillet 2011. En 2001, lors de l’arrivée de Tony Blair au pouvoir, un million de personnes attendaient d’être hospitalisées, 30 000 depuis plus d’un an. Ce qui a poussé les travaillistes à investir, les dépenses de santé passant de 7,8% du PIB à 9,4% en 2005 pour atteindre la moyenne européenne. Mais déjà à l’époque, les maisons de santé sont encouragées à faire jouer la concurrence entre leurs fournisseurs de soin sur deux critères : la qualité et la rapidité, le prix étant fixé par l’administration. La réforme Cameron n’a finalement pas remis en cause ce principe. En revanche, le projet de loi envisage de supprimer l’organisme qui surveille la tarification des opérations, garde-fou pour que les soins ne deviennent pas plus chers pour le patient.
Au cours des dernières années, les conditions de travail se sont dégradées dramatiquement aux seins des établissements publics. La suppression de 13 000 emplois a augmenté la pression et la charge de travail, surtout pour les infirmières. « Quand vous voyez vos collègues qui perdent leur emploi, et que le vôtre est menacé, par le gels des salaires, par l’inflation, par l’augmentation de 3,2% des contributions sociales (une mesure qui concerne tous les agents du service public), tout se conjugue pour que la colère et l’exaspération montent » avertit le syndicaliste Guy Collis.
Du côté des patients, les listes d’attente sont toujours longues. Certains patients ont une opération dans les 18 semaines – c’est le cas pour 16/% des traumatisés, 15% de la neurochirurgie, 11% pour l’oto-rhino-laryngologie. Mais cela empire. La taux des patients non-traités et les taux de mortalité, surtout le week-end sont observés à la loupe. Selon le guide de référence « Inside your hospital » du docteur Foster paru en novembre, des réorganisations sont possibles pour y remédier : concentrer des spécialistes dans des hôpitaux très performants, renforcer les réseaux de soins locaux.
La mobilisation de 3 millions de fonctionnaires le 30 novembre dernier sur la réforme des retraites prouve que les Britanniques sont prêts à l’action sociale. Il faudra attendre la reprise des discussions en janvier à la Chambre des Lords avant l’adoption par le Parlement en mars.
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