par Nadya Charvet
Le mardi le 21 février, à 20h35, ARTE consacre un Thema au chômage. Au programme, deux films qui dressent un état des lieux de l’état du chômage et donc du travail en France et en Allemagne.
Premier film de la soirée.
Le travail malade du chômage (62min) aurait aussi bien pu être baptisé « c’est l’emploi qu’on assassine ». Avec la complicité des quelques experts avérés et/ou atterrés comme Thomas Coutrot ou Laurent Cordonnier, Robert Castel et Pierre Concialdi, le film désigne les coupables et les complices de cet assassinat en règle, et dresse le portrait d’une catégorie de chômeurs en voie de développement, ni tout à fait sans emploi, ni tout à fait en emploi, condamnés à la précarité à vie.
Le film
Dans les années 50, Peugeot a employé jusqu’à 42 000 salariés à Sochaux, son usine mère. La ville vivait au rythme de l’entreprise. Tout y était Peugeoisé, les écoles, les transports, les magasins, les restaurants, jusqu’aux logements prévus pour accueillir des milliers de travailleurs recrutés au Maghreb ou dans les pays de l’Est. Il faisait bon, alors, appartenir à la grande famille.
Le paysage d’aujourd’hui est tout autre. L’effectif de Peugeot à Sochaux est tombé à 12 000. Les enfants des ouvriers d’hier pointent au chômage ou dans les agences d’intérim, et sur les chaînes, il ne reste que 6 000 ouvriers dont 1/3 en intérim, un ouvrier sur trois !
C’est à cette réalité nouvelle que s’intéresse le film. Celle d’un travail rétréci, racorni, qui condamne les demandeurs d’emplois à n’être ni tout à fait chômeurs, ni tout à fait travailleurs mais l’un et l’autre alternativement, dans un cycle sans fin. Il met en lumière un chômage de nasse et de classe, un chômage discriminant qui enferme dans la catégorie des chômeurs-précaires les plus éloignés de l’emploi (femmes, jeunes, sans qualification, seniors).
Les pieds dans le réel aux côtés de laissés pour compte du travail, de chefs d’entreprises, de syndicalistes, d’agents de Pôle Emploi et la tête dans la réflexion à l’écoute de sociologues et d’économistes, le film montre les causes et les conséquences de cette flexibilisation de l’emploi et décrypte les ressorts économiques et politiques qui l’alimentent. En quoi le vivier des chômeurs fait-il le jeu des employeurs dans une économie dirigée par le capitalisme financier ? Quel est le rôle joué par l’Etat dans cette casse sociale ? Pourquoi rend-on les demandeurs d’emploi responsables du chômage qui les frappe ?
Le film travaille chacune de ces questions à l’aune d’un va-et-vient constant entre réalité et analyse. Il confronte ainsi le quotidien de l’intérimaire à vie à la théorie classique du chômage, le sentiment d’enfermement du précaire au discours sur la liberté des patrons, le malaise des salariés de Pôle Emploi aux objectifs poursuivis par l’organisme, l’acharnement à travailler des chômeurs à leur supposée fainéantise, etc.
Ce faisant, c’est un tout autre visage du chômage qu’il dessine. Un chômage qui, dans les faits, a cessé depuis longtemps d’être une priorité politique. Un chômage qui au contraire, a installé, au fil du temps, une dégradation profonde de l’emploi. En d’autres mots, il dessine un avenir de précarité pour tous.
Aujourd’hui, toutes catégories statistiques confondues, plus de 5 millions de personnes cherchent un emploi en France. Face à cette demande, 60% des postes proposés sont des CDD de moins d’un mois, 2 postes sur 3.
Le travail malade du chômage, un film de Anne Kunvari, écrit par Anne Kunvari et Nadya Charvet, produit par Mat Films.
Second film: Allemagne, mode d’emplois
«Troquer nos acquis sociaux contre des emplois ?» A cette question les syndicats français répondent à l’unisson : marché de dupes ! La petite histoire leur a souvent donné raison. Souvenons-nous de Clairoix, l’usine Continental menacée de fermeture en 2009. Les Conti avaient accepté de revenir aux 40 heures, d’abandonner leur prime de fin d’année, pour sauver leurs emplois. Début 2010, l’usine était définitivement fermée. A l’annonce de la fermeture, 200 ouvriers vandalisaient les bureaux de la sous-préfecture de Compiègne.
Et comment font les Allemands ? Contrairement aux Français et plus que les autres pays européens, ils ont massivement misé sur le chômage partiel pendant la crise financière mondiale : comparativement, ils ont dépensé 6 milliards au titre du chômage partiel, dix fois plus que les Français. En mai 2009, jusqu’à 1,6 million de salariés étaient concernés par ce qu’on nomme outre-rhin le «Kurzarbeit».
Résultat, le chômage a augmenté 5 fois moins vite en Allemagne entre 2008 et 2010 qu’en France en dépit d’une récession deux fois plus sévère que la nôtre (- 4,7 % de croissance en 2009 contre – 2,25 %). Le bilan est incontestable. Le taux de chômage, en Allemagne, a retrouvé aujourd’hui son niveau observé lors de la réunification, soit 5,5%.
Si l’Allemagne a si bien tiré son épingle du jeu c’est parce qu’elle a une longue tradition de flexicurité. Depuis le début des années 90, sous le double effet de la mondialisation et la réunification, les entreprises allemandes ont négocié toujours plus de flexibilité contre des garanties d’emploi. Vingt ans après, cette pratique les a sauvé d’une des plus graves crises.
«Travailler moins et gagner moins… pour préserver son emploi», cette formule gagnante pourrait bien, à en croire les propositions du gouvernement en manière de chômage partiel formulées lors du récent sommet pour l’emploi, inspirer le programme «social» de l’actuel Président.
A l’heure où la France cherche des recettes pour sortir du chômage de masse qu’ont les Allemands à nous apprendre?
Allemagne mode d’emplois plonge le téléspectateur au cœur de la gestion de la crise à «l’Allemande» sans idéaliser le fameux modèle allemand, dont un des ressorts reste la peur du chômage, très présente dans le pays depuis les lois Hartz qui ont revu drastiquement à la baisse les conditions d’indemnisation des chômeurs et provoqué une explosion du précariat, dont l’Allemagne doit aujourd’hui tirer les conséquences sociales et économiques et politiques.
Allemagne mode d’emplois, 31 min, un film de Nadya Charvet, produit par Mat films
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