Georges Pierret, patron de l’entreprise éponyme, conçoit, fabrique et vend des yachts luxueux. Il contribue ainsi avec fierté à la vie concrète de l’industrie française. Mais ça ne se passe pas comme dans les discours volontaristes des campagnes électorales et contrairement à ses bateaux, l’entreprise prend l’eau.
Je regrette trop souvent l’absence de films portant sur des sujets sociaux actuels pour ne pas saluer ce film. Malheureusement, si nous ne nous ennuyons pas vraiment, nous sortons de la séance sans éclairage nouveau et plus pessimistes que jamais.
Sur plusieurs points le réalisateur Jacques Maillot se laisse prendre à la part la plus superficielle de l’air du temps. La division du monde en bons et méchants est digne d’une histoire édifiante rédigée par un service de propagande débutant. Je résume. Du côté des méchants, on trouve les banquiers qui ont une calculette à la place du coeur (vous aviez deviné, non ?), l’actionnaire vénal et débauché, le concurrent indélicat qui se comportera en patron voyou, les clients tyranniques et inconstants, les russes mafieux, forcément mafieux, et un ouvrier marginal qui ne respecte pas le travail (il n’est même pas syndiqué et est piètre amoureux de surcroît). Il ira jusqu’à saboter et couler un yacht juste terminé et vendu, empêchant ses acquéreurs d’aller faire la fête à Ibiza. Il y a aussi le cancer qui a pris à Georges son épouse aimée et le laisse veuf, inconsolé et sans enfant. Du côté des bons, il y a l’entrepreneur bien sûr, qui à l’image de Saint Georges, patron des chevaliers, engage un combat acharné avec le dragon qui dévore quotidiennement son lot d’innocents. Le premier de ces innocents dévoré est un artisan ébéniste irremplaçable acculé à la faillite et au suicide et que Georges ne parvient pas à sauver malgré sa générosité. La princesse délivrée est une jeune moscovite heureusement francophone et dont le sourire nous fait oublier immédiatement tous les crimes de ses compatriotes, mafieux, forcément mafieux.
Malheureusement elle ne sera qu’un répit dans les persécutions subies par Saint Georges Pierret combattant le mal et l’hydre capitaliste comme on disait quelquefois au 20e siècle pour désigner ce dragon mangeur d’enfants. Les bons sont aussi les ouvriers, les techniciens, les syndicalistes et les cadres qui aiment leur métier, leur travail, leur entreprise et qui voudraient pouvoir aimer leur patron autant qu’il les aime. Il y a enfin une jeune et charmante jeune ex-pharmacienne reconvertie en menuisier de talent par amour pour le travail manuel.
Luxe et nostalgie
La deuxième chose qui nous laisse aussi incrédules qu’embarrassés vient de ce que le film dit implicitement sur la crise et sur la question industrielle. Le propos sous-jacent à l’intrigue est entièrement construit sur la nostalgie. Nostalgie d’un monde fait de beaux objets (de luxe quant même), de clients fortunés et amoureux des dits beaux objets, d’ouvriers et d’artisans qui vibraient et travaillaient pour l’amour de l’art, pour la beauté de savoirs faire ancestraux et de matériaux nobles. Nostalgie d’une époque où la production s’organisait au sein d’une chaîne stable, amicale autant que professionnelle, chaîne qui ignorait le mot même de restructuration. Nostalgie d’un cadre de vie sauvage et romantique où il est possible de méditer sous la voûte céleste, seul face à la mer. Comme spectateur nous pouvons avoir envie de croire à ce passé, pourtant largement fantasmé. Comme citoyen d’un pays et d’un continent dans lesquels l’actualité pose chaque jour la question du travail et de l’emploi dans la production industrielle, nous ressortons déçus et navrés.
Sous les bons sentiments c’est peut-être notre erreur stratégique qui se cache, l’erreur qui consiste à considérer l’industrie comme un secteur qu’il faudrait préserver et défendre contre les méchants qui ne respectent pas notre histoire et nos savoirs faire (je ne reprends pas leur énumération !). Ces méchants ne sont même pas les agents d’un système dont il faudrait changer les règles, ils sont une part de l’humanité contre laquelle la résistance est vaine. Le film se termine au moment où Saint Georges terrasse et tue un dragon dissimulé sous un client ordinaire. Mais il n’y a plus d’étendard, plus de cheval blanc et plus de princesse à sauver. Georges Pierret, comme Gilbert Bécaud avant lui, avait rêvé de servir de guide à Elena en souvenir du moment « où elle marchait devant lui, sur la place Rouge qui était vide, elle qui avait un joli nom, mon guide, Nathalie.. ». Il ne le fera pas. Les rêves sont envolés, les combats perdus.
Dommage, ce nouvel amour semblait inspirer Georges et l’entreprise Pierret. J’aimerais croire avec lui que le développement du capitalisme et de l’esprit d’entreprise ne doivent rien à l’éthique protestante, rien à la main invisible du marché et à la poursuite d’intérêts égoïstes, rien aux innovations technologiques ou scientifiques, mais qu’ils doivent tout à l’amour et au désir d’être aimer. Il est peu probable pourtant qu’ajouter Eros aux bons sentiments suffise à définir une stratégie ni pour ce film, ni pour la navigation de plaisance, ni pour l’industrie en général.
A voir :
– La Mer à boire, film français de Jacques Maillot avec Daniel Auteuil, Maud Wyler, Yann Tregouët, Moussa Maaskri, Carole Franck et Marc Chapiteau. (1 h 38.)
– la bande annonce
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