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Asservissement, vol, omerta. Le lexique des relations donneurs d’ordre/sous-traitants flirte avec l’illégalité. La sous-traitance est une question critique. Les mesures pour assainir les rapports de force ont un impact limité.

 

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« Trente-cinq grands groupes français ont fait de la France un pays de sous-traitance. Ils ont transformé le pays », explique Jean-Louis Gagnaire, vice-président à l’économie et à l’innovation de la région Rhône-Alpes lors d’une conférence à Lyon. En effet, en trente ans, le volume de la sous-traitance a plus que triplé tandis que celui de l’industrie manufacturière n’a « que » doublé.

 

Rhône Alpes est la première région industrielle et sous-traitante de France. Elle concentre 20% de l’emploi national, 13 000 entreprises au savoir-faire de pointe dans la tôlerie, la plasturgie, le décolletage et les nanotechnologies. Le chiffre d’affaire global des entreprises offreuses de sous-traitance en France est de 55 milliards. 12 dans les entreprises de moins de 20 salariés, 43 chez les PME. Cela peut paraître beaucoup, mais en réalité, 2010 sonne le retour au niveau de 1998, à cause de la crise. La rentabilité des produits est plutôt faible, car la valeur ajoutée est captée par les donneurs d’ordres.

 

« Ces grands groupes fonctionnent de manière apatride, dénonce l’élu socialiste citant le médiateur de la sous-traitance. Ils sollicitent pourtant l’aide de l’État et un quart de leur activité réelle est « pour » la France. Les Échos chiffrent à 140 milliards, les fonds de trésorerie non utilisés. Il charge : c’est un « système cynique », qui « travaille à l’encontre de l’intérêt général et de nos territoires ».

 

Agir sans légiférer
La loi relative à la sous-traitance date de 1975. La commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC) signale de nombreuses pratiques abusives.

 

La loi d’août 2008 de modernisation de l’économie a raccourci les délais de paiement et les impayés (3 à 5% des factures). Pour l’économiste Daniel Coué, la solution est aussi dans le Code civil et la définition de la « vente parfaite ». Pour le moment, la vente est parfaite quand deux entreprises se sont entendues sur le prix, le produit, le délai de livraison. « Il suffirait de changer l’article 1583 du code civil et de préciser que la vente est parfaite quand la livraison est payée, comme c’est le cas en Allemagne et au Royaume-Uni ».

 

En décembre 2010, le médiateur des relations interindustrielles et de la sous-traitance, M. Jean-Claude Volot avait rompu « l’omerta » : « Les grand groupes pillent les PME. Ils récupèrent à leur profit la plus grande partie de la marge et empêchent ainsi les entreprises intermédiaires de se développer. Chaque jour, il y a des milliers d’actes illégaux ». Il en concluait qu’il n’était pas nécessaire de légiférer contre trente six mauvaises pratiques, si les lois existantes étaient appliquées. Entre autres, des appels d’offres avec des prix et des conditions irréalisables, des contrats commerciaux léonins, du rapatriement brutal d’activité sous-traitée, de l’exploitation de brevet et de savoir-faire sans l’accord du sous-traitant ou encore de baisses de prix imposées unilatéralement sur des programmes pluriannuels.

 

En un an, plus de 200 dossiers ont été traités, 12 944 entreprises concernées. Seules 143 d’entre elles se sont lancées dans une procédure de médiation individuelle ; les autres ont opté pour une démarche collective. Le taux de succès de la médiation est estimé à 85%. Les principaux motifs de saisine concernaient : le désengagement brutal d’une des parties, le non respect des contrats tacites, l’existence de contrats commerciaux léonins, les délais de paiement, etc.

 

Depuis juillet 2011, une proposition de loi de modernisation de la sous-traitance sommeille au Parlement. Certains sont partisans d’introduire dans le droit une législation spécifique à la sous-traitance sur le modèle italien, c’est-à-dire de créer une loi-cadre fixant les grandes orientations dans ce domaine, tels que l’obligation d’établir un contrat écrit, la présomption d’acceptation des sous-traitants connue du donneur d’ordres, le respect des droits de propriété intellectuelle ou encore l’interdiction de clauses répertoriées comme abusives.

 

Enfin en novembre 2011, le CESE a préconisé la co-traitance et loue la co-responsabilité, les groupements d’employeurs, le développement d’un dialogue social dynamique, dans certains cas en créant des CHSCT sur site, pour gérer l’intervention commune en entreprise.

La méthode douce
Les outils de soft law se sont développés. Entre autres : les accords-cadres internationaux signés entre les grands groupes mondiaux et les fédérations syndicales européennes ou internationales, les conventions de l’OIT et la norme Iso 26 000, qui impactent surtout la sous-traitance Nord-Sud, ou encore la RSE.

 

Depuis 2010, 21 des 35 grands groupes ont signé la charte des relations entre grands donneurs d’ordres et PME, qui a été rédigée par le médiateur avec une association d’acheteurs : la compagnie des Dirigeants et Acheteurs de France (CDAF). Lorsqu’elle a lancé sa charte, seule une entreprise du CAC 40 disposait de conditions générales d’achats (CGA) totalement conformes à la loi.

 

La procédure de médiation résulte aussi des états généraux de l’industrie. Le Médiateur National de la Sous-Traitance règle les différends pour une solution amiable, sans avoir recours au contentieux juridique,. Le bilan est très positif pour la seconde année. Les deux cents dossiers traités en 2011 concernent 12 944 entreprises et le taux de succès est estimé à 80% ! En effet, le plus souvent la médiation est collective (la procédure est alors anonyme) et règle plusieurs demandes convergentes de sous-traitants. Dans le cas, d’une demande individuelle, le dossier est traité au niveau régional et le nom du sous-traitant est divulgué au donneur d’ordre.

 

25 médiateurs régionaux suivent les dossiers. Ils sont issus des DIRECCTE (Directions Régionales des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi). Ils incitent les syndicats interprofessionnels à formuler les demandes de médiation, quand des problèmes sont récurrents. « Au lancement de la médiation en 2010, la plupart des médiations résultaient de ruptures brutales des relations contractuelles, expliquait Jean-Paul Guernier, médiateur en Rhône-Alpes lors d’une conférence à Lyon le 23 novembre dernier. Aujourd’hui, ce sont les problèmes de non répercussion de hausse des matières premières sur les prix d’achat qui dominent les demandes de médiation. Sur les prix de matières, par exemple, la chimie était concernée et toute la branche s’est regroupée. Idem dans le BTP ». En un an, les quatre médiateurs de la région Rhône-Alpes ont traité 40 dossiers. Pour le moment, la médiation s’effectue sur des litiges d’ordre commerciaux et économiques et non sociaux.

 

Les ressources territoriales vont augmenter afin de « préserver les écosystèmes », affirme Christiane Puthod, vice-présidente du Conseil régional. L’institution contribue en effet à mettre en place neuf comités stratégiques de filières auxquels participeront les syndicats. Côté donneurs d’ordres, ils seront chargés de responsabiliser les leaders de filières. Côté sous-traitants, ils aideront sur les questions de ressources humaines, de performance et d’ingénierie financière.

 

Pour ASTREES, qui travaille sur la dimension sociale de la sous-traitance, la médiation doit s’élargir au social, car les conditions de travail se dégradent. Selon l’enquête DARES, les salaires sont plus faibles chez les sous-traitants que chez les donneurs d’ordres. Le travail est plus prescrit et les contraintes horaires sont plus fortes. Les risques psycho-sociaux sont plus élevés, le taux d’accident du travail supérieur. Mais pour élargir les compétences vers le social, « il faudrait d’autres médiateurs » estime M. Guernier.

 

À voir, à lire :

Le site du Médiateur, Jean-Claude VOLOT

Lire la charte

 

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