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L’Angleterre transforme son système public de santé : le National Health Service (NHS). Depuis l’annonce de la réforme en juillet 2010 règnent incertitude et inquiétude.

 

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« Nous sommes en transition. Le nouveau système qui va gérer le NHS existera légalement à partir d’avril 2013 seulement, mais beaucoup de choses ont déjà été détruites » explique David Turner, vice-greffier de commission parlementaire de la santé à la chambre des communes. Il aura fallu près d’un an au gouvernement de coalition (conservateurs et libéraux-démocrates) et aux deux chambres (communes et lords) pour définir le nouveau cadre législatif. Il sera ensuite décliné par des décrets d’application sur lesquels le contrôle parlementaire sera minimal… La loi est donc passée, mais ses détracteurs sont toujours en alerte, car le « diable est dans les détails ».

 

La restructuration concerne directement 1,3 millions d’employés (L’Ecosse, l’Irlande du Nord et le pays de Galles ayant leur propre système). Deux dispositions sont cependant immuables : le système reste entièrement financé par l’impôt, toutes les consultations sont gratuites sauf pour les soins dentaires et d’ophtalmologie. Pour le moment, le secteur privé est très restreint, il dispense 10% à 15% des soins, surtout pour les personnes dont les entreprises payent une assurance privée. La privatisation devrait plutôt être le fait de groupes privés qui décrochent des contrats de services publics pour des prestations de santé.

 

Cure d’austérité

Clare Gerada est médecin généraliste et présidente du conseil régulatoire des médecins généralistes, le Royal College of General Practionners, fort de 44 000 membres qui s’est farouchement opposé à la réforme. Pour elle, le gouvernement a « démoli la maison, par deux processus simultanés : cette réforme désastreuse et la cure d’austérité. Tous les salaires sont gelés. Les retraites on baissé. Beaucoup de gens se sont retrouvés au chômage. Dans ma pratique au quotidien, je perds mes traducteurs, le psychologue, mon diététicien. Et vous avez même des médecins qui ferment leur cabinet médical ».

 

« C’est la fin d’un âge d’or »  explique laconique David Lloyd, greffier de commission parlementaire de la santé, en référence à la période, où Tony Blair avait augmenté les dépenses de santé pour qu’elles atteignent la moyenne européenne. Le budget annuel de 100 milliards devrait cependant rester stable voire augmenter légèrement d’1%. Mais, pour faire face à la progression des dépenses de santé, le ministère de la santé a imposé des économies de fonctionnement de 5 milliards par an d’ici 2015. « Si on tient compte de l’inflation (autour de 3%), c’est une proportion d’économie jamais égalée » ajoute David Turner.

 

Compte-tenu du vieillissement, les dépenses de médicaments vont aussi augmenter de 600 millions par an selon les estimations du ministère de la santé. Pour le moment, le prix du médicament reste le même pour le patient : 7£ par produit quand il est prescrit sur ordonnance.

 

Une réforme idéologique

Officiellement, la réforme est bâtie autour des patients, menées par des professionnels et l’objectif principal est d’ajuster au mieux l’offre de soin à la demande. Le gouvernement met en avant les principes d’autonomie et de choix du patient.

 

Le ministre a le devoir de promouvoir un système de santé universel, mais n’a plus le pouvoir de le créer. Le lien hiérarchique entre le NHS et le ministère de la santé n’existera plus sous prétexte de rendre « le NHS indépendant de toute considération politique et pour éviter les conflits d’intérêts » explique David Lloyd. Le ministre de la santé reste cependant « le gestionnaire ultime ». C’est à dire qu’il garde « la responsabilité politique » du NHS, disposition qui a été introduite après de vifs débats, car le ministère de la santé y était opposé.

 

Le principe de la liberté de choix du patient n’est pas passé, il est à peine flexibilisé. Les Anglais consulteront donc toujours un médecin généraliste de leur quartier. Clare Gerada s’en réjouit. « Dans mon cabinet du centre de Londres, je suis payée 90£ par patient, que je le voie une fois ou cent fois et quelles que soient ses pathologies ». Cette femme énergique se targue d’avoir « autant des SDF et des personnes qui soufrent d’addictions, que des Lords et des Ladies. Il ne faut pas que cela change et qu’il y ait une ségrégation ».

 

Ce qui pose problème, c’est moins le libre choix que « l’accès au spécialiste » pour Adrian Whyatt, qui souffre d’une forme légère d’autisme et dirige un groupe de défense des droits civiques de personnes autistes (LARM). « Les généralistes ne sont pas formés pour repérer l’autisme. Et quand un enfant a des problèmes de dislexie, ou même d’attention, il n’est pas diagnostiqué assez vite. Il faut absolument améliorer cela ». Un barrage que dénonce souvent les Britanniques.

 

 

Autour du médecin généraliste

David Babbs, fondateur de l’association 38 Degrees dénonce « la rhétorique de ces réformes », qui prétend « donner du pouvoir au médecin généraliste ». Au Ministère de la santé, Jonathan Walden explique en effet que « les généralistes connaissent le mieux les besoins de leur secteur ». L’ancien NHS était relayé au niveau local par 152 PCT (Primary Care Trust), qui achetaient les soins à des prestataires de soins. Ils disparaissent pour laisser la place à 212 groupes d’attribution clinique (Clinical commissioning groups-CCG), composés majoritairement de médecins généralistes. Les généralistes disposeront d’un budget total de 60 milliards avec lequel ils géreront leurs prestataires de soins.

 

Un autre argument est de réduire les coûts administratifs. Les CCG seront sous la houlette d’un conseil national des CCG qui remplace la Strategic health authority. Le ministère de la santé chiffre l’économie à 4,5 milliards sur 5 ans. Mais, il n’a pas chiffré le coût des structures de remplacement ! Le personnel administratif des anciens PCT a dû se reconvertir ou exercer en indépendant, car les fonctions de managers, de juriste et de comptable des CCG seront à présent sous-traités à des consultants privés. Souvent les anciens employés que le NHS a licencié ! Ou bien « des consultants de Mc Kinsey ou des auditeurs KPMG, qui ont œuvré pour la réforme » affirme Guy Collis du syndicat UNISON.

 

Paradoxalement, les généralistes sont majoritairement opposés à la réforme. Clare Gerada redoute que le patient perde confiance en son généraliste. « Quand un médecin doit prendre une décision clinique en face d’un patient, il ne doit pas penser au budget dont il dispose ». Ce sera pire, s’il sait que son médecin a une prime sur ses résultats, notamment s’il empêche son patient d’aller voir un spécialiste à l’hopital. Enfin, comme les généralistes proposeront des prestations privées, ils s’auto-attribueront les contrats ou les donneront à des prestataires qu’ils connaissent. « Il y aura nécessairement des conflits d’intérêt et des procès en cascades » prédit-elle.

 

Pour éviter cette hégémonie médicale, les autres praticiens veulent aussi avoir leur mot à dire au sein des CCG. Les médecins hospitaliers (plutôt favorables à la réforme) et les infirmières (plutôt contre) ne sont pas sûrs d’avoir une place et un droit de vote dans cette nouvelle instance. Les associations de patients aussi cherchent à y entrer et veulent « obtenir la moitié des places et être rémunérés », selon Adrian Whyatt du groupe issu de la société civile « National Voices ».

 

Montée des acteurs privés

« Malgré le processus de consultation, le gouvernement n’a pas tenu compte de nos demandes. Ils se sont contentés de remplacer le mot concurrence par le mot choix » ajoute Clare Gerada en désignant le texte de loi : un pavé de 365 pages recto-verso. En tant que médecin généraliste, j’ai le droit d’avoir 10% de mes revenus avec une patientèle privée ». Ce taux grimpe à 49% au sein l’hopital public. « Les médecins généralistes ont tout intérêt à intégrer l’hopital public et à aller chercher des patients dans les Emirats » ajoute-t-elle.

 

Dans le livre blanc, le système de formation et les services de sang et de greffe devaient être privatisés. Ce qui a provoqué une bronca. De plus, les Libéraux-démocrates ont menacé de quitter la coalition si le rôle du Monitor, le régulateur du système de santé n’était pas modifié. Les conservateurs voulait qu’il « supervise la concurrence », le Monitor devra « promouvoir la santé des patients et assurer la continuité de certains services, comme les urgences ».

 

Tous les acteurs de la réforme anticipent une montée en puissance des prestataires privés sur des services « rentables ». Ils craignent que le NHS hérite de tous les services les plus compliqués et les plus chers. Le ministère de la santé avance comme garde-fou que les soins auront un prix déterminé au niveau national. Le prix sera fixe. « Ça permet d’irriger le secteur privé et la concurrence se fait sur la qualité, explique Jonathan Walden. Avant la réforme, le prix du public était majoré de 11% ».  

 

Mais David Babbs dont le lobby 38 Degrees compte un million de membres, met en garde. « Le privé pourra casser les prix pour les opérations courantes. Nos avocats spécialistes du droit de la concurrence, nous ont assuré que ce n’est pas possible de fixer des prix. Un marché est géré par les forces du marché ». Jonathan Walden botte en touche et assure que le droit de la concurrence « n’est pas un argument valable ». David Babbs développe. « Les CCG vont devoir se soumettre aux règles européenes de la concurrence. Les groupes médicaux privés et les multinationales ont les ressources juridiques nécessaires pour poursuivre les CCG si on ne leur confie pas de contrats. Les CCG ne peuvent pas se le permettre ».

 

Le mouvement de « privatisation » paraît néanmoins lancé. Virgin Care de Richard Branson vient de prendre en gérance un hôpital à Surrey, le groupe allemand Helios prospecte les hopitaux londoniens. Et les généralistes appelés à intégrer les CCG reçoivent des formations de la part de Unified Healthcare, géant médical américain, ou encore de Capita, entreprise britannique de conseil en santé et bien-être.

 

Howard Catton du Royal College of Nursing qui compte 400 000 infirmières du public et du privé, ne veut pas avoir de position idéologique. « L’hôpital d’Hinchingbrook est le premier à être privatisé. Pendant 10 ans le groupe privé Circle va gérer l’établissement qui a toujours été déficitaire. Ils doivent faire 70 millions de bénéfices pour satisfaire leurs actionnaires. J’attends de voir comment ils vont procéder et je veux avoir la preuve qu’ils fournissent des services de qualités. Si ça se passe mal, il ne faudra pas qu’on renouvelle l’expérience ».

 


Ces entretiens ont eu lieu les 24 et 25 mai 2012, lors d’un voyage de presse organisé à Londres par l’AJIS (l’association des journalistes de l’information sociale) 

 

NHS

– National Voices

Royal College of Nursing

– Royal College of General Practitioners

– UNISON

38 degrees

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