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En 2050, neuf Européens sur dix vivront en ville. Ils étaient sept en 2010. Développement économique, attractivité, saturation, paupérisation ou encore vieillissement. Une carte vaut parfois mieux qu’un long discours pour imaginer l’Europe de demain.

 

Des géographes et économistes européens proposent une prospective étonnante sur les phénomènes métropolitains en Europe dans le cadre du programme européen ESPON. En attendant la mouture complète « sur l’avenir territorial de l’Europe en 2050 » d’ici 2014, cela vaut la peine de s’attarder sur le rapport d’étape d’ET2050, publié le 19 novembre dernier et surtout de revenir sur le tout premier rapport ESPON 3.2 scenario pour 2030, publié en mai 2007. Après la grande récession, dans une Europe vieillissante, l’ossature urbaine se transforme.

 

« Les structures spatiales et les évolutions économiques et sociales sont intimement liées » expliquent Andreu Ulied et Oriol Biosca de l’équipe de coordination ESPON. En 2050, le taux d’activité augmentera faiblement, la main d’œuvre sera moins nombreuse, l’économie européenne plus dépendante des services, du tourisme, et la réindustrialisation se limitera aux zones industrielles traditionnelles. Les différences vont se creuser entre régions plus ou moins développées. Les pouvoirs d’achat et la consommation baisseront. Les sociétés seront plus sensibles à l’environnement et utiliseront davantage les technologies (énergie, ville intelligente). Voilà pour les traits communs sauf si le budget européen augmente, si l’Union se fédéralise, ou si elle éclate.

 

Polis

Pour se projeter en 2050, les chercheurs ont choisi trois hypothèses de travail. La première envisage une dynamique territoriale liée à la compétitivité dans une Europe mondialisée. Elle créerait une « Europe des flux » entre 76 métropoles. Ces « Metapolis » dynamisent le territoire. Des réseaux d’information et de communication connectent les individus et les activités. Les politiques publiques s’attachent à investir dans les infrastructures de transport et la R&D.

 

Dans le second scénario, des politiques de cohésion renforcerait un schéma territorial autour de « villes créatives », dites « Metropolis ». 261 villes grandes et moyennes deviendraient des centres économiques d’excellence et d’entrepreunariat. La concentration d’activités à haute valeur ajoutée ne conduirait pas pour autant à un déclin rural. Les politiques publiques consisteraient dans ce cas à promouvoir de la cohésion, mais aussi le transport et la R&D.

 

Enfin, un troisième scénario privilégie des efforts écologiques et de développement local plus intense dans un projet de « régions équilibrées ». Les « Ecopolis », des villes petites et moyennes émailleraient des régions intégrées. La migration  de personnes qualifiées fuyant les grandes villes accélereraient le localisme. Les grandes villes se déconcentreraient avec des périphéries plus productives. Les politiques organiseraient la mise en place d’un système urbain polycentrique à l’échelon régional.

 

Ces trois scénarios de référence contribueront « à définir un espace de dialogue européen autour d’une vision territoriale pour 2050, pour que les politiques prennent si possible le meilleurs de chaque scénario, en observant les indicateurs et les alternatives, et en allant au-delà des stéréotypes » ajoutent les deux coordinateurs.

 

Métropolisation contre polycentrisme

En attendant 2014, cela vaut la peine de revenir sur le rapport de 2007, qui présentait trois scénarios pour 2030. Un scénario tendanciel, un scénario orienté vers la compétitivité, et un autre vers la cohésion. Selon Roland Rizoulières, économiste et maître de conférence à l’IEP d’Aix-en-Provence, le scénario du pire se met en place. « La crise a causé des difficultés budgétaires dans tous les Etats, il paraît difficile que le scénario de la cohésion puisse se concrétiser. Celui de la compétitivité se met en place alors qu’il est le moins enviable, parce qu’il ne résorbe pas les déséquilibres fondamentaux qui sont à l’origine de la crise : répartition des revenus, incertitudes bancaires, déséquilibres internationaux, fractionnement et crise de gouvernance européens, crise environnementale ».

 

scenario ESPON

 

La pieuvre noire reliant les métropoles entre elles et leurs proches périphéries est très dense, mais étriquée. « Les métropoles polarisent la richesse jusqu’à l’encombrement et jusqu’à ce qu’elles deviennent invivables, précise l’économiste, qui est aussi urbaniste. On voit bien que les espaces métropolitains ne se connectent pas entre eux aujourd’hui. On risque un éclatement politique de l’Europe ».

 

Le phénomène de métropolisation autour de grande villes s’effectue au détriment d’un polycentrisme structurant. Le « pentagone » entre Londres, Paris, Milan, Munich, Hambourg « se dilue » cependant légèrement. Défini vers la fin des années 90, le pentagone est la region la plus dynamique développée le long des principaux corridors possédant des zones métropolitaines significatives, en direction des Midlands britanniques, des régions méridionales des pays nordiques, de la vallée du Rhône et de la vallée de Danube jusqu’à Budapest. « De nouveaux points de construction de richesse, des hubs intéressants se créent en Europe de l’Est, notamment autour de l’automobile » ajoute-t-il. Toutes les grandes villes européennes ont gagné du terrain Varsovie, Prague et Bucarest surtout, tandis que des villes majeures d’Allemagne dont Francfort et Munich en perdent.

 

Coûts sociaux élevés

En 2007, la prospective comptait sur un budget européen réduit et des dépenses ciblées vers la R&D, la formation, les TIC et l’accessibilité stratégique externe. La PAC serait sujette à une libéralisation rapide et radicale, avec une réduction significative à la fois des aides, des taxes aux importations et des subventions à l’exportation. Le budget des politiques structurelles serait réduit, une partie des anciennes interventions de l’UE étant renationalisées et les soutiens de l’UE étant concentrés sur les zones les plus compétitives des régions moins développées. Quant aux services publics, ils sont davantage libéralisés et privatisés, les marchés du travail quant à eux, font l’objet d’une régulation plus flexible et le troisième pilier des politiques de l’UE (politique étrangère, justice, sécurité etc…) est renforcé.

 

Roland Rizoulières ajoute que « dans certains secteurs, les enjeux à court et à moyen terme sont nombreux : résorption des surcapacités de production, transformation productive pour réduire les émissions de CO2, stratégies de localisation des entreprises, concurrence exacerbée au niveau européen entre sites de production, concentration des investissements directs le long des grands axes de transport et les grandes forces d’agglomération autour des grandes métropoles ».

 

Le rapport égrène également. « Les généreux régimes de retraite sont abandonnés alors que l’espérance de vie dans de nombreux groupes professionnels a continué à s’accroître. Le maintien d’un marché du travail dynamique est l’objectif le plus élevé dans les priorités politiques de l’UE et des gouvernements nationaux. Les restrictions à la libre circulation des travailleurs suivant l’accession de nouveaux pays membres à l’UE ont été supprimées. Avec la crise, de nouveaux risques sociaux se sont ajoutés : chômage de longue durée, ré-allocations de main d’œuvre.

 

 

Enjeu des politiques de cohésion

Andreu Ulied et Oriol Biosca, les experts d’ET2050 se veulent rassurants. Ce scénario est dépassé selon eux, car il misait sur des réformes libérales radicales, une croissance économique forte et un fort besoin de main d’œuvre. Selon eux, les grands déséquilibres commerciaux entre le Nord et le Sud ne résultent pas de politiques en faveur de la compétitivité mais d’autres facteurs : « la récession, le chômage et les dettes publiques sont devenues le principal frein à la compétitivité en Europe ».

 

ESPON espère que cette vision territoriale prospective attirera l’attention des politiques, qui devraient « plus que jamais prêter attention à la diversité territoriale en Europe, insiste les coordinateurs. Partout, il faut trouver l’équilibre entre les activités locales, liées à des avantages locaux et régionaux compétitifs et l’ouverture et l’intégration mondiale, notamment par le biais de coopérations régionales et transfrontalières ». Les politiques seront tenus pour responsables de ces stratégies d’intégration réussie ou non.

 

Lire aussi

– Le site d’ESPON (en anglais),  European Observation Network for Territorial Development and Cohesion

– le rapport d’étape ET2050 du 19 novembre 2012 Interim Report

– Le projet ET2050 : www.et2050.eu/

– Le rapport ESPON 3.2 pour Europe 2030 : 

– Orate est le site miroir en français, mais son contenu est plus réduit.

http://www.observatoire-des-territoires.gouv.fr/observatoire-des-territoires/fr/orateespon

 

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