par Gabriel Colletis
Dans sa tribune du 22 novembre 2012 en faveur de la TVA sociale, Wenceslas Baudrillart explique les raisons pour lesquelles les dépenses de sécurité sociale devraient, à l’avenir, continuer de progresser. L’analyse est détaillée selon les différents régimes. Dépenses de santé, de retraite, politique familiale, dépendance, soutien aux personnes handicapées, autant de composantes qui n’ont aucune raison de voir leur coût diminuer dans les années qui viennent.
Augmenter les recettes constitue donc la seule issue. Ce qui débouche, logiquement, sur la seconde partie de la note centrée sur le « comment » financer l’accroissement inévitable des dépenses.
Cette seconde partie contient des analyses et des propositions contestables, en particulier celle consistant à augmenter la TVA. Il faut en effet rappeler que l’augmentation des recettes est liée à la croissance économique. Qu’il s’agisse du chômage, des déficits publics ou de celui des comptes de la sécurité sociale, la raison première de l’insuffisance des recettes et, par conséquent, des déficits est une croissance beaucoup trop faible de l’activité économique et des revenus.
La première des conditions à remplir afin de déterminer la meilleure source de recettes est que les recettes supplémentaires ne nuisent pas à la « compétitivité ». Or, la compétitivité, n’est pas qu’affaire de coûts et de prix, surtout que les prix peuvent augmenter. Contrairement à ce qu’affirme la thèse dominante, largement reprise par les exégètes du rapport « Gallois », on peut douter que la compétitivité des entreprises françaises soit d’abord ou centralement une affaire de coûts et de prix. Si les entreprises des pays développés ne peuvent évidemment pas se désintéresser de leurs coûts et de l’évolution de leurs prix, elles ne peuvent construire leur avantage comparatif sur ces dimensions en raison de la concurrence des pays dits émergents. Davantage que le prix, c’est l’innovation qui constitue le déterminant majeur de la compétitivité des entreprises des pays développés.
Il ne faut pas non plus écarter la piste des recettes « de poche ». Il faut investir une réflexion sur l’impôt sur le revenu et la CSG, et donc de possibles recettes venant de la fiscalité personnelle,
Dans la tribune de Wencelas Baudrillart, l’augmentation de la TVA apparaît comme le seul recours. Selon lui, les avantages d’une hausse de la TVA sont multiples. Le premier serait que la répercussion d’une variation de la TVA sur les prix n’est jamais totale ni immédiate. Cela est vrai mais on peut se demander si la symétrie est assurée entre hausse et baisse de la TVA. Si la hausse de la TVA est le plus généralement répercutée sans délai et quasi-intégralement, une éventuelle baisse ne produit guère les effets annoncés comme on a pu le voir dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration.
Un deuxième avantage serait la perception « indolore » de la TVA, en d’autres termes son caractère peu visible. Certes… mais une hausse de la TVA n’est pas pour autant « une injustice à relativiser ». La part de la TVA dans l’affectation des ressources d’un ménage dont les revenus sont faibles est supérieure à celle des ménages à revenu élevé. La raison en est que les ménages dont les revenus sont faibles consacrent la quasi-totalité de leurs revenus à des fins de consommation, ce qui est loin d’être le cas des ménages aisés qui parviennent à épargner une part déterminante de leurs revenus. Impôt sur la consommation, la TVA frappe davantage les ménages qui consomment l’essentiel de leurs revenus que ceux qui parviennent à épargner. La TVA est et reste un impôt injuste, payé par la grande masse des consommateurs, en particulier ceux dont les revenus sont les plus faibles dont il est, par ailleurs, erroné ou cynique de penser qu’ils ne s’acquittent que de la seule TVA à taux réduit.
Il est décidément difficile de parvenir à qualifier cette TVA de « sociale ». Mais il est vrai que les programmes de licenciement s’intitulent désormais « plan social » ou « plans de sauvegarde de l’emploi »…
Le gouvernement a récemment décidé d’augmenter la TVA mais le qualificatif de « sociale » n’a pas été employé, la hausse prévue des recettes liées à cette majoration ne devant pas servir à financer la protection sociale, mais à diminuer les cotisations sociales des entreprises. Ceci constitue, comme on le sait, le sens du « crédit d’impôt » de 20 milliards d’euros dont vont bénéficier les entreprises dans le cadre du plan de redressement de leur compétitivité. Ce trend a été pris il y a plus de trente ans, sans résultat probant en matière de compétitivité. Les inégalités de revenus, en revanche, n’ont cessé de s’accroître. La question désormais est celle-ci : à quelle fin diminuer les cotisations sociales des entreprises ? La réponse tient sans doute dans la volonté d’accroître leurs marges. Mais alors une autre question survient : pourquoi augmenter les marges ? La réponse pourrait être améliorer les conditions de financement des investissements. Cependant, force est ici de constater que, depuis dix ans, la part des dividendes dans la valeur ajoutée créée par les entreprises a été multipliée par deux. Faire confiance aux entreprises pour utiliser les recettes générées par la hausse de la TVA afin de mieux financer leurs investissements tient bien du pari.
Enfin, ce n’est pas le « travail » qui supporte actuellement le coût de la politique familiale mais les entreprises puisque ce sont leurs cotisations (et non celles des salariés) qui financent la politique familiale. En revanche, il est tout-à-fait juste de considérer que c’est le travail et lui seul qui crée la valeur, y compris celle que les détenteurs du capital s’approprient au niveau du partage primaire (salaires/profits) puis du partage secondaire de la valeur ajoutée (partage des profits et versement des dividendes).
Gabriel Colletis : Professeur de Sciences économiques, Université de Toulouse 1-Capitole
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