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Comment prévenir la progression des risques psychosociaux et améliorer les conditions de travail ? Il y a tout juste trois ans, le 17 février 2010, Henri Lachmann, Christian Larose et Muriel Pénicaud remettaient leur rapport « Bien-être et efficacité au travail ; 10 propositions pour améliorer la santé psychologique au travail », au premier ministre François Fillon. Celui-ci déclara en réponse : « je veux, au travers de cette mission, poser les bases d’une profonde rénovation de la manière dont les entreprises prennent en compte les risques psychosociaux dans leur politique de prévention ». Qu’en est-il aujourd’hui ?

 

D’emblée, les trois auteurs situaient leur travail dans la filiation de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) : « les dix propositions qui suivent sont le reflet (…) d’une conviction commune, celle que le sujet de la santé au travail réconcilie le social et l’économique. (…) Travail et santé entretiennent une double relation : d’une part, la santé est la condition d’un travail de qualité. D’autre part, le travail, effectué dans des conditions adéquates, est facteur de santé et de réalisation personnelle. »

 

Alors que sévissait ce que l’on appelait à l’époque « la crise des suicides », qui affectait plusieurs grandes entreprises comme France Telecom, cette approche de synchronisation entre qualité des conditions de travail et efficacité économique permettait de retrouver foi dans un progrès partagé. Par ailleurs, après une série de rapports de « techniciens » (Philippe Nasse et Patrick Légeron en mars 2008, William Dab en juillet 2008, Michel Gollac en octobre 2009,…) ce travail tranchait par l’angle choisi par ses auteurs, une démarche de « praticiens », qui ont croisé le regard d’un dirigeant, celui d’un syndicaliste, et celui d’une DRH. Henri Lachmann était président du conseil de surveillance de Schneider Electric. Il était aussi depuis 2006, président du conseil d’administration de l’association Marie Lannelongue, association qui gère le Centre chirurgical du même nom, un établissement de santé privé d’intérêt collectif spécialisé en chirurgie cardiaque. Le syndicaliste Christian Larose était vice-président du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Il avait longtemps dirigé la Fédération THC (textile, habillement, cuir) de la CGT et co-écrit un livre sur les suicides liés au travail avec Michel Debout. Muriel Pénicaud, était directrice générale en charge des ressources humaines de Danone. Elle avait effectué un passage au ministère du Travail en 1992, comme conseiller technique auprès de Martine Aubry.

 

Alors que les rapports qui l’ont précédé étaient principalement destinés aux pouvoirs publics, voire aux partenaires sociaux, celui-ci s’adressait délibérément aux entreprises, en adoptant leur langage et parfois leurs approches (mise à disposition de bonnes pratiques). De fait, j’ai pu constater que ce rapport a eu dans les entreprises, un retentissement particulier. Incontestablement, il a apporté un diagnostic et des propositions très concrètes, qui ont permis à bon nombre d’équipes dirigeantes et de représentants du personnel de poser le débat sur les risques psychosociaux (RPS) de façon plus opérationnelle. Voyons maintenant, trois ans après la remise du rapport, si les réalisations ont été à la hauteur de la qualité de ses préconisations.

Le rapport concentrait ses propositions dans cinq domaines.

 

L’indispensable implication de la direction générale
Les auteurs ont parfaitement saisi l’importance de l’implication de la direction générale et de son conseil d’administration « d’abord pour définir et mettre en œuvre une véritable politique de santé, en repensant notamment les modes de management, d’organisation et de vie au travail ; ensuite pour impliquer l’ensemble des acteurs de l’entreprise ». Le diagnostic était clairement posé et effectivement, on a vu quelques Comités exécutifs ou Comités de direction s’emparer de la problématique.

 

Malheureusement, cet effet a manqué de relais et s’est rapidement émoussé. On en a vu un premier signe dans le rapport de synthèse que la DGT (Direction générale du travail) a publié en avril 2011 sur l’analyse des 234 accords recensés sur la prévention des risques psychosociaux, signés dans les entreprises de plus de 1 000 salariés : « Force est de constater que rares sont les accords qui comportent un engagement précis de la direction ou précisent les modalités de son implication. Peu d’accords attestent dans leur préambule d’une volonté d’implication au niveau le plus haut des organes décisionnels sur la problématique des RPS, dans les étapes de mise en place du processus, de suivi et de prise de décisions opérationnelles ».

Cependant, des avancées ont été obtenues par deux autres moyens.

 

D’abord celui de la RSE. Les trois auteurs posaient l’objectif de « sensibiliser et impliquer le conseil d’administration, soit en rendant compte annuellement de la responsabilité sociale de l’entreprise – incluant la santé des salariés -, soit par la création d’un comité de responsabilité sociale examinant aussi les questions de santé et de sécurité au travail ». La première modalité a vu le jour dans bon nombre d’entreprises, sous l’impulsion du reporting RSE et plus particulièrement du rapport annuel contenant les informations sociales et environnementales prévues par l’article 225 de la loi Grenelle II. Même si les décrets d’application, après une gestation chaotique, ne répondent pas à toutes les attentes, il s’agit là d’un point d’appui pour faire entrer la santé au travail dans les préoccupations des organes dirigeants. La deuxième modalité est encore émergente mais Capitalcom a relevé dans son baromètre RSE 2012 « qu’en matière de gouvernance, 14 entreprises du CAC 40 ont créé un comité dédié aux enjeux RSE au sein de leur conseil d’administration, soit 3 fois plus qu’il y a 5 ans ».

 

Ensuite celui de la gouvernance. L’IFA (Institut français des administrateurs) a mené un important travail sur « Le conseil et l’actif humain de l’entreprise » (publié le 8 juin 2010) sous l’impulsion de son président Daniel Lebègue et d’Anne Debressac, présidente du groupe de travail dédié à cette étude. «Plusieurs personnalités rencontrées ont insisté sur la nécessaire prise en compte du facteur humain, en soulignant que les conseils parlent beaucoup des comptes, un peu des clients et peu des aspects humains, alors que le personnel devrait être un sujet important des conseils » d’administration ou de surveillance, indique le rapport. Le CA (conseil d’administration) doit disposer, selon l’IFA, d’une étude d’impact sur « l’actif humain », pour chaque projet stratégique (nouveaux investissements, nouveaux produits et services, délocalisations, fusions et acquisitions, etc.), « d’autant que la responsabilité sociale de l’entreprise est engagée », ainsi que sa réputation. De plus, « on ne peut imaginer une stratégie d’entreprise réussie sans que le personnel n’y adhère ».

 

Les trois auteurs soulignaient que l’évaluation de la performance des dirigeants doit intégrer le facteur humain, et donc la santé des salariés. Il faut alors « compléter les critères d’attribution de la rémunération variable aux managers dirigeants : la performance économique ne peut être le seul critère d’attribution de la rémunération variable. La performance sociale doit aussi être prise en compte, incluant notamment des indicateurs de santé, de sécurité et de conditions de travail – par exemple le turnover, les accidents du travail, la satisfaction des salariés, la promotion interne ». Ils adoptaient sur ce plan une conception de la performance beaucoup plus large que son acceptation habituelle : la performance doit être globale et durable.

 

C’est sans doute sur ce plan que les progrès sont les plus sensibles. Le 5ème Baromètre annuel sur la RSE dans les entreprises du CAC 40, publié par l’agence Capitalcom en décembre 2012, met en évidence une montée en puissance de la RSE dans la stratégie des entreprises et dans leur gouvernance. Le nombre d’entreprises du CAC 40 qui indexent une part variable de la rémunération de leurs dirigeants ou de leurs cadres sur des critères extra-financiers a ainsi « presque doublé en cinq ans ». Elles sont 21 en 2011. Si cette part représente, en moyenne, 15 % de la rémunération variable des dirigeants pour les groupes du CAC 40, elle peut atteindre un tiers chez certains d’entre eux.

Le rôle primordial des managers
« La santé des salariés est d’abord l’affaire des managers, elle ne s’externalise pas, » affirmaient les trois auteurs. Ils rappelaient ainsi aux dirigeants qu’ils disposent, avec le management intermédiaire, d’un levier essentiel. A condition, bien entendu, que les managers soient motivés, formés et disposent des moyens en temps pour tenir ce rôle d’acteur de santé. Pour bon nombre d’entreprises, cette réflexion a permis d’affiner la place du management : manager n’est pas le devenir naturel du plus qualifié d’une équipe. Cela requiert des talents spécifiques. C’est un métier. Mais peu d’entreprises sont allées jusqu’au bout de la démarche en intégrant la santé au travail dans les descriptifs de postes, dans les critères de promotion, dans les dispositifs de formation continue et en allouant du temps spécifiquement prévu pour l’accompagnement des salariés.

 

Dans certaines entreprises, la crise a même eu un effet extrêmement pervers : du fait du renforcement des contrôles et des reporting, les managers ont été encore plus éloignés de leurs équipes. Cette absorption par le reporting atteint des niveaux alarmants, à tel point que seuls deux managers européens sur dix (21 %) passent plus de la moitié de leur temps à manager les personnes. C’est l’un des constats qui ressortait de l’étude dédiée aux pratiques managériales en Europe réalisée en octobre 2010 auprès de 1 496 managers en France, au Royaume-Uni, en Allemagne et en Espagne par l’Observatoire Cegos. Près des deux tiers (65 %) des managers affirment passer plus de 30 % de leur temps à effectuer des tâches de reporting.

 

L’Observatoire Cegos pointait aussi le fait que 89% des managers sont avant tout évalués sur des performances mesurables quantitativement (chiffre d’affaires généré, rentabilité, nombre d’actions menées…). C’est même le cas pour 91% des managers français. Ainsi, « les éléments plus qualitatifs comme le comportement, la fidélité des équipes ou la conduite de projets transversaux ne semblent pas constituer des critères décisifs dans l’évaluation du travail du manager. Les entreprises insistent pourtant énormément auprès de leurs cadres pour qu’ils assument pleinement leur posture managériale ». Le travail de manager est rarement reconnu en tant que tel.

 

L’un des mérites du rapport « Bien-être et efficacité au travail » a été de remettre le management intermédiaire au centre de la boucle de régulation sociale des entreprises, de rappeler qu’à force de vouloir en faire un contrôleur de gestion et un DRH, on l’a éloigné de son cœur d’activité, l’animation de son équipe. Encore très imprégné par une culture hiérarchique qui ne parvient pas à différencier responsabilité et autorité, le « management à la française » a du mal à s’adapter à un modèle d’entreprise aux structures souples, aux frontières poreuses, qui se reconfigure en permanence au fil des projets transversaux, des équipes virtuelles et des organisations éphémères. En allant plus loin, il resterait à définir les contours de ce que pourrait être un management socialement responsable.

 

Les trois auteurs remarquaient que « les salariés promus managers ne sont souvent ni préparés ni formés à leurs responsabilités de leader d’équipe ». C’est un autre mérite de leur rapport que d’avoir attiré l’attention sur ce facteur. Le rapport de la DGT sur l’analyse des accords sur la prévention des RPS relevait que parmi les programmes d’actions formalisés dans les 45 accords de fond, « les mesures identifiées portent prioritairement sur la formation des personnels d’encadrement (87 %) ». La formation a donc été correctement identifiée par les accords négociés. « Une place importante est donc donnée à la formation de l’encadrement mais les clauses des accords posent plus un principe de formation qu’ils n’en fixent un contenu précis ».

 

Les pouvoirs publics ont poursuivi leur effort pour améliorer l’offre de formation initiale : Grenoble EM et les Arts et Métiers ParisTech ont été retenus par le ministère du Travail comme écoles pilotes dans le cadre du deuxième plan Santé au travail (PST2), pour former les futurs managers aux risques psychosociaux. En matière de formation continue, si la formation au management s’est effectivement développée ces dernières années dans les entreprises, il reste que sa qualité est réputée inégale. Le baromètre annuel de l’Observatoire de la vie au travail (OVAT) montre que plus de la moitié des salariés interrogés jugent insuffisante la qualité du management dans leur entreprise.

 

Les trois auteurs fixaient également l’objectif de « valoriser la performance collective pour rendre les organisations de travail plus motivantes et plus efficientes » car « des indicateurs de performance exclusivement individuels nuisent à l’efficacité collective du travail et au lien social ». Sur ce point encore, les progrès restent à initier. La plupart des entreprises continuent à fonctionner avec des indicateurs et des objectifs essentiellement individuels alors que l’évolution de notre économie et de notre système productif requiert de plus en plus la coopération et les échanges entre les salariés.

 

« On oublie que manager, c’est créer un espace d’autonomie et d’initiative ouvert aux individus. Au lieu de cela, on impose des process par méfiance des personnes, » disait justement Henri Lachmann, au cours d’une session du congrès HR consacrée aux réponses à privilégier face aux risques psychosociaux (1er avril 2010, Paris).

L’impact de la délibération sur le travail
Il n’y a pas de meilleur expert du travail que celui qui le réalise. C’est pourquoi les trois auteurs fixaient l’objectif de « restaurer des espaces de discussion et d’autonomie dans le travail ». En effet, « tout salarié veut être efficace et utile, c’est ce qui donne du sens et de la fierté à son travail. Il est souvent le mieux placé pour identifier les dysfonctionnements et proposer des pistes d’amélioration de l’efficacité ».

 

Cet aspect, pourtant relayé par de nombreux organismes comme l’ANACT (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail) et l’INRS (Institut national de recherche et de sécurité) n’a pas été mis en œuvre, comme si les entreprises étaient effrayées de poser le débat sur les conditions de travail et les conditions du travail au milieu des salariés. D’après la synthèse de la DGT, « l’expression des salariés est rarement mentionnée. Un nombre très faible d’accords organise l’expression des salariés en dépit d’un engagement fort de l’accord national interprofessionnel (ANI) sur le stress au travail : ‘donner à tous les acteurs de l’entreprise des possibilités d’échanger à propos de leur travail’. » C’est véritablement une opportunité perdue car « en participant à l’élaboration du diagnostic (questionnaire, entretien, groupe de discussion, etc.), chaque salarié est susceptible de participer individuellement à un processus collectif et pourra ainsi exprimer son rapport au travail ». « Ce faisant on touche au partage du sens du travail, à la place du collectif, à l’organisation du travail et à la ligne managériale. Très peu d’accords explorent cette piste sous toutes ces dimensions », notait la DGT.

 

Quelques semaines après la publication du rapport « Bien-être et efficacité au travail », l’ANACT insistait pourtant sur la même préconisation : « Dans un contexte où les difficultés concrètes rencontrées dans l’activité sont de moins en moins dites ou entendues, des espaces permettant l’expression des salariés sur leur propre travail doivent être recherchés. » (« Risques psychosociaux : repères pour la négociation d’un accord », ANACT, mars 2010). Il faut donc restaurer des espaces de discussion, d’autonomie et d’initiative dans le travail, généraliser les espaces d’échanges sur les pratiques professionnelles, étendre les marges d’autonomie dans l’organisation, y compris dans l’application des process et dans les métiers les plus répétitifs et contraints.

Le levier du dialogue social
« Le dialogue social, dans l’entreprise et en dehors, est une priorité, » relevaient les trois auteurs, qui fixaient l’objectif « d’impliquer les partenaires sociaux dans la construction des conditions de santé ». Les principaux leviers préconisés étaient au nombre de deux.

L’accord national interprofessionnel (ANI) du 2 juillet 2008 sur le stress professionnel incitait les entreprises à négocier un accord. On se souvient que Xavier Darcos, alors ministre du Travail, avait lancé un « plan d’urgence » en octobre 2009, en demandant aux 1 300 entreprises de plus de 1 000 salariés d’engager des négociations sur ce thème avant le 1er février 2010. A cette échéance, qui correspondait à la date de publication du rapport des trois auteurs, seules 500 entreprises satisfaisaient à cette obligation. A fin novembre 2010, un relevé effectué par la DGT montrait que ces négociations avaient donné lieu à 230 accords (dont 70 % d’accords de méthode…) et 200 plans d’action, ce qui montrait un essoufflement de la démarche. En avril 2011, 600 accords ou plans d’action avaient été engagés par les grandes entreprises dans le cadre du Plan d’urgence sur la prévention du stress. C’est un réel progrès et il serait souhaitable que le suivi soit poursuivi. En effet le dernier bilan annuel de la DGT (« Bilan de la négociation collective en 2011 », DARES, juin 2012) se borne à mentionner que « en 2011, la question des conditions de travail a été essentiellement abordée sous l’angle de la négociation sur les risques psychosociaux (RPS) et sous celui de la pénibilité au travail ». Mais elle ne mentionne le sujet des RPS qu’au niveau des branches, sans l’évoquer dans la négociation d’entreprise. Elle ne réactualise pas son analyse présentée en avril 2011 sur les accords sur les risques psychosociaux dans les entreprises de plus de 1 000 salariés.

 

Le second levier utilisé était le renforcement des CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) : « les dispositions du Code du travail relatives au CHSCT pourraient être modifiées afin de renforcer la formation de ses membres sur les sujets de santé psychologique, donner une nouvelle légitimité au CHSCT par l’élection directe de ses membres et une présidence plus fréquente des réunions à un niveau décisionnel dans l’entreprise, relever le seuil des heures de délégation ». Les partenaires sociaux ont ouvert des discussions sur une réforme des instances représentatives du personnel, après un long état des lieux débuté en 2009. Ces négociations, qui abordaient le rôle et les moyens des CHSCT n’ont pu se conclure compte tenu du calendrier chargé des négociations interprofessionnelles. Ainsi, les recommandations des trois auteurs sur les CHSCT n’ont pas à ce jour, trouvé de concrétisation.

L’intégration dans la conduite du changement
« Tout projet de réorganisation ou de restructuration doit mesurer l’impact et la faisabilité humaine du changement, » préconisaient les trois auteurs. C’est effectivement indispensable. Comment justifier que les projets de transformation comportent systématiquement un volet « Formation », un volet « Communication », mais restent muet sur la santé au travail Or, si l’on considère l’exemple des restructurations, le rapport HIRES (Health in restructuring), réalisé par 13 chercheurs européens et présenté en avril 2009, avait montré que les salariés d’une entreprise en restructuration voient leur santé se dégrader, aussi bien sur le plan physique que psychologique. Le plan d’urgence pour la prévention du stress au travail (9 octobre 2009) faisait d’ailleurs obligation aux entreprises engagées dans un processus de restructuration de prendre en compte la prévention des risques psychosociaux, sous contrôle de la DIRECCTE. C’est ainsi « qu’en cas de plan social, les actions viseront non seulement les salariés dont le contrat de travail est rompu mais aussi ceux dont le contrat est maintenu » (Ministère du travail, DGT, « Conditions de travail – Bilan 2009 », juillet 2010).

 

Quelques entreprises ont montré la voie. Le rapport de la DGT sur l’analyse des accords sur la prévention des RPS l’a noté : « L’accompagnement des changements est identifié dans 46 % des accords de fond. Certains partenaires sociaux se sont saisis de l’opportunité de travailler sur l’anticipation des changements et l’étude de leur impact. Ils ont alors mis en place une approche qui se décline en trois étapes décisives : en amont de la décision (évaluation a priori de l’impact du changement avec l’implication des membres de la ligne hiérarchique concernée), pendant le changement (préparation et déploiement de dispositifs d’accompagnement) et après sa mise en place (évaluation a posteriori à partir de l’analyse des ressentis exprimés par les salariés en vue de procéder aux ajustements nécessaires). »

 

La démarche existe ; elle fonctionne. On peut regretter qu’elle soit demeurée très confidentielle dans les réalisations effectives. D’autres pays sont allés beaucoup plus loin, comme la Norvège, qui dès 2006, a intégré dans le code du travail l’exigence d’une mesure par les entreprises des impacts des changements sur la santé physique et psychologique.

 

Par ailleurs, lorsqu’elle existe en France, cette approche ne saisit que très rarement l’opportunité d’associer les managers de proximité et les représentants du personnel dans sa définition. Plus largement, les approches de conduite du changement doivent se renouveler. Elles doivent intégrer le fait que les dégâts en matière de santé au travail ne proviennent pas, en général, du changement lui-même mais des pratiques managériales qui prétendent trop souvent déployer le changement sans impliquer les salariés concernés.

En conclusion…

En tant que collectif de travail, l’entreprise est menacée par la violence de la crise, l’érosion des contre-pouvoirs et l’approfondissement des lignes de fracture qui la traversent. Un signe qui ne trompe pas : à peine 21% des salariés estiment que « l’intérêt des entreprises et celui des salariés vont dans le même sens » (enquête Sociovision pour Entreprise & Personnel, publiée en janvier 2011). Travailler sur le bien-être et la qualité de vie au travail permet d’abord de lancer un signal clair : oui, l’entreprise se soucie de la santé des salariés qui y travaillent. Ce signal d’attention peut ensuite s’incarner dans un projet fédérateur, mobilisateur pour les partenaires sociaux, le management intermédiaire et l’ensemble des salariés.

 

L’efficacité économique et la compétitivité des entreprises s’appuient de plus en plus sur des capacités mentales et cognitives des collaborateurs. La créativité, les compétences relationnelles et émotionnelles, le rapport au travail, l’autonomie et les échanges de savoirs sont désormais les facteurs clés de l’efficience individuelle et collective. Ces facteurs sont intimement liés au bien-être psychologique des individus.

 

Malgré les indéniables progrès, beaucoup reste à faire. Il est temps de (re)lire le rapport « Bien-être et efficacité au travail »… et de lui donner vie.

 

 

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J’aime le débat, la délibération informée, folâtrer sur « la toile », lire et apprécier la vie.

J’ai effectué la plus grande partie de mon parcours professionnel dans le Conseil et le marketing de solutions de haute technologie en France et aux États-Unis. J’ai notamment été directeur du marketing d’Oracle Europe et Vice-Président Europe de BroadVision. J’ai rejoint le Groupe Alpha en 2003 et j’ai intégré son Comité Exécutif tout en assumant la direction générale de sa filiale la plus importante (600 consultants) de 2007 à 2011. Depuis 2012, j’exerce mes activités de conseil dans le domaine de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) au sein du cabinet que j’ai créé, Management & RSE. Je suis aussi administrateur du think tank Terra Nova dont j’anime le pôle Entreprise, Travail & Emploi. Je fais partie du corps enseignant du Master Ressources Humaines & Responsabilité Sociale de l’Entreprise de l’IAE de Paris, au sein de l’Université Paris 1 Sorbonne et je dirige l'Executive Master Trajectoires Dirigeants de Sciences Po Paris.