par Nadya Charvet
Pastichant une célèbre collection de guides, la fusion pour les nuls aura marqué de son empreinte l’histoire de la fusion ANPE-Assedic. Pour ceux qui l’ignoreraient encore, ce petit blog indépendant et interactif, né en juillet 2008 sous la plume de deux agents restés prudemment anonymes, est devenu en l’espace de quelques mois, puis quelques années, un lieu d’expression et d’échanges hors du commun, doublé d’un remarquable support d’informations.
Avec 50 000 visiteurs/mois en moyenne, il restera dans les annales comme une expérience de démocratie interne unique en son genre. Le 21 décembre dernier, il annonçait sa fermeture en ces termes : «Quand nous avons lancé le blog, nous n’imaginions pas que cette aventure durerait aussi longtemps, et avec un tel succès. Même si la fusion est très loin d’être terminée, Pôle Emploi est aujourd’hui stabilisé. Il est temps pour nous de tourner la page». Au bout de 4 ans et demi de veille quotidienne, 2000 articles publiés, plus de 2 millions de visites enregistrées, les deux comparses et amis à l’initiative de la fusion pour les nuls, connus sous les pseudonymes humoristiques de Noèle Obhalkon (elle ex-ANPE) et Paco Thyzon (lui ex-Assédic) ont tiré leur révérence. Combien d’initiatives de ce type se sont soldées par des échecs, des poursuites judiciaires, voire des licenciements? Combien d’espaces d’expression des salariés sont morts de débordements ou d’outrages, de fausses informations ou de commérages? Eux ont résisté à toutes les tempêtes internes et externes. Leur expérience inspirera les sociologues et autres historiens du travail. Pour sûr.
Anonymes et non partisans.
Lorsqu’ils créent leur blog en juillet 2008, Noèle et Paco, appelons-les comme ils signaient communément leurs articles, se présentent comme des collègues qui ont envie d’échanger leurs pratiques, de se comprendre, de comparer leurs droits sociaux, de confronter leurs cultures professionnelles. Ils précisent dans leur texte initiateur qu’ « un des principes fondateurs du site sera de ne pas opposer les différentes catégories de personnel entre elles: ex-assurance chômage, ex-anpe, ex-afpa et nouveaux recrutés depuis la création de Pôle emploi». Ils vont faire de ce blog un lieu-ressources pour permettre de consulter en ligne des documents épars qu’il est parfois difficile de se procurer, suivre tout ce qui se dit à l’extérieur à propos de Pôle emploi, et reproduire les articles, études, rapports les plus significatifs. Ils affirment d’emblée ne pas viser à « concurrencer l’intranet institutionnel, ni les sites des organisations syndicales, mais à suivre pas à pas les avancées des différentes négociations, en fournissant l’intégralité des textes en discussion ». Ils feront de la fusion un site non partisan qui défendra des valeurs d’humanisme et de solidarité. «N otre ambition est que chacun se fasse son propre point de vue à partir d’informations fiables, d’arguments étayés, et d’échanges (parfois passionnés) entre collègues ».
Cette ligne de conduire doublée d’une stricte confidentialité des auteurs et contributeurs fera le succès de la formule. Une bonne dose d’humour et de dérision, beaucoup de rigueur sur le choix des sources éditoriales, un grand respect pour toutes les catégories de lecteurs, il n’en faudra pas plus pour attirer la sympathie d’une grande partie du personnel. « De très nombreux agents, voire des cadres de Pôle emploi, se sont fait un plaisir de nous envoyer des informations exclusives ».
En quelques clics, la fusionpourlesnuls devient le blog le mieux informé des dessous de la fusion: négociations sur la convention collective, contrôle de l’authenticité des papiers d’identité des chômeurs, projet de réduction de surfaces des agences… il relaie tous les débats, publie des centaines de documents internes, sort des dizaines d’informations inédites. Les statistiques d’audience montrent que le pouls du site bat au rythme de Pôle emploi. Il devient un indicateur très fidèle de l’état d’esprit du personnel.
Les messages d’adieu qu’il a reçu depuis trois mois en disent long sur la relation qui s’était nouée entre cette caisse de résonance maison et ses lecteurs. La plupart regrettent cette source d’information « la plus fiable notamment sur les projets, les négociations et notre contexte de travail ». D’autres un « relais de ce qui se passait dans d’autres régions, les mouvements, les grèves, les batailles individuelles…dont nous n’aurions pas eu connaissance autrement ». L’attachement était réel, comme le montre ce message enflammé en forme d’hommage : « La fusion c’était la bouteille d’oxygène, le petit café du matin bien chaud, la première gorgée de bière ! Vous pouvez être fiers. Bon nombre de journalistes pourraient prendre chez vous des leçons d’humilité, d’indépendance, d’ouverture d’esprit et d’humour ! Malgré les censures (plus de consultations possibles sur les postes de travail), vous avez tenu bon. Vous nous manquerez ».
Une anecdote en dit long sur la fiabilité du blog. Mi 2011, Christian Charpy, directeur général sortant de Pôle emploi, publie un livre sur ses trois années passées à la tête de l’institution. Lafusionpourlesnuls.com est la première à l’annoncer, écopant d’un démenti cinglant de l’intéressé. Les médias y perdent leur latin. André Landré, journaliste du Figaro, publiera un peu plus un mea culpa à l’intention des auteurs du blog: « Je me basais alors sur les démentis très affirmatifs de Christian Charpy lui-même, de son entourage et de l’éditeur qui avaient, à plusieurs reprises, nié publier un tel livre. J’avais moi-même posé la question publiquement au DG, devant témoins, lors d’un point presse pour en avoir le cœur net. Mal m’en a pris de le croire».
Autant dire que la fusion pour les nuls n’était pas du goût de la direction de Pôle emploi. Mais avec 50 000 visiteurs/mois et de multiples relais médiatiques, l’épine est restée plantée. La direction de la communication a dû gérer tant bien que mal cette expression débridée et la mise en ligne d’informations souvent classées confidentielles. « L’objet des négociations à venir était déjà en ligne avant même que les discussions entre partenaires sociaux ait commencé », commente aujourd’hui ce responsable presse qui souligne le rôle de vitrine déformante que le site a pu jouer compte tenu du caractère anxiogène de certaines informations mises en ligne « sans aucun recul » et commentées « sans aucun discernement », « ce qui a eu parfois des effets désastreux aussi bien en interne qu’en externe ». Il affirme également que si les auteurs du blog n’étaient peut être pas des syndicalistes, les contributeurs réguliers l’étaient forcément.
Récupération ?
Côté syndical, on récuse cette hypothèse. Le blog n’a-t-il pas été accusé à ses débuts de jouer le jeu de la direction? Un mauvais procès que ce syndicaliste CGT attribuerait bien à… certains de ses camarades politiques qui jugeaient le site trop apolitique! A y perdre son latin. Reste que cette expérience a bousculé le rôle des 9 syndicats maison: « En tant que syndicat, on se dit qu’on aurait aimé le faire », commente un responsable du SNU Pôle emploi. « Le fait que le blog ait été extra-syndical a ouvert des débats que nous n’aurions pas eus. On l’a vu par exemple dans les commentaires à propos des primes de performance, que nous-mêmes n’avons pas signées ». Pour ce délégué CGT, la fusion pour les nuls était aussi « une bouffée d’oxygène entre la rhétorique stéréotypée de la direction d’une part et celle des syndicats d’autre part. Bien que syndiqué CGT, j’ai particulièrement apprécié l’absence d’idéologie revendiquée ». Et de conclure sans langue de bois: « Ce mode de communication me parait même être un modèle à suivre pour les syndicats comme le mien qui doivent aujourd’hui reconquérir la confiance d’une majorité de salariés (taux de syndicalisation très bas à Pôle Emploi). La plupart sont fatigués de l’injonction idéologique ou de la morale à la petite semaine, et ce d’où qu’elle vienne».
Pour l’instant, d’autres bruits courent toujours sur l’arrêt du site. Celui là par exemple. La fusion pour les nuls se serait sabordée au moment où les élections professionnelles approchaient et envenimaient les débats internes. Faut-il y voir un lien de cause à effet ? « A la fin, il y avait beaucoup trop d’invectives entre les camps ». Peut être ce climat délétère a-t-il découragé ses auteurs ? A leurs débuts, ils avaient fait le choix de laisser dire les bêtises, les énormités, laisser courir les jugements péremptoires ou méprisants vis à vis des uns ou des autres et pensaient : « progressivement, une nouvelle culture va se forger et de nouvelles solidarités. C’est ça qui sera intéressant à observe r». Apparemment ils avaient tord. Faut-il voir là une des raisons de la fermeture du blog ?
Pourtant cette boite de pandore a aussi servi de soupape de sécurité: « pour faire redescendre la pression par des échanges sur notre quotidien, nos espoirs et nos inquiétudes » peut-on lire en ligne. « Partager ses souffrances, savoir que l’on est pas seul dans cette galère, tout ceci a été d’un grand réconfort pour moi dans les moments difficiles de cette fusion», commente un agent. Les auteurs en étaient conscients : « Les courriers chargés d’affect, ainsi que les commentaires poignants que nous avons reçus en grand nombre, indiquent que le blog a joué un rôle de point fixe, voire de soutien, pour de nombreux agents des trois institutions, au moment où la fusion broyait tous les repères professionnels ». Avant de conclure « Sans doute il manquera quelque chose à Pôle emploi : un média indépendant capable de faire pièce à l’intranet officiel. Mais nous ne doutons pas que l’inventivité de nouveaux collègues comblera rapidement le vide laissé par la disparition du blog ».
Alors lassitude, charge de travail trop importante, pressions, peu importe les raisons. L’expérience restera belle. Et sans doute pas sans suite. Comme un présage, ce dimanche 10 mars 2013, Noèle et Paco ont déposé un ultime message sur leur blog. Les deux artistes sont revenus saluer la relève : « le très critique peiheu2015, l’ex-CDD pole-ou-emploi.fr qui met ses compétences au service des chômeurs, et notre chouchoute la jeune et jolie Aurore Boréale qui, sur son site pull.over-blog.fr, reprend les meilleures traditions de la Fusion : revue de presse quotidienne, scoops, et publication intégrale des documents importants ». Et lancer un appel suite à la tribune de Yves Clot parue dans le Monde du 7 mars 2013. « Le célèbre psychologue y développe une analyse pénétrante sur l’état actuel de l’institution pôle emploi, et invite les acteurs sociaux impliqués (pouvoirs publics, chômeurs, personnel, …) à se mettre au travail pour « repenser pôle emploi ». Nous partageons cette analyse. L’onde de choc provoquée par le drame de Nantes peut servir de point de départ à une réflexion collective féconde pour l’avenir de Pôle emploi. Dès à présent nous contactons Yves Clot et son équipe du CNAM. Nous sommes prêts à collaborer à un ‘’club de réflexion » ou à un think tank largement ouvert aux associations de chômeurs, aux syndicats, aux élus politiques, aux chercheurs … Ami-e-s anciens lecteurs/trices de la Fusion pour les Nuls, donnez-nous votre avis, vos idées, vos suggestions. Et ensemble si vous le voulez bien, « repensons Pôle emploi ». Saluons à notre tour l’esprit qui a animé ce blog, si bien retranscrit dans ces dernières lignes.
Note de l’auteur : Malgré plusieurs messages laissés à leur intention sur leur blog, Noèle et Paco n’ont pas répondu. Peut être notre correspondance s’est-elle perdue au milieu de la foule des messages d’adieu qui leur ont été adressés. Si cet article leur parvient, nous serions flattés qu’ils y ajoutent leur touche finale. Dans une interview qu’ils avaient accordé sur leur site à Pépé Déhat, le bien nommé, à la question : Vous êtes ensemble sur le site ; l’êtes-vous aussi à la ville ?
Paco T : Non (rires), nous ne sommes que de bons camarades, et désormais collègues. Mais nos conjoints respectifs sont très jaloux … du temps que nous passons ensemble pour la rédaction des articles. Car mine de rien, ce temps est considérable.
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