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Voilà un livre qui, derrière le classicisme modeste de son titre, « Les leviers essentiels de la rémunération », réserve de belles surprises et répond à de grandes ambitions. On travaille, on est payé à la fin du mois, une petite prime de temps en temps… Oui, mais combien ? En fonction de quoi ? Le sait-on ? L’emploi, le secteur professionnel dans lequel on travaille, l’efficacité personnelle, la bonne santé de l’entreprise ? Sans clarté sur ces différents leviers et leurs raisons d’être, c’est souvent le sentiment d’injustice qui est au rendez-vous, et il ne fait pas bon être dans les couloirs d’une entreprise à l’époque des entretiens annuels…

 

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Le livre de Philippe DENIMAL revisite les « classiques » du sujet : les classifications d’abord, la définition des emplois et de leur place dans l’organisation, les méthodes d’évaluation collective et individuelle. Il le fait avec clarté et patience dans la définition des concepts, tout en s’appuyant sur une solide expérience de « sociologue du travail » comme l’indique sa carte de visite, intervenant pour des entreprises, des associations, et des branches professionnelles. Du coup de nombreux encadrés, comme autant de tranches de vie « au travail » racontent les succès, les échecs, les difficultés rencontrées. Des petits personnages de BD, finement dessinés et pleins d’ironie, viennent ponctuer les récits et l’analyse qui les intègre.

 

Résultats et points forts du livre : les classifications ce n’est pas rétro, la gestion par les compétences reste un idéal difficile à mettre en œuvre, et la reconnaissance des résultats individuels est loin d’être scandaleuse. Il faut savoir s’appuyer sur les trois leviers en connaissance de cause, et surtout en acceptant de les construire de manière collective et participative. C’est là que le consultant apporte son expertise et son intelligence des situations, et c’est précieux.

 

La classification est un socle indispensable même s’il faut reconnaître qu’elle n’est jamais totalement objective : « l’acte de classer les emplois est autant de nature sociale que technique ». Pas de problème tant que les classifications étaient basées sur les postes de travail : c’était simple. Aujourd’hui les réorganisations fréquentes, le travail par projets, modifient les contours des emplois. Le salarié « fait » son emploi par la combinaison des compétences et des activités qu’il exerce à tel ou tel moment. Et puis le marché du travail compte : des jeunes sont embauchés à des salaires élevés parce qu’il faut les attirer, ils vont gagner plus que certains anciens parfois « classés » à des niveaux plus élevés. Toutes ces évolutions affaiblissent-elles le rôle des classifications ? Pas sûr si on les revoit régulièrement, si on accepte de travailler sur de nouveaux critères, mais que penser de certaines branches telles les hôtels-cafés-restaurants, ou l’immobilier, qui ne veulent pas reconnaître le critère d’exigence relationnelle… Et ce travail d’actualisation doit associer le plus possible les partenaires de la branche, ou de l’entreprise, mais aussi les salariés réfléchissant à plusieurs … sur ce qu’ils font chaque jour, la manière de le formaliser et de le hiérarchiser. C’est le processus d’élaboration d’une « grille » de repères, de critères, qui est le meilleur garant de ce que l’outil sera utile, utilisé et vivant. Au cœur de ces démarches : la gestion du travail et de sa reconnaissance. En combinant le système traditionnel de classement des activités le repérage des compétences des personnes mises en œuvre au quotidien.

 

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Quelques récits « séquence nostalgie », celui de l’aventure LIP ou l’exemple de Cuba, viennent montrer que l’égalitarisme en matière de rémunération n’a jamais marché. Quant à la prime aléatoire, à la main du patron d’une entreprise ou d’une association, ou des affects des uns et des autres, elle représente le symbole même de l’injustice. Philippe Denimal est clair : l’appréciation individuelle n’est pas scandaleuse. Mais elle doit être travaillée, construite dans ses règles du jeu, à mi-chemin de l’objectivité que l’on atteint jamais et de la subjectivité que l’on ne supprimera pas mais qu’il faut encadrer. Là encore c’est la co-construction du dispositif qui peut seule permettre clarté et légitimité. Le livre fournit de très utiles repères pour une « évaluation équitable ». Les choix d’indicateurs doivent être faits avec soin : pourquoi « la gestion des aléas », ou « les capacités d’organisation », ou « la réactivité » ? On ne peut les imposer par décret ni en copiant les manuels de management souvent prolixes en catégories floues.

 

Le livre de Philippe Denimal est précieux : il fournit des outils utiles mais aussi les définitions, les explications historiques pour agir dans ce domaine sensible de la reconnaissance « en connaissance de cause », en construisant collectivement de la légitimité.

 

Philippe Denimal, Les leviers essentiels de la rémunération classification, compétences, appréciation
Editions Liaisons, 2013

 

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Philosophe et littéraire de formation, je me suis assez vite dirigée vers le social et ses nombreux problèmes : au ministère de l’Industrie d’abord, puis dans un cabinet ministériel en charge des reconversions et restructurations, et de l’aménagement du territoire. Cherchant à alterner des fonctions opérationnelles et des périodes consacrées aux études et à la recherche, j’ai été responsable du département travail et formation du CEREQ, puis du Département Technologie, Emploi, Travail du ministère de la Recherche.

Histoire d’aller voir sur le terrain, j’ai ensuite rejoint un cabinet de consultants, Bernard Brunhes Consultants où j’ai créé la direction des études internationales. Alternant missions concrètes d’appui à des entreprises ou des acteurs publics, et études, européennes en particulier, je poursuis cette vie faite de tensions entre action et réflexion, lecture et écriture, qui me plaît plus que tout.