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Les travailleurs et l’OIT : une représentation et une représentativité obsolètes ?

publié le 2013-04-02

Entretien avec Marieke Louis, doctorante à Sciences Po Paris sur la représentation et la représentativité des travailleurs à l’Organisation internationale du travail (OIT), organisme dont l’ambition est de parler au nom de tous les travailleurs de la planète. Une entreprise qui ne va pas sans soulever quelques problèmes…

 

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Comment la représentation des travailleurs s’est-elle construite à l’OIT ? Qui y parle au nom des travailleurs, et comment ?

D’abord, il faut savoir que la représentation des travailleurs à l’OIT est un élément constitutif de l’organisation. Elle la précède même puisque des représentants des travailleurs en l’occurrence Samuel Gompers de l’AFL et Léon Jouhaux de la CGT étaient déjà présents dans la commission qui a abouti à sa création dans le contexte des négociations du Traité de Versailles. Ils ont donc pu participer, dès l’origine, à la mise en forme des arrangements institutionnels qui allaient réglementer leur participation.
Selon les statuts de l’OIT, les représentants des travailleurs sont désignés en accord avec l’organisation « la plus représentative » des travailleurs du pays concerné. La sélection se fait donc sur une base nationale et elle ne concerne que le travail organisé, c’est-à-dire les syndicats. Et encore, pas n’importe quels syndicats. Il s’agit d’abord des syndicats inter-professionnels et non sectoriels (à l’exception des marins et des armateurs). Mais surtout, à l’origine, il s’agissait essentiellement des syndicats affiliés à la fédération syndicale internationale (tendance social-démocrate), puisque les communistes considéraient l’OIT comme une organisation anti-révolutionnaire. On a donc là déjà plusieurs critères de sélection (organisationnel, idéologique) qui réduisent à chaque fois le spectre de la représentativité. Et plus on avance dans les organes internes de l’OIT, plus ce spectre continue à se réduire à la faveur d’autres critères plus ou moins explicites comme les rapports de force inter-étatique par exemple. Les pays industrialisés sont ainsi notoirement surreprésentés au sein du Conseil d’administration de l’OIT, même s’il existe à l’heure actuelle une volonté de rendre les conditions d’accès au CA plus transparentes. L’enjeu est important puisque ce sont seulement 28 individus qui sont censés y représenter l’ensemble des travailleurs du monde!

 

Quelles sont les principales critiques formulées à l’encontre de ces mécanismes de représentation ?
Les deux principaux problèmes découlent de la formulation même de l’article 3 de la constitution de l’OIT qui restreint la participation des travailleurs à ceux issus de l’organisation la plus représentative du pays concerné. Tout d’abord, concernant cette notion « d’organisation la plus représentative », elle pose évidemment problème pour des pays qui pratiquent le pluralisme syndical comme la France, l’Italie ou l’Inde. La question des critères permettant de classer une organisation comme la plus représentative a ainsi pu faire l’objet de conflit/tensions dans ces pays. Il est aujourd’hui admis que si le nombre d’affiliés est un critère déterminant, il n’est pas le seul à prendre en compte. Le respect de certaines conventions fondamentales de l’OIT, dont la convention 87 sur la liberté syndicale, est une dimension également très importante.
Par ailleurs, la notion de « travail organisé » a également fait l’objet de critiques. En restreignant la participation des travailleurs au seul travail organisé, on exclut en effet par principe les (nombreux) travailleurs qui ne sont affiliés à aucun syndicat. Cela pose particulièrement problème dans les pays où le secteur informel occupe la majeure partie de la main-d’œuvre nationale. Cette problématique est d’ailleurs devenue centrale à l’OIT dans le courant des années 70.

 

Comment l’OIT a-t-elle choisi d’y faire face ?
Sur la question du travail informel et plus largement de la non-syndicalisation, la position de l’OIT consiste à affirmer que sa mission est précisément d’inciter les travailleurs à se syndiquer. Pour elle, l’organisation des travailleurs reste le meilleur moyen de pouvoir en défendre efficacement les droits. Et dans ce contexte le type d’organisation privilégiée demeure le syndicat. Ça ne veut pas dire que c’est une question qui n’a jamais fait débat. En particulier à partir des années 90, il y a eu d’importantes discussions pour savoir s’il ne fallait pas ouvrir l’OIT à d’autres représentants de la société civile comme les ONG. Ce fut notamment le cas lors de la négociation de la convention sur le travail des enfants durant le mandat de Michel Hansenne, une problématique dont les syndicats pouvaient difficilement revendiquer un quelconque monopole. Le cas de l’association indienne des travailleuses domestiques (SEWA : Self Employed Women Association) est également intéressant à cet égard, puisqu’il ne s’agit pas d’un syndicat à proprement parler, mais elle a tout de même réussi à se faire reconnaître comme interlocuteur légitime par l’OIT, même si c’est par un biais particulier.

 

C’est-à-dire ?
Depuis 1948, l’OIT prévoit la possibilité de consulter des organisations qui ne rentrent pas dans le cadre de son mode de représentation tripartite sur la base d’un statut consultatif. A partir des années 90, la liste des ONG reconnue par l’OIT a commencé à s’allonger. Le successeur de Michel Hansenne, Juan Somavia, est même allé jusqu’à proposer un « tripartisme + » comme moyen d’adapter l’action de l’OIT aux nouvelles réalités internationales. Mais l’accueil a été plutôt froid… Une résolution a même été adoptée en 2002 par la Conférence internationale du travail, l’assemblée générale de l’OIT, pour rappeler que le dialogue social relevait du triptyque État-syndicats-employeurs. Une manière d’indiquer aux ONG que si elles veulent jouer le jeu de l’OIT, elles doivent en accepter les règles… Par ailleurs, il ne faut pas croire qu’il s’agisse d’un débat qui opposerait les pays industrialisés aux pays en développement. Si des pays comme le Canada ou les États-Unis sont plutôt à l’aise pour travailler avec les ONG, certains syndicats africains sont quant à eux plus réticents, car ils y voient une source d’ingérence étatique potentielle. Toujours est-il que pour l’instant c’est un enjeu qui a été mis de côté par l’OIT, qui considère que sa structure tripartite actuelle lui garantit une représentativité suffisante pour s’exprimer sur les matières sociales au niveau mondial.

 

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